Section 3. La prévention des litiges de
proximité
La meilleure prévention aux conflits de
compétences entre les acteurs de la justice de proximité serait
la résolution en amont des litiges qui sont souvent soumis à ces
acteurs. Sans pouvoir être exhaustifs, nous allons passer en revue les
principaux litiges et proposer quelques solutions.
§1. Des solutions aux problèmes
fonciers
La question des conflits fonciers est au coeur de la
société burundaise. La terre s'avère être la
principale richesse économique de la population burundaise. A
côté de sa valeur économique, la terre possède une
valeur sociale très importante.
Les conflits fonciers se présentent sous diverses
manières.
1. Le problème des terres des
réfugiés et des déplacés.
C'est un problème d'une extrême complexité
qui oppose des protagonistes qui ne sont pas responsables de la situation. L'un
a abandonné sa terre pour protéger sa vie, l'autre, attiré
par ces terres disponibles, a pris sa place. Comment les départager ?
Après avoir observé quels intérêts des uns et des
autres étaient légitimes, nous sommes d'avis que seule
l'application du droit permettrait de
sortir de l'impasse. Au demeurant, et au-delà des
considérations idéologiques, c'est en réalité la
seule solution possible compte tenu des circonstances.
Nous recommandons donc le respect des droits
acquis dans le respect de la légalité, sans toutefois perdre de
vue l'objectif fondamental qui est le retour à la paix et la
réconciliation. C'est pourquoi la recherche d'une solution à
l'amiable doit être une préoccupation
constante76.
En tout état de cause, pour une meilleure
préparation à la réinstallation des réfugiés
qui pourraient éventuellement se retrouver dans la catégorie des
sansterres une fois rentrés d'exil, le Gouvernement burundais devrait
sans tarder commencer l'aménagement des terres disponibles
récemment recensées.77
Notons que, du point de vue des droits fonciers, les
réfugiés de date récente ne rencontrent pas de
problèmes qui exigent des solutions particulières.
2. La gestion des terres domaniales.
La gestion des terres domaniales soulève des passions.
La population se plaint de la cupidité des nantis et de leur cynisme. Si
tout le monde s'accorde sur la nécessité de mettre fin à
ces abus, lorsqu'il s'agit de proposer des solutions concrètes, des
hésitations subsistent.
Pour notre part, nous basant sur le caractère exceptionnel
des cessions et des concessions qui ne doivent et ne peuvent résoudre le
problème de la pénurie des terres au niveau individuel, nous
recommandons d'associer les Bashingantahe et les élus
coiinaires aussi bien au niveau communal qu'au niveau national lors de
l'attribution des terres domaniales. La compétence devrait
revenir à une autorité nationale. Par ailleurs, les terres
irrégulièrement attribuées devraient être
récupérées par le biais de la Commission terres et autres
biens.
Le cas spécial des marais est également fort
controversé. Les populations contestent les droits de l'Etat et des
communes. Les particuliers eux-mêmes se divisent en deux camps pour
élever des prétentions sur le même marais : le camp de ceux
qui l'ont aménagé et celui des propriétaires des
contreforts qui surplombent les marais. Mais si l'on va au fond des choses en
distinguant les
76Beaucoup de propositions vont dans ce sens. Le
Président de la Commission Terres et autres biens s'exprimait
lui-même, dans une interview accordée à la radio Isanganiro
en date du 12/10/2006, en ces termes « ce sont des conflits qui passent
par une négociation impliquant les parties concernées. Nous les
laissons s'entendre. Nous intervenons quand les choses ne vont pas ».
77 Le Gouvernement a fait un inventaire des terres domaniales aux
mois mars à octobre 2001.
grands marais et les petits marais d'une part, les bas-fonds et
les marais d'autre part, la situation se décante.
En se basant sur cette distinction, il y a lieu de
reconnaître les droits de l'Etat sur les grands marais en sa
qualité de garant de l'intérêt général et de
consacrer les droits des particuliers sur les petits marais. A ce propos,
il conviendrait de délimiter les bas-fonds et les marais,
les premiers appartenant au propriétaire des contreforts, les derniers,
à ceux qui les ont aménagés.
3. Le problème des Batwa sans terres.
Traditionnellement, les Batwa vivaient de la poterie. Mais le
déclin de celle-ci les accule à une reconversion difficile
à l'agriculture ou aux autres métiers. Il en résulte alors
des conflits de voisinage foncier et souvent des infractions, les Batwa se
livrant à des vols pour avoir à manger.
Les pouvoirs publics devraient les aider en
initiant les actions suivantes : la conception et l'exécution d'une
politique volontariste d'insertion au niveau national, la distribution
prioritaire des parcelles aux Batwa sans terre sous forme de concessions
destinées à être consolidées si
l'intéressé manifeste un attachement suffisant à sa
nouvelle terre, l'encadrement des Batwa en matière
d'artisanat...
4. Les paysannats.
D'après ce système, toutes les terres
appartiennent à l'Etat et leurs exploitants ne sont que des
détenteurs précaires à vie. Ce système n'engendre
pas seulement des problèmes avec l'Etat. Il a également des
répercussions sur les conflits de proximité. Les cas les plus
fréquents ont été rencontrés dans la commune
Gihanga où une multitude de litiges portent sur les ventes des terres
dont les exploitants n'étaient pas propriétaires.
A priori, rien ne justifie le maintien de ce système.
D'où le bien-fondé des revendications des exploitants qui
réclament le changement de leur statut. Il faudrait
consolider leur droit en propriété mais dans le même temps
sensibiliser la population sur les prérogatives de l'Etat en sa
qualité de gestionnaire attitré du patrimoine foncier
national.
§ 2. Les Conflits traditionnels de
voisinage
Ils portent surtout sur les servitudes de passage, la
délimitation des propriétés, la destruction des plantes
par le bétail, la fiabilité des modes de preuve, la prescription
trentenaire ainsi que la propriété du sol et la
propriété du dessus.
La fiabilité des modes de preuve traditionnels pose le
problème des témoignages, mode de preuve traditionnel.
Il est donc recommandé d'aménager des moyens de
preuves plus sûrs mais qui soient accessibles pour tous comme le bornage
systématique des propriétés avec des arbres
pérennes.
La prescription trentenaire permet de mettre fin à
l'incertitude des moyens de preuve traditionnels. Le concept semble bien connu
des juges des Tribunaux de Résidence et l'on ne peut que s'en
féliciter. Les servitudes de passage sont bien connues en droit
coutumier et les juges rappellent à l'ordre les récalcitrants, ce
qui est conforme à la loi.
Concernant la propriété du sol et la
propriété du dessus, d'après la tradition, les deux «
propriétés » n'ont pas nécessairement le même
titulaire. Les Tribunaux de Résidence semblent adhérer à
cette façon de voir. Pourtant, le Code Foncier est catégorique,
la propriété du sol emporte la propriété du dessus.
Il faut donc se conformer à la loi.
§3. Les conventions entre particuliers
Les principales conventions qui occasionnent des contestations
sont la vente et la donation. Les problèmes en rapport avec la vente
concernent la vente de la chose d'autrui, l'accord préalable du conjoint
ou de la famille du vendeur, le droit de préemption et la vente d'une
chose indivise.
Ces problèmes sont liés à l'incertitude
planant sur les droits fonciers, concernant aussi bien la délimitation
de la propriété que les titulaires. Ils sont également
liés au caractère familial de la propriété qui ne
fait plus l'unanimité.
Les tribunaux décident que la vente de la chose
d'autrui est nulle, se conformant ainsi au droit moderne et à la
coutume. Mais ils innovent par rapport au droit écrit en contraignant le
vendeur, dans la mesure du possible, à transmettre à l'acheteur
une parcelle équivalente. C'est une solution originale et
équitable.
La vente d'une chose indivise est à rapprocher du
premier cas lorsque la partie vendue ne tombe pas dans le lot du vendeur. Les
mêmes solutions peuvent être préconisées.
L'accord préalable du conjoint prévu par la loi
est une condition de validité du contrat. Par contre, l'accord
préalable de la famille ne fait plus l'unanimité.
Nous suggérons d'opérer la distinction traditionnelle
entre la propriété famiiale et la propriété
personnelle acquise par ses propres moyens et d'exiger l'accord pour la
première. Le caractère familial constitue, en
effet, un garde-fou vu les risques d'aliénations
irréfléchies qui pénalisent le ménage. La
même distinction peut être faite pour le droit de
préemption.
Les donations, quant à elles, soulèvent le
problème de leur révocation et celui des donations en faveur des
filles. Dans l'un et l'autre cas, la jurisprudence des Tribunaux de
Résidence est irréprochable. Elle confirme le principe de
l'irrévocabilité des donations et valide des donations en faveur
des filles même lorsqu'elles ont pour objet une propriété
foncière, battant ainsi en brèche les pratiques discriminatoires
à l'encontre des filles en ce domaine. Cette
irrévocabilité ne doit cependant pas être absolue, elle
doit être nuancée au regard des droits des héritiers
directs ou des créanciers qui pourraient être lésés
par des donations excessives.
§4. Des solutions aux questions
successorales
L'ouverture de la succession est à l'origine d'un
nombre très important de litiges. Les contestations portent sur les
droits de succession des filles ; les droits des enfants naturels dans la
succession de leur grand-père maternel ; le statut de la femme
survivante ; les droits des enfants de lits différents ; les droits de
l'enfant adoptif ; le partage et la liberté de tester.
La coutume excluait de la succession la fille car, selon le
système patrilinéaire, elle ne perpétuait pas la famille.
Mais les mentalités évoluent dans le sens de
l'égalité. Les seules résistances concernent la
propriété familiale où le courant dominant résiste
à l'idée de partage égal. Cependant, ces obstacles ne
doivent pas nous faire perdre de vue que le principe de l'égalité
est devenu un principe universel. C'est pourquoi les tribunaux de
résidence ainsi que la justice coiinaire devraient consacrer ce principe
en cette matière, préparant ainsi le terrain à une loi
totalement égalitaire.
Le problème des droits des enfants dans la succession
de leur grand-père maternel est lié au précédent.
Si l'on reconnaît des droits successoraux aux filles, il est logique
qu'elles les transmettent à leurs enfants surtout lorsque ceuxci sont de
père inconnu.
Le statut de la femme veuve varie selon les cas. Lorsqu'elle a
des enfants, elle bénéficie de la coutume, qui lui est favorable.
Elle prend pratiquement la place de son mari décédé et
exerce les mêmes droits. Mais sa situation est plus précaire
lorsqu'elle n'a pas d'enfants, alors qu'elle devrait avoir des droits
liés à sa qualité de conjoint survivant.
Les droits des enfants de lits différents posent
également problème. Traditionnellement, lorsque les mères
occupaient la même propriété, les enfants se la
partageaient plus ou moins équitablement. Mais lorsque les mères
avaient été installées sur des parcelles
différentes, les droits de leurs enfants se limitaient à cette
parcelle.
Cette coutume est acceptable lorsque son application n'aboutit
pas à une injustice flagrante. Par ailleurs, la polygamie étant
maintenant interdite par la loi, le problème se posera de plus en plus
en termes de droits respectifs des enfants naturels et des enfants
légitimes. D'où la nécessité de
consacrer sans ambiguïté le principe de l'égalité
entre les enfants.
En effet le problème demeure puisque la plupart des
enfants naturels ne sont pas reconnus par leurs pères. Un début
de solution se trouve dans la reconnaissance des droits successoraux des
filles, puisque dans ce cas, ces enfants n'héritent que de leurs
mères.
Le même principe d'égalité est valable
pour les enfants adoptifs78. Mais les tribunaux de résidence
opèrent, à juste titre, la distinction entre l'enfant recueilli
et entretenu par une famille sans les formalités d'adoption et l'enfant
effectivement adopté. Le premier ne recueille que les biens que son
bienfaiteur lui donne ou lui lègue de son vivant.
En revanche l'enfant adoptif dispose des mêmes droits
que l'enfant légitime. Cette jurisprudence est conforme à la loi.
Il en est de même de la jurisprudence des Tribunaux de Résidence
qui consacre le principe selon lequel nul ne peut être contraint à
rester dans l'indivision, ce qui rejoint également la coutume.
Enfin, le principe de la liberté de tester est reconnu.
Des hésitations concernent plutôt les limites de cette
liberté. Mais l'équité et le principe
d'égalité des enfants tendent à limiter la liberté
de tester. Comme le prévoient les législations modernes, le
partage effectué par le père devrait être revu lorsque
chacun des enfants n'a pas obtenu un minimum, appelé «
réserve ».
Pour prévenir les conflits relatifs aux successions ou
du moins doter le juge d'un instrument légal, il faudrait
promulguer une loi régissant les successions, régimes
matrimoniaux et libéralités.
Ainsi, on pourrait par la mise en oeuvre de ces solutions,
diminuer le nombre de litiges de proximité.
78 V. les dispositions de la loi no 1/du 30 avril 1999 portant
modifications du Code des personnes et de la famille relatives à la
filiation adoptive.
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