CONCLUSION GENERALE
La justice de proximité évoque l'idée
d'une justice plus proche de la population, une justice qui répond aux
préoccupations quotidiennes de cette dernière. Lorsqu'elle est
bien rendue, la justice de proximité contribue à asseoir la paix
sociale, la réconciliation nationale et la bonne
gouvernance79.
Lorsque par contre, elle fonctionne mal, c'est tout le
système judiciaire qui en pâtit tandis que la paix sociale est
compromise. C'est donc un domaine qui mérite une attention
particulière.
Au Burundi, parler de justice de proximité fait penser,
d'une part, aux Tribunaux de résidence, du moins dans le système
formel de justice, et, d'autre part, aux mécanismes informels de
règlement des conflits, en particulier celui comprenant les
Bashingantahe et le Conseil de Colline ou de quartier, les associations de la
société civile, les autorités locales, les corps de police
ainsi que dans une moindre mesure, le Conseil de Famille.
La collaboration entre ces différents acteurs
s'avère parfois difficile. Ils entrent en conflits de compétence
soit par ignorance de la loi, qui peut elle-même être lacunaire ou
confuse (article 37 de la loi communale) soit pour des raisons d'enjeux de
pouvoir et de contingence politique.
La résolution de ces conflits de compétence doit
passer par l'harmonisation de certains textes intervenant en matière de
justice au Burundi. Ces textes sont notamment la loi no 1 /010 du 18 mars 2005
portant Constitution de la République du Burundi, la loi no 1/016 du
20avril 2005 portant organisation de l'administration communale, la loi no 1/18
du 17 mars 2005 portant Code de l'organisation et de la compétence
judiciaires ainsi que la loi n°1/009 du 4 juillet 2003 portant le
transfert des recettes des Tribunaux de résidence à la
Commune.
En plus de cette action législative, les
différents acteurs devraient respecter strictement les
compétences leurs dévolues soit par la loi soit par leurs
statuts. Seuls les tribunaux de résidence ont le pouvoir de rendre un
jugement en vertu de la loi ; les Bashingantahe en collaboration avec les
élus locaux peuvent régler les litiges de proximité par la
conciliation et la médiation ; les associations de la
société civile peuvent conseiller, orienter et assister les
justiciables et même faire de la médiation dans le respect des
compétences des tribunaux et des Bashingantahe.
L'idéale solution serait la prévention de
conflits entre les différents acteurs par la résolution des
litiges de proximité qui sont soumis à ces acteurs. Ces litiges
portent essentiellement sur des questions foncières, des conflits de
voisinage et de succession.
Enfin, au terme de ce travail, il est permis d'affirmer que la
justice de proximité accuse des dysfonctionnements notoires qui
requièrent, pour son redressement, plus d'efforts de la part de tous les
acteurs concernés à savoir le Gouvernement, les juges des
Tribunaux de résidence, l'autorité communale, les élus
locaux, les O.P.J. , la société civile, les Bashingantahe et les
citoyens.
Ainsi, nous formulons les recommandations suivantes :
1° Au Gouvernement
- Procéder aux reformes nécessaires pour harmoniser
les textes relatifs à la justice de proximité ;
- Instaurer un cadre de concertation permanente entre les
juges, les Bashingantahe, les élus collinaires et l'administration afin
que chacune des parties soit sensibilisée sur le rôle qui lui
incombe et se garde de s'immiscer dans les affaires qui ne le concernent pas
;
- Organiser et multiplier des séminaires de formation
à l'intention des autorités administratives pour une formation
juridique, réglementaire et technique appropriée afin de les
aider à mieux remplir leurs fonctions pour le bien-être de la
population ;
- Appuyer les programmes de formation des Bashingantahe et
élus collinaires ou de quartier sur les matières qui leur sont
couramment soumises comme le droit foncier, le droit des personnes et de la
famille ;
- Appuyer les actions de sensibilisation des administratifs sur
les limites de leurs compétences en matière de règlement
des conflits ;
- Réunir tous les partenaires intéressés
autour d'un débat sur une meilleure collaboration entre les élus
collinaires et les Bashingantahe ;
- Réviser et vulgariser la loi communale et
procéder à son explication aux partenaires concernés ;
- Accorder la priorité aux actions relatives à
la réfection des infrastructures des tribunaux de résidence ainsi
qu'à la fourniture des équipements qui leur manquent cruellement
;
- Doter des moyens de déplacement moins chers aux juges
pour diminuer leur dépendance à l'administrateur communal en
moyens de déplacement ;
- Organiser et multiplier des séminaires de formation
à l'intention des OPJ ;
- Doter les administratifs des textes de lois usuels pour le
renforcement de leurs connaissances ;
- Respecter le principe fondamental de séparation des
pouvoirs, reconnaître l'indépendance de la magistrature et
respecter le principe de l'inamovibilité des juges ;
- Traduire tous les textes législatifs et
réglementaires en kirundi, les vulgariser et sensibiliser la population
;
- Redynamiser le service d'inspection de la justice pour qu'il
puisse accomplir sa mission de suivi sur tout le territoire du Burundi, dans
l'ensemble des services judiciaires et à tous les niveaux de juridiction
particulièrement dans les Tribunaux de Résidence ;
- Instituer des services communaux décentralisés
chargés de l'enregistrement et de la mutation des droits immobiliers,
ainsi que de la délivrance des documents y relatifs.
2° Aux organisations non
gouvernementales
- Appuyer les programmes de formation des Bashingantahe et
élus collinaires ou de quartiers sur les matières qui leur sont
couramment soumises comme le droit foncier, le droit des personnes et de la
famille ;
- Créer des opportunités de rencontres et
d'échanges pour une meilleure collaboration entre l'administration, les
juges, les élus collinaires ou de quartiers et les Bashingantahe ;
- Appuyer le renforcement des capacités des magistrats et
agents d'ordre judiciaire des tribunaux de résidence ;
- Les associations devraient s`abstenir d'empiéter sur les
compétences des juridictions, des administratifs et des
bashingantahe.
3° A l'autorité communale
- Les administrateurs communaux devraient se déclarer
juridiquement incompétents toutes les fois qu'ils sont sollicités
dans des domaines qui ne relèvent pas de leur compétence ;
- Eviter autant que faire se peut de s'ingérer dans le
secteur judiciaire et collaborer le plus largement possible avec
l'autorité judiciaire à la base ;
- Sensibiliser les élus collinaires et les Bashingantahe
afin d'éviter des rivalités inutiles et travailler ensemble dans
le règlement des conflits à la base ;
- Les administrateurs communaux devraient collaborer avec les
OPJ et magistrats des Tribunaux de Résidence en matière de lutte
contre la criminalité et d'exécution des jugements (assurer le
transport) ;
- Les administrateurs communaux devraient assurer une
présence régulière sur les collines pour prévenir
les conflits de compétence entre les chefs de colline et les
bashingantahe, ainsi que pour renforcer le dialogue avec la population ;
- L'administrateur devrait s'assurer de l'origine du bien
avant de délivrer les documents officiels sanctionnant la transaction
foncière pour minimiser les risques de ventes illégales par des
non propriétaires ;
- Respecter et faire respecter la législation
foncière au niveau communal, en assurant une gestion des terres
domaniales et des expropriations conformément à la loi.
4° Aux Bashingantahe
- Revoir les dispositions de la Charte des Bashingantahe
spécialement celles les interdisant de siéger avec les non
investis traditionnellement ;
- Renoncer à écarter les élus locaux aux
séances de délibération lors du règlement des
conflits (là où on le fait actuellement) ;
- Eviter l'instrumentalisation et la politisation des
Bashingantahe qui doivent se garder de faire partie des organes
dirigeants des partis politiques ;
- Veiller, pendant les périodes électorales ou de
crise, à la défense de l'intérêt
général pour susciter toujours la confiance de la population ;
- Les Bashingantahe devraient éviter de
contraindre les parties d'accepter la solution proposée à leur
différend en recourant à des sanctions de type social.
5° Aux élus collinaires
- Les chefs de colline devraient favoriser le règlement
des litiges dans un esprit de collaboration et de non concurrence avec les
Bashingantahe ;
- Accepter de collaborer avec les Bashingantahe dans
le règlement des conflits conformément à la loi communale,
car cette collaboration est conçue pour rendre très
opérationnelle le règlement des conflits à la base
(là où il y a toujours réticence du côté des
élus) ;
- Certains élus devraient renoncer au dénigrement
de l'Intahe qui est un symbole sacré dans la tradition
burundaise ;
- Les chefs de colline devraient lors d'une vente, se
concerter avec le conseil de familles des parties à la vente et cosigner
le procès verbal de vente pour renforcer la protection des biens
fonciers et réduire le nombre de procès en annulation des ventes
de terres.
6°Aux juges des tribunaux de
résidence
- Lutter avec énergie pour l'indépendance effective
de la magistrature en refusant toute influence de l'administration ;
- Collaborer avec les autres acteurs notamment les associations
qui assistent les justiciables;
- Tenir compte du procès verbal de conciliation par les
Bashingantahe et les élus collinaires si du moins les parties
avaient passé par cette étape.
57 7o Aux officiers de la police judiciaire
- Les officiers de police judiciaire devraient respecter et
faire respecter la déontologie professionnelle, pour prévenir les
cas de détention illégale, de pratique de la torture,
d'ingérence dans le règlement des affaires civiles, etc ;
- Dans les cas de flagrant délit, l'OPJ devrait
procéder à une enquête de nature à former l'intime
conviction du juge sur la culpabilité ou l'innocence de la personne
placée en garde à vue ;
- Respecter les délais de procédure et la
déontologie policière. 8° Aux citoyens
- Eviter de saisir simultanément plusieurs acteurs de la
justice ;
- Faire des efforts pour connaître la loi et la
procédure judicaire ;
- Refuser la manipulation et faire confiance aux gens
appelés à régler leurs litiges sur les collines, en
l'occurrence les Bashingantahe et les élus ;
- Eviter à jamais les velléités corruptrices
et dénoncer les cas de corruption portés à leur
connaissance devant l'autorité compétente ;
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