La participation du salarie au fonctionnement de la societe anonyme en droit ohada( Télécharger le fichier original )par Essoham Komlan ALAKI Université de Lomé - DESS Droit des affaires 2004 |
Section I - L'accès du salarié au Conseil d'Administrationde la sociétéL'accès du salarié au Conseil d'Administration est la faculté qui lui est offerte de cumuler son contrat de travail avec les attributions d'administration de la société. Le cumul, c'est l'addition de deux actes dont chacun, pris isolément, est en principe parfaitement régulier. Cumuler, c'est donc « exercer plusieurs emplois en même temps, percevoir plusieurs traitements, avoir en même temps plusieurs titres »15(*). Actuellement, les conditions de cumul de la qualité de salarié et d'administrateur sont définies à l'article 426 AUDSCGIE. En effet, deux situations sont concevables : ou bien le salarié est nommé administrateur, ou bien l'administrateur en place veut, pour diverses raisons, se faire consentir un contrat. Cette deuxième hypothèse, soumise aux conventions réglementées16(*), n'est pas concernée par cette étude. Seule l'étude de la première est envisagée. Longtemps considéré comme la seule possibilité offerte au salarié de se faire un nom dans la SA de la loi française du 24 juillet 196617(*), le cumul demeure malheureusement l'unique tentative réelle d'intégration du salarié dans le droit uniforme (AUDSCGIE), malgré les diverses réformes de la loi précitée dont il s'est inspiré en 1998. Il constitue une forme de participation volontaire, non obligatoire. L'analyse des textes montre que le législateur OHADA s'inscrit dans la ligne de la jurisprudence française18(*) qui a dégagé les conditions - désormais solidement fixées - du cumul (Paragraphe I) ainsi que son incidence sur le sort du contrat de travail originaire du salarié (Paragraphe II). Paragraphe I - Les conditions du cumul d'un contrat de travailavec un mandat social.La possibilité de cumuler le mandat social (administrateur) et de salarié (contrat de travail), exceptionnelle dans l'esprit de la loi, doit permettre aux cadres d'accéder au Conseil d'Administration et de faire ainsi profiter la société de leur compétence et de leur expérience, tout en conservant les avantages, de sécurité notamment, de leur contrat de travail. La portée de la règle du cumul est limitée. Néanmoins, pour qu'un salarié puisse bénéficier de ce privilège sans rompre son cordon ombilical, la loi exige principalement l'accomplissement d'une condition explicite : l'activité, objet du contrat de travail, doit être effective (A). Aussi, ne doit-on pas oublier que l'effectivité du cumul est subordonnée à d'autres conditions implicites mais nécessaires (B). A - L'exigence de l'effectivité du travailCette exigence de l'article 426 AUDSCGIE vise à rappeler au salarié devenu administrateur que son origine est le contrat de travail et non la détention d'une portion du capital social. Ainsi, il est intéressant de comprendre cette notion lapidaire de travail effectif (1) du contrat afin de pouvoir bien l'apprécier (2). 1 - La notion de travail effectif
Le caractère laconique de l'article 426 AUDSCGIE conduit à affirmer que le législateur subordonne le cumul à la qualité même de salarié. Car, pour être en mesure d'exercer une activité professionnelle effective, il faut être titulaire d'un contrat de travail effectif19(*). L'effectivité du travail signifie que le salarié doit accomplir sa prestation (manuelle ou intellectuelle) dans une logique de subordination réelle, en état de recevoir des ordres, de les exécuter et de subir les sanctions résultant de la mauvaise exécution de cette prestation. Dans l'esprit du législateur, le cumul ne doit pas être à l'origine d'emplois fictifs destinés à procurer à certains administrateurs ou actionnaires une rémunération supplémentaire et des garanties du droit social20(*). De plus, cette condition contribue à éviter la fraude à la révocabilité ad nutum des administrateurs prévue à l'article 433 al. 2 AUDSCGIE. Par ailleurs, il est à préciser que l'effectivité de l'emploi doit exister et être constatée antérieurement à la nomination aux fonctions d'administrateur et se maintenir durant ce mandat, sous réserve d'une suspension expresse ou tacite du contrat de travail. Etant donné, toutefois, que le cumul des statuts de salarié et de mandataire social crée des tentations à la fraude, l'exigence du caractère effectif de l'emploi doit être appréciée à l'aune des critères classiques dégagés par la jurisprudence. 2- Les critères d'appréciation de l'effectivité de l'emploi Dans la mesure où l'existence du mandat social est rarement contestée, la preuve d'un cumul éventuel porte sur la survie et l'exécution du contrat de travail. Cette preuve sera administrée, en règle générale, par l'accumulation de « présomptions graves, précises et concordantes » : la jurisprudence se fonde depuis longtemps sur l'exercice de fonctions distinctes (a) et sur l'exercice de fonctions subordonnées (b). a- L'exercice de fonctions distinctes Il se traduit par l'existence de fonctions déterminées et effectives. De la sorte, l'existence du mandat social peut être établie par Procès- Verbal relatant les séances du CA ou de l'AG ainsi que le rapport spécial du commissaire aux comptes (C.A.C)21(*). Dans la plupart des cas où le contrat de travail est antérieur au mandat social, le défaut de mention relatif à la qualité du nouveau mandataire peut se révéler fort dangereux.22(*) En outre et concernant le contrat de travail, l'accent est d'abord mis sur la concordance entre la qualification professionnelle et les caractéristiques exactes de l'intéressé. Cette opération ne provoquera pas de difficultés majeures quand le contrat mentionne une fonction précise telle que «chef de fabrication» ou «directeur commercial».23(*) En revanche, l'existence du contrat de travail sera, toutes choses égales par ailleurs, infiniment plus délicate à établir à partir d'un titre ou d'une fonction au contenu imprécis. Ainsi, le seul terme de directeur ou de directeur technique et administratif qui n'est complété par «aucune attribution distincte particulière» fait présumer la confusion de fonctions.24(*) Il importe que le contrat de travail définisse des attributions assez limitées pour ne pas se confondre avec le mandat social, mais assez importantes également pour ne pas apparaître comme un simple prolongement dudit mandat. Par ailleurs, la distinction de la fonction de direction générale (mandat social) et d'une fonction technique (contrat de travail) est caractérisée par le versement d'un salaire distinct de la rémunération « commerciale » (jetons de présence, tantièmes, etc.)25(*) correspondant à l'exécution du mandat social et prévue à l'article 430 al. 1er AUDSCGIE 26(*). Le caractère fictif du contrat de travail pourra alors être déduit, par exemple, de la clause fixant un salaire « identique aux indemnités accordées aux mandataires exerçant les fonctions de directeur général adjoint » comme l'a décidé une cour d'appel27(*) . La confusion de rémunération recèle la confusion de fonctions. Bien que la double rémunération relevée à l'avant- garde des décisions jurisprudentielles ne soit pas le critère décisif 28(*), l'existence d'un salaire et son payement est un indice sérieux dans l'établissement de fonctions distinctes pour un salarié administrateur. Il s'ensuit que lorsque la rémunération est unique, le juge peut être amené à conclure qu'elle ne concerne que le contrat de travail et que le mandat social est gratuit ou vice versa. Aux critères de fonctions distinctes s'ajoute celui non moins important de fonctions subordonnées. b- L'exercice de fonctions subordonnées La qualité de salarié suppose l'existence d'un lien de subordination juridique à l'égard de l'employeur. Dès lors, le cumul n'est licite que si l'exercice du mandat social ne confère pas à son titulaire des pouvoirs exclusifs de tout lien de subordination. On entend par fonctions subordonnées, celles qui sont exercées sous la responsabilité d'un supérieur hiérarchique et qui font naître chez le concerné la crainte d'une révocation29(*). Pour avoir une idée de ce qu'est une fonction subordonnée, il faut prendre l'hypothèse du cumul des mandataires sociaux investis personnellement d'une fonction de direction générale. C'est le cas lorsque le salarié, exerçant une fonction technique, accède à un poste de Directeur Général ou de Président Directeur Général tel que prévu par l'Acte Uniforme. Si l'on examine la situation du Président Directeur Général dans l'optique d'une recherche juridique du lien de subordination, on sera peu enclin à admettre qu'il puisse exercer une activité spécialisée en état de subordonné. Le pouvoir de direction générale dont il est investi par la loi 30(*), en le plaçant à la tête de l'entreprise sociétaire, lui confère en effet le pouvoir hiérarchique du chef, c'est- à- dire, ce pouvoir de donner des ordres aux salariés et de les sanctionner. Ce pouvoir lui appartient et ne peut appartenir aux autres organes de la société, y compris celui de mettre fin à leur mandat31(*). Certes théoriquement, l'assemblée générale des actionnaires peut révoquer le Président Directeur Général; mais dans la pratiqué, tant qu'il est en fonction, il est le seul organe habilité à donner des ordres aux salariés de la société et de décider de leurs licenciements y compris le sien. On conclut alors qu'en raison de son statut de dirigeant social, le Président Directeur Général ne peut prétendre, dans la pratique, exercer une fonction subordonnée. En revanche, lorsqu'un salarié accède à la fonction de Directeur Général d'une SA avec Président du Conseil d'Administration et Directeur Général, et continue d'exercer l'activité spécialisée pour laquelle son contrat de travail a été conclu, il est possible cette fois d'admettre l'existence d'un lien de subordination permettant de sauvegarder le cumul. Tant par la fonction que lui assigne la loi d'assister le Président du Conseil d'Administration à titre de Directeur Général que par la plénitude de pouvoirs dont il dispose vis- à- vis des tiers32(*), il est certain que le Directeur Général est investi du pouvoir hiérarchique dans l'entreprise sociétaire. Il reste cependant un subordonné du Président du Conseil d'Administration à qui la loi attribue la responsabilité de la direction générale33(*). Cela peut sembler paradoxal. L'imprécision des conditions explicites du cumul par le législateur a permis de faire une large part à la jurisprudence. Par ailleurs, il y a lieu de mentionner que la validité du cumul est aussi subordonnée à la réalisation de certaines conditions implicites. * 15 Petit Dictionnaire français, Larousse nouvelle édition, 1990 ; V. Cumul. * 16 Article 438A.U.D.S.C.G.I.E * 17 Philippe MERLE, Droit Commercial : Sociétés Commerciales, Précis Dalloz, 5e éd; Paris,1996, p.530, n°529. * 18 Req. 12 décembre 1892, D.P 1893, I, 164 Arrêt Karcher. * 19 Le contrat de travail est la « convention par laquelle une personne, le salarié, met son activité professionnel à la disposition de l'employeur ou patron, qui lui verse en contrepartie un salaire et a autorité sur elle » ; Lexique des termes juridiques, 12e éd. 2001. Voir article 2 al. 1 CTT (ordonnance n°16 du 8 mai 1974 portant Code du Travail au Togo) et article 2 CTI (Loi n°95 - 15 du 12 janvier 1995 portant Code du Travail en Côte d'Ivoire). * 20 Philippe MERLE, ouvrage précité, p.381. * 21 Cass. Com. 24 février 1976, Bull. civ. 1976, IV, n°60. * 22 Rennes, 14 janvier 1975 in Philippe MERLE, L'application jurisprudentielle de la loi du 24 juillet 1966, n°246 in GP 1978, p. 146. * 23 Paris 6 nov. 1973, in Philippe MERLE, L'application jurisprudentielle de la loi du 24 juillet 1966, n°243 in GP 1978, p. 146. * 24 Rennes, 14 janvier 1975 préc. * 25 Philippe LAURENT, « Le salaire des dirigeants sociaux titulaires d'un contrat de travail », GP du 28 mars 1978, p.148. * 26 « Hors les sommes perçues dans le cadre d'un contrat de travail, les administrateurs ne peuvent recevoir, au titre de leurs fonctions, aucune autre rémunération, permanente ou non, que celle visées aux articles 431 et 432 du présent Acte Uniforme ». * 27 Limoges 19 mars 1971 in Ph. MERLE précité. * 28MESTRE (Jacques) et autres : Lamy Sociétés Commerciales 2001 n°3345 c p.1466. * 29 C'est le critère psychologique suggéré par M. DESLANDES in « Réflexions sur le cumul d'un mandat social », D.1982, chr, p.20. * 30 Article 465 al 2 AUDSCGIE : « Il assure la direction générale de la société et représente celle-ci dans ses rapports avec les tiers » * 31 M. DESLANDES, op. cit p. 21. * 32 V. articles 487 à 490 AUDSCGIE * 33 (J.)HEMARD, (F.) TERRE et. (P.) MABILAT, Sociétés Commerciales, tome 1 p.880. |
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