Section première : Une division rationnelle du
travail
Le premier avantage que l'on peut imputer au principe est
d'avoir rationnellement procédé à une répartition
des tâches - certains auteurs (professeur Loïc PHILIP notamment)
défendent l'idée d'une division naturelle des fonctions - mais
surtout d'avoir confié ces tâches à des agents
différents : c'est la spécialisation fonctionnelle
(I). Mais le principe a également voulu rendre
effective cette ligne imaginaire qui sépare les deux fonctions en
reconnaissant à leurs dépositaires une indépendance
organique (II).
§ 1. La spécialisation
fonctionnelle
La division « naturelle » des opérations
d'exécution du budget voudrait qu'il y ait d'un coté un
rôle de décideur (rôle actif) et de l'autre un rôle de
contrôleur et d'exécutant (rôle passif). Ainsi, il sera
donné à l'ordonnateur la latitude de procéder, de
manière opportune, au choix de l'opération à effectuer
(A) et le comptable se verra confier la tenue de la
comptabilité (B).
A - L'opportunité48 des choix de
l'ordonnateur
L'ordonnateur est l'agent qui a la charge de choisir la
dépense à effectuer. La principale obligation qui pèse sur
lui, c'est d'effectuer le bon choix. Il doit donc avoir une vision panoramique
des activités de la collectivité publique qu'il dirige pour
savoir si une dépense est opportune ou intempestive. Comme le
précisait le professeur LALUMIERE, si l'ordonnateur « se trouve
donc dans l'obligation de respecter la légalité, il dispose
cependant d'une appréciation complète sur l'opportunité de
la décision qu'il est amené à prendre.
»49. La fonction d'ordonnateur ne requiert aucune
qualification spéciale si ce n'est de pouvoir apprécier
l'opportunité de ses choix. C'est pourquoi elle est confiée
à l'autorité la mieux placée pour faire cette
appréciation. Ainsi, à l'échelle de l'Etat, qui mieux que
le ministre chargé des Finances peut avoir une vue d'ensemble sur les
opérations budgétaires de l'Etat ? De même au niveau des
collectivités locales, existe-t-il une personne mieux placée que
l'exécutif local (issu des élections) pour prétendre
être mieux imprégné des nécessités ou
attentes de la localité ? Le même constat pourrait être fait
dans les services ou le dirigeant est mieux à même de savoir s'il
est propice ou non de recruter du personnel ou au contraire d'en diminuer.
Cette fonction sera donc toujours dévolue à l'autorité
placée à la tête de l'organisme public en question. Le
professeur BOUVIER50 ne manque pas de souligner dans ce sens :
« La fonction d'ordonnateur n'est jamais que l'accessoire d'une
mission d'administrateur exercée à titre principal. (...) Il est
amené à exercer en sus de ses fonctions administratives
principales, des attributions financières en recettes ou en
dépenses. ».
De manière succincte, il faut dire que l'ordonnateur
est un administrateur élu ou nommé qui prend différents
types d'actes qui se matérialiseront par une dépense. C'est
à ce stade qu'intervient le comptable qui exécute l'autre
série de tâches.
B - La technicité de la tenue de la
comptabilité
A l'opposé de l'ordonnateur qui peut voir ses
attributions résumées en un mot : opportunité, ce qui
caractérise le comptable, c'est la technicité des
opérations qu'il
48 Cette opportunité ne vaut que pour les
dépenses ; en matière de recettes, il pèse sur
l'ordonnateur l'obligation de procéder au recouvrement des recettes
prévues par la législation applicable (code général
des impôts par exemple).
49 Pierre LALUMIERE op. cit. p. 271
50 Michel BOUVIER et alii, Finances publiques,
4e éd., Paris, LGDJ, 1998, p. 322.
effectue. Précédemment aussi, nous avons souvent
raisonné en terme de fonction pour l'ordonnateur ; pour le comptable,
nous raisonnerons en terme de qualité car si la fonction d'ordonnateur
ne demande pas certaines prédispositions, le rôle de comptable
fait avant tout appel à une maîtrise des règles de la
comptabilité. Les comptables subissent en principe une formation
à la fin de laquelle ils peuvent être accrédités
auprès d'un ordonnateur par la voie d'une nomination par le ministre
chargé des Finances ou avec son agrément. Les comptables ont
ainsi un statut de droit public et sont ès qualités soumis aux
règles particulières du droit de la comptabilité publique.
Leur rôle se cantonne à un maniement matériel des fonds et
à tout ce qui s'y attache (contrôle entre autre). Leur tâche
est contrairement à celle de l'ordonnateur plus homogène - ils
n'effectuent pas une diversité d'opérations ; toute leur
activité tourne autour du maniement des fonds alors que l'ordonnateur
peut prendre des actes juridiques, administratifs ou encore techniques - et
passif dans la mesure où ils ne font qu'exécuter les ordres que
ce dernier leur donne.
L'avantage du principe qui réside dans cette
spécialisation fonctionnelle, c'est que primo toutes ces tâches
sont trop denses pour être concentrées entre les mains d'un seul
agent. Secundo, l'ordonnateur, tel que nous l'avons décrit ne peut
être un comptable puisqu'il n'a aucune qualification pour gérer
des fonds tout comme le comptable n'a aucune légitimité pour
décider des opérations financières qu'il doit
lui-même réaliser. En d'autres termes cumuler les fonctions au
profit de l'un ou de l'autre ne pourrait être bénéfique ;
tout au contraire la bonne exécution du budget serait même
hypothèquée. Et donc tertio cette spécialisation
fonctionnelle optimise les conditions de cette exécution étant
donné qu'il y a un meilleur rendement du côté des
ordonnateurs tout comme dans celui des comptables dans l'accomplissement de
leurs tâches.
Toutefois, cette spécialisation perdrait tout son sens
si le principe n'avait pas statutairement garanti cette séparation des
tâches.
§ 2. L'indépendance organique
Le principe garantit cette indépendance pour
l'ordonnateur et pour le comptable aussi bien dans leurs relations mutuelles
(A) que dans leurs relations avec le ministre chargé
des Finances (B).
A - L'indépendance réciproque
Si l'on se situe du côté de l'ordonnateur, cette
indépendance par rapport au comptable ne pose pas de problème et
semble à la limite évidente, dans la mesure où il est la
plupart du temps à la tête de l'organisme public. Par contre, du
côté des comptables, la réponse est moins évidente.
L'accréditation de ce dernier auprès d'un ordonnateur ainsi que
sa compétence liée ont poussé d'aucuns à penser que
le comptable était le subordonné hiérarchique de
l'ordonnateur ; mais, comme le précise le doyen DUVERGER51,
« (...) les comptables ne sont pas (comme les caissiers d'une grande
entreprise par exemple) des employés soumis à l'autorité
de ceux qui décident les dépenses.». Il y a donc une
indépendance du comptable vis-à-vis de l'ordonnateur et
vice-versa. Ce serait une autre forme de cumul si l'un des agents pouvait, sur
la base du devoir d'obéissance, contraindre l'autre à effectuer
des tâches qui relèvent de sa propre responsabilité. Il
peut cependant arriver que l'ordonnateur contraigne le comptable à
procéder au paiement d'une dépense avec la procédure de la
réquisition. Mais cette réquisition en elle-même n'est pas
forcément une violation de l'indépendance organique pour trois
raisons :
- même si l'ordonnateur use de ce pouvoir, c'est
toujours le comptable qui procède à l'opération
matérielle de paiement ;
- lorsque le comptable a respecté les règles de
forme posées par le juge financier depuis la jurisprudence Masselot (le
comptable doit opposer une ou plusieurs irrégularités pour se
départir de la responsabilité de ce paiement), la
responsabilité du
paiement ne lui est plus imputable : c'est l'ordonnateur qui en
devient responsable ;
- il y a enfin certaines situations dans lesquelles le
comptable est tenu de ne pas déférer à l'ordre de
réquisition (absence de crédits, absence de service fait ou de sa
justification, absence de visa du contrôleur financier ou encore
caractère non libératoire de la dépense).
Donc même si l'ordonnateur dispose d'un pouvoir de
réquisition, ce pouvoir n'en demeure pas moins encadré.
Le principe permet ainsi au deux agents de pouvoir remplir leurs
fonctions en toute sécurité, sans possibilité
d'ingérence ou d'influence de l'un sur les activités de
l'autre.
51 Maurice DUVERGER, op. cit. p. 319
Cependant, si le principe dans son exposé paraît
avoir implicitement prévu cette indépendance, il n' en est pas
ainsi des relations de ces deux agents avec le ministre chargé des
Finances.
B - L'indépendance par rapport au ministre
chargé des Finances
Il ne faut pas perdre de vue que le ministre chargé des
Finances est un ordonnateur comme le précise l'article 19 alinéa
premier du décret 2003-101 : « Le ministre chargé des
Finances est ordonnateur principal unique des recettes et des dépenses
du budget de l'Etat, des budgets annexes et des comptes spéciaux du
Trésor. ». A ce titre, il est le supérieur
hiérarchique de tous les comptables publics et est consulté pour
la nomination des ordonnateurs délégués et secondaires. On
comprend donc aisément que l'autonomie des agents d'exécution du
budget vis-à-vis du ministre chargé des Finances puisse faire
l'objet de débat. Pour les ordonnateurs52, le problème
ne se pose pas ici puisqu'ils ne sont pas soumis au pouvoir hiérarchique
du ministre. Pour le comptable, en revanche, il y a lieu de se demander comment
concilier l'autonomie de la collectivité publique dont il tient le poste
comptable et sa subordination du point de vue hiérarchique à une
autorité étatique, tout ceci ajouté au fait qu'on est en
présence d'une relation ordonnateur- comptable. C'est le Conseil d'Etat
français qui va trouver la réponse à cette question. Dans
un arrêt du 6 avril 1962, société technique des appareils
centrifuges industriels53, le juge administratif a admis que le
comptable, dans l'exercice de ses fonctions spécifiques, est
délié, y compris vis-à-vis du ministre chargé des
Finances, du devoir d'obéissance habituel à la fonction publique.
Reste maintenant le cas particulier des comptables54 qui exercent
leur fonction auprès du ministre chargé des Finances. Ce qu'il
faut préciser ici - et qui est valable pour tous les comptables - c'est
que l'indépendance du comptable résulte de ce qu'il tient sa
compétence de la loi qui définit les obligations qui lui sont
propres et non de l'autorité administrative dont il dépend ou
encore qui le nomme.
52 Même les ordonnateurs qui ont
été délégués par le ministre chargé
des Finances auprès des services extérieurs conformément
à l'alinéa 2 de l'article 19 disposent de cette autonomie
étant donné qu'ils ont reçu une délégation
générale de compétence, ce qui signifie qu'ils sont seuls
responsables des actions entreprises.
53 Rec. Lebon 1962, pp. 255-256
54 Ce cas de figure concerne surtout les comptables
qui exercent leur fonction dans un des services du ministère des
Finances. Mais pour les autres comptables l'arrêt du Conseil d'Etat a
résolu le problème.
L'interprétation du principe peut aller bien
au-delà d'une simple séparation des fonctions et garantir
l'indépendance des agents détenteurs de ces fonctions aussi bien
dans leurs relations mutuelles que dans leurs rapports avec le ministre
chargé des finances.
Pour résumer, l'apport positif du principe
réside avant tout dans la mise sur pied d'un véritable
système organisationnel et fonctionnel de répartition logique et
efficiente des différentes phases de l'exécution de la loi de
finances. Mais s'il y a bien un autre point qui fait la renommée du
principe, c'est la sécurité des fonds publics qu'il a
instaurée.
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