La participation du salarie au fonctionnement de la societe anonyme en droit ohada( Télécharger le fichier original )par Essoham Komlan ALAKI Université de Lomé - DESS Droit des affaires 2004 |
B - Place et légitimité des représentants des salariés actionnairesIl faut rappeler que le dialogue social se fonde sur trois piliers au centre desquels se trouvent les représentants des salariés réunis dans les organisations syndicales. Leurs prérogatives sont fixées par la loi152(*), et leur légitimité repose sur le principe de l'élection. Dès lors, comment positionner les représentants des actionnaires salariés d'un point de vue institutionnel dans le cadre du dialogue social tel qu'il est conduit, et définir l'essence de leurs prérogatives ? Cette question de la légitimité se trouve redoublée par la question de la place de la négociation sur l'actionnariat salarié dans le dialogue social « traditionnel ». Les syndicats ont des prérogatives certaines dans les négociations salariales et dans les discussions sur les conditions de travail. Or, ce rôle risque d'être remis en cause à travers la montée en puissance de la légitimité de l'actionnariat salarié. Enfin, il n'est pas possible de traiter des risques inhérents à l'actionnariat salarié sans s'interroger sur le risque de schizophrénie inhérent au statut d'actionnaire salarié. L'individu est en même temps tributaire d'une logique financière, puisqu'il est intéressé à l'évolution du cours de l'action de sa société ; mais il est également tributaire d'une logique sociale, puisqu'il est concerné au premier chef par les questions relatives à l'emploi. Or, ces deux logiques peuvent s'avérer profondément contradictoires, et placer l'actionnaire salarié dans un dilemme qui peut constituer pour lui le supplice de Tantale153(*). CONCLUSION Traiter de la participation des salariés au fonctionnement de la société anonyme en droit OHADA revient à réfléchir sur la place du salarié par rapport aux enjeux managériaux de ce type de société dans un univers ambiant de globalisation de l'économie. Cette idée de participation était, hier, percutante ; elle reste aujourd'hui, contemporaine. Quand les pays francophones d'Afrique s'unissaient pour le Traité de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires le 17 octobre 1993, ils entendaient moderniser et harmoniser le Droit des Affaires afin de remédier à l'insécurité juridique et judiciaire existant dans ces Etats. Ils entendaient surtout restaurer la confiance des investisseurs154(*), apporteurs de capitaux. La refonte du Droit des Sociétés dans le cadre de ce Traité répond bien à cet objectif. Soucieux de ménager les détenteurs du financement, le législateur OHADA n'a pas entendu reconnaître aux détenteurs de la main d'oeuvre une place enviable dans le fonctionnement de la société anonyme. En leur permettant, sous certaines conditions, de cumuler leur contrat de travail avec un mandat social (articles 417 et 426 AUDSCGIE) et d'être attributaires d'une fraction dérisoire du capital social (articles 639 et 640 AUDSCGIE), le droit OHADA instaure une participation individuelle, minoritaire des salariés, laquelle est soumise à l'autorisation directe ou indirecte des actionnaires, véritables propriétaires de la firme. Or, le pouvoir des salariés, au-delà de la proportion de leur représentation au sein des organes décisionnels, se mesure non seulement par leur capacité à influencer les décisions prises en Assemblées Générales, mais également par leur participation à l'élection des membres du Conseil d'Administration. Il s'ensuit qu'une telle participation restrictive et volontariste n'est pas efficace et déterminante dans l'exercice du pouvoir dans la société. Dès lors, dans l'optique de la philosophie volontariste du législateur OHADA, il est apparu important, tout au long de ce travail, de renforcer la participation du salarié dans la SA en incitant les entreprises à recourir à l'actionnariat salarié, participation financière par excellence. Dans un souci d'efficacité et de mise en oeuvre de cette participation, il a paru intéressant de prendre en compte les nombreuses critiques dont a fait l'objet l'actionnariat salarié dans les droits étrangers, notamment son caractère discriminatoire et inégalitaire, en vue de proposer son extension à l'ensemble des salariés. Ainsi, il constitue en même temps un correctif déterminant et un amendement fort souhaité au système participatif consacré par l'Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du GIE en ses articles 639 et suivants. L'attribution d'actions ou d'options aux salariés non dirigeants pourrait dans ces conditions contribuer à la constitution d'un capital humain spécifique, la confiance facilitant « l'émergence de proposition d'investissement de la part des salariés »155(*). L'on conviendra d'ailleurs, avec le professeur DESBRIERES, que la présence au CA d'employés en raison de leur qualité d'actionnaires revêt plus d'intérêt qu'une simple participation institutionnelle, dans la mesure où leur contrôle dépend désormais de la valeur de leur portefeuille d'actions et n'est pas affecté par des considérations de négociation collective liée à leur mode de désignation: elle contribue à réduire le différentiel de pouvoir entre les dirigeants et les autres parties prenantes de l'entreprise, favorisant ainsi l'émergence d'une coalition coopérative. Rendre salariés et actionnaires solidaires de la création de la valeur, tel est aujourd'hui le rêve de tout dirigeant et le fil d'Ariane de la gouvernance d'entreprise. Mais ce rêve exige du temps, des efforts d'information et de formation des salariés, une prise de risques : risque financier et risque de déstabilisation du dialogue dans l'entreprise (actionnaires minoritaires et actionnaires majoritaires ; salariés actionnaires et autres salariés). Seulement, si le salarié, devenu entrepreneur, prend des risques avec son entreprise, celle-ci doit accepter de partager avec lui information, savoir et en faire une composante de la négociation collective traditionnelle. Curieusement les syndicats de l'espace OHADA hésitent à se risquer sur le terrain inconnu de la participation des salariés au capital. Ce manque d'intérêt peut s'expliquer par l'absence de maîtrise des réalités économiques et financières et surtout par le fait que la préoccupation majeure immédiate des salariés reste l'amélioration des conditions de travail et la hausse des salaires. Pour Jean Christophe Le DUIGOU, responsable des études économiques à la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), cela ne constitue ni un axe politique pour l'entreprise, ni un axe revendicatif pour les salariés156(*). Dommage, estime l'économiste Michel AGLIETTA : «Les syndicats doivent retrouver un rôle de médiation auprès des salariés et réinvestir le champ financier »157(*) . Ce travail fut passionnant du fait même de l'étendue des thèmes abordés et des enjeux mis en évidence. L'actionnariat salarié se situe aujourd'hui à la croisée des chemins. Si sa place est encore marginale dans les entreprises de l'espace OHADA et qu'il rencontre des réticences fortes et durables, il n'en demeure pas moins évident que ce phénomène est en train de gagner en intensité et s'impose aux sociétés et aux salariés comme une réponse efficace et adaptée à un certain nombre de contraintes économiques et financières des sociétés anonymes. Au - delà de son aspect financier, l'actionnariat salarié constitue un levier pour mettre en oeuvre une réflexion plus vaste sur les rapports du pouvoir au sein des entreprises, le gouvernement d'entreprise. Pour finir, il faut préciser que l'essor de l'actionnariat salarié ne s'explique pas seulement dans le cadre d'une participation voulue par les entreprises et les salariés, mais par l'action déterminante du législateur. Il doit intervenir directement ou indirectement pour encourager le développement des opérations d'actionnariat en accordant des avantages fiscaux et sociaux. Ainsi, la voie est ouverte à une réflexion sur les incidences fiscales de la participation des salariés au capital de leur société quand bien même la matière de la fiscalité relève, pour l'instant, de la souveraineté des Etats parties au Traité de 1993. * 152 Voir les articles 64 et s. CTTI. * 153 C'est la souffrance qu'éprouve quelqu'un qui ne peut satisfaire un désir dont l'objet reste cependant à sa portée. * 154 OHADA : Présentation Générale du 31 mai 1999, Secrétariat de l'OHADA, p. 3. * 155 Gérard CHARREAUX, « Le rôle de la confiance dans le système de gouvernance des entreprises », in Economie et Sociétés, Série S.G., n°8-9, p.47-65,1998. * 156 Anne TEZENAS DU MONTCEL, « Paix sociale, cohésion interne, arme anti-OPA : l'entreprise a tout à y gagner... et les salariés », in Enjeux- Les Echos, Décembre 1998. * 157 Anne TEZENAS DU MONTCEL, ibidem. |
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