La consécration d'une véritable notion juridique de régulation au sein de l'UEMOA et de l'UE( Télécharger le fichier original )par Djibril WELLE Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master Droit de l'Intégration et de l'OMC 2007 |
INTRODUCTION GENERALE:D'un magistrat ignorant, c'est la robe qu'on salue ! Jean de la FONTAINE : « Fables, l'Ane portant des reliques ». La recomposition de l'environnement juridique mondial sous les auspices des lois du marché, suscite des enjeux importants relativement à la croissance économique des nations. Elle impulse une nouvelle dynamique de construction des paysages normatifs, qui semble s'orienter aujourd'hui vers une gestion communautaire des intérêts nationaux1(*). En Europe, l'intégration régionale, élevée au rang de palier fondamental entre l'ordre juridique interne et communautaire, prend ancrage dans une rationalisation de système juridique à l'instar de l'U.E. En Afrique, avec la mondialisation et la libéralisation, la nécessité de l'intégration et de l'harmonisation des systèmes normatifs s'est imposée progressivement. Aussi, la mise en place de la C.E.D.E.A.O, de l'U.E.M.O.A et de l'O.H.A.D.A2(*), dans l'espace communautaire ouest africain, a pour objectifs majeurs, de renforcer la compétitivité des Economies des pays concernés, de coordonner entre autres leurs politiques sectorielles nationales par la mise en place d'action commune et éventuellement de politique dans les principaux domaines d'activités commerciales. Avec l'ouverture progressive à la concurrence, les missions assignées aux organismes d'intégration régionale, ne peuvent s'accomplir valablement sans la mise en place de normes régulatrices de branches économiques particulières3(*), dont le point commun est d'être des secteurs qui n'ont pas en l'état, la capacité intrinsèque de produire leur propre équilibre. Ces secteurs doivent alors être régulés, parce qu'ils souffrent de faiblesses. C'est le rôle de la régulation économique, qui s'exerce sur les bases du droit de la concurrence. En effet, la régulation est un concept qui est intrinsèquement lié à la notion de concurrence. A ce propos, le droit communautaire de la concurrence peut être définie comme l'ensemble des règles juridiques édictées par les organisations d'intégration régionale pour régir les rapports et la compétition économique entre les professionnels que sont par exemple les entreprises ou les commerçants qui se disputent une clientèle4(*). Dans cette optique, on peut d'emblée noter que, réfléchir en Afrique de l'Ouest sur le droit communautaire de la régulation, revient pour l'essentiel à se pencher sur le droit de la concurrence de l'U.E.M.O.A. Car, c'est cette organisation d'intégration qui, non seulement apparaît comme la plus effective dans l'espace géographique visé, mais surtout comme celle qui a, jusque-là, édicté en ce domaine des règles significatives à même de constituer un véritable droit de la concurrence5(*). A cet effet, on peut souligner que c'est à partir des années 1990 que l'on notera l'émergence d'un véritable droit autonome de la concurrence au sein de l'espace U.E.M.O.A, non seulement dans les différents pays membres pris individuellement, mais plus particulièrement au niveau communautaire6(*). Dans l'espace européen par contre le processus de création d'une régulation effective est amorcé depuis l'arrêt « Continental Can »7(*) de la Cour de Justice de la Communauté Européenne (C.J.C.E) du 21 Février 1973. Concernant cette Union8(*), on dira que c'est une organisation intergouvernementale et supranationale composée de vingt sept (27) États née le 0 7 Février 1992, lors de la signature du Traité sur l'Union européenne à Maastricht par les douze (12) Etats membres de la Communauté économique européenne (C.E.E). Cependant, pour un propos plus limpide, on relèvera que c'est à partir de la fin des années 1960 que le paradigme des relations entre l'État et le marché, entre la sphère de l'intervention publique et celle de l'initiative privée, a été profondément remis en cause aux États-Unis. Depuis l'immédiate après guerre en effet, l'État, dans les pays occidentaux, avait été amené à intervenir à la fois massivement et directement dans le fonctionnement de l'économie. Il s'agissait de faire face aux nouvelles exigences sociales, engendrées par la seconde guerre mondiale et à une entreprise de reconstruction massive entreprise par les États. Cette intervention répondait également aux prescriptions de théories centrées sur les équilibres macro-économiques, nées dans les années 1930 et inspirées du Keynésianisme. De ce fait, on peut retenir que face aux changements de rapports dans l'économie, le droit de la concurrence et plus particulièrement de la Régulation, aura une place de choix dans l'action de l'État. Elle retiendra notre attention, en raison notamment de la place capitale qu'elle occupe dans le schéma d'intégration mis en chantier par les institutions communautaires, et du grand intérêt qu'elle revêt en cette époque d'ouverture où la survie des acteurs économiques dépend en grande partie de leur capacité à résister à la concurrence9(*). Sous cette récente évolution, on désignera par le terme de « Régulation », en donnant alors à ce terme éminemment polysémique son acception anglo-saxonne et micro-économique, par l'ensemble des techniques qui permettent d'instaurer et de maintenir un équilibre économique optimum qui serait requis par un marché qui n'est pas capable, en lui-même, de le produire. En outre, poser la consécration d'une véritable notion juridique de Régulation par le juge communautaire, revient à analyser sa reconnaissance, son sacrement par celui-ci. Du coup, c'est voir l'impact de son approbation dans l'équilibre économique visé par le droit de la concurrence. L'équilibre économique optimal étant classiquement réalisé par la situation de concurrence pure et parfaite. Cet équilibre se trouve, selon la théorie classique dans l'état de concurrence10(*). Dans cette optique, la régulation a pour but d'instaurer et de préserver cette concurrence. Il s'agit alors de favoriser l'entrée sur le marché communautaire de nouveaux compétiteurs, de lutter contre les distorsions de la concurrence, notamment les abus de position dominante, voire de limiter les situations de monopole. A cet égard, la régulation constitue un nouveau mode d'intervention de la puissance publique dans les secteurs où l'Etat entreprend la construction du marché et doit garantir la fourniture du service11(*). Avec l'accélération des innovations et l'ouverture généralisée12(*) des marchés, cette mission de l'Etat se pose encore avec plus d'acuité. De fait, face à l'existence ou à la menace permanente des pratiques portant atteinte à la concurrence, il s'avère aujourd'hui plus que nécessaire d'élaborer et de mettre en oeuvre un corps de règles les réprimant, un ensemble de règles régulant ou disciplinant la concurrence, ou, en d'autres termes, un droit de la Régulation. Parce que, tout le monde est aujourd'hui convaincu que, pour soutenir la croissance, l'Economie d'un pays doit s'appuyer sur un système juridique solide et une régulation efficace. Mais, on notera aussi que l'exercice libre et confiant des activités économiques, indispensable au bon fonctionnement d'une économie, exige des dispositifs de régulation solides, qui renforcent le dynamisme du marché, en favorisant une concurrence saine et loyale dans un secteur déterminé. En effet, si le régulateur est tout entier guidé par la construction d'équilibres à la fois intrinsèques et artificiellement créés du secteur, le système doit protéger celui qui a le moins les moyens d'y jouer son jeu13(*). Car, une régulation équitable et indépendante, assure assurément aux différents opérateurs présents sur le marché, sécurité et confiance. Cette dernière, constitue une donnée sans laquelle l'activité économique ne peut valablement s'exercer. C'est pour cela que le G8 a élevé la Régulation au rang des ses valeurs et principes communs lors du sommet d'Evian.14(*) Récent en Europe, et plus précisément dans l'espace U.E.M.O.A, ce concept multivoque, voire ambiguë, nécessite que les contours de sa et/ou ses définitions soient clairement posés. Bien qu'il n'y ait pas de définition figée de la Régulation, le dictionnaire «Le Larousse » en présente une, assez fiable que nous reprendrons à notre compte. Pour ce dictionnaire en effet, la Régulation est « l'ensemble des mécanismes permettant le maintien de la constance d'une fonction ». La régulation peut alors immédiatement prendre une connotation négative, en signifiant : contrôle, immobilisme, conservatisme15(*). Mais, sa signification va au-delà de ce premier aperçu. Très usitée dans les sciences exactes (sciences physiques, biologie, mécanique...), le concept de régulation, a aujourd'hui pénétré les sciences sociales. Pour la plupart des auteurs, la régulation n'a pas de portée juridique particulière, c'est une notion descriptive qui renvoie à l'utilisation des procédés de police en matière économique16(*). Pour Marie-Anne Frison-Roche, il s'agit d'une nouvelle branche du droit, exprimant un nouveau rapport entre le droit et l'économie « regroupant l'ensemble des règles affectées à la régulation de secteurs qui ne peuvent engendrer leurs équilibres par eux-mêmes », dans un cadre concurrentiel17(*). Selon Richard Descoings18(*), au contraire, si l'on prend la notion de régulation au sens large, on dira qu'il s'agit de fournir des règles pour organiser des comportements, pour ordonner des espaces, pour faire coexister les intérêts légitimes de personnes concernées dans tel ou tel secteur, à telle ou telle échelle. Cette régulation au sens large renvoie à la question du gouvernement des nouveaux espaces, que la seule puissance des États isolés, ne suffit plus (plus totalement en tout cas) à saisir. La régulation est de ce fait, le procédé qui permet d'assurer l'équilibre dans le fonctionnement d'un système. Le procédé induit inévitablement l'implication d'une sorte d'arbitre qui ne peut être l'Etat ou ses démembrements. Ainsi, le droit communautaire de la régulation, tel que la présente étude se propose de le faire, implique avant toute chose que les règles du jeu s'imposant aux acteurs du marché ne soient pas figées et qu'une autorité administrative indépendante prend au cas par cas les décisions nécessaires. Dans cette acception, la régulation est même aujourd'hui érigée en réalité incontournable du débat politique, en concept phare de l'économie publique et en attribut indispensable de toute science administrative un peu moderne19(*). De surcroît, dans le cadre d'un processus d'intégration régionale, ce Droit, en interdisant certaines pratiques comme les ententes et les abus de position dominante, empêche que des opérateurs économiques se constituent en barrières à la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. De la sorte, le droit communautaire de la Régulation contribuera à l'unification du marché commun. Dans la progression de cette logique, on soulignera que la mise en place des organismes régionaux serait un vain mot, si le juge ne garantissait pas l'application effective des normes instituées. Et comme pour l'ensemble des autres branches juridiques, les décisions des tribunaux occupent une place importante dans la formation du droit économique. Ce qui ne constitue pas d'ailleurs une « révolution culturelle»20(*), si l'on sait que cette posture de contrôle est même l'essence de l'existence du juge. Aussi, celui-ci est naturellement amené à produire des décisions de justice qui auront inévitablement un impact plus ou moins important dans l'ordonnancement juridique. Cependant, pour une certaine frange de la doctrine, la jurisprudence ne saurait avoir le dernier mot. Selon elle21(*), le législateur, soucieux de défendre certains intérêts, notamment socioprofessionnels, n'hésite pas à condamner sans scrupules certaines avancées du juge. Ce souci de contrôle de l'action du juge n'enlève en rien la teneur de son message22(*) ainsi que sa force dans l'encadrement et l'efficacité de la régulation économique. Ceci, est d'autant plus actuel que dans le contexte des grands regroupements régionaux, les tentations de transgresser les règles posées et les dispositifs de régulation mises en place ne manquent pas.23(*) Ainsi donc, le juge est naturellement amené à sanctionner avec la pleine mesure qui sied, les écarts, abus et transgressions notés dans l'exercice « d'échanges » que l'on se veut justes et équitables. C'est à cet effet, qu'il convient d'analyser le sujet autour de la problématique suivante : quelle est l'impact de la consécration d'une véritable notion juridique de régulation dans l'activité économique, notamment au sein de l'U.E et l'U.E.M.O.A? Autrement, on essayera d'analyser l'irradiation de cette consécration au sein de l'U.E et les effets de son absence dans l'U.E.M.O.A. Au vu de ce constat, on retiendra que dans sa conception pleine et entière, le droit communautaire de la Régulation de l'U.E.M.O.A est encore au stade de balbutiement. A cet effet, il gagnerait à s'inspirer de l'Union européenne qui est une construction d'un nouveau type, sans précédent historique, dans la perfection de l'élaboration des règles et la « maturité » des institutions. Celle-ci est une structure supranationale hybride empreinte à la fois de fédéralisme et d'inter gouvernementalisme. Et pour mettre en place les conditions d'une bonne activité économique, épurée de toute de distorsion, les règles justes et des institutions performantes ne suffissent assurément pas. En ce sens, l'institution de juridictions indépendantes et autonomes, suppléées par des autorités administratives indépendantes, vigilantes, peut être un gage de confiance à la veille à l'application stricte des dispositions prises. C'est dans ce sens, qu'il nous semble intéressant, de poser la régulation dans toutes ses acceptions d'abord (Premier partie), afin de relever en quoi sa consécration, influe-t-il sur le fonctionnement d'une concurrence juste et libre dans un espace donné (Deuxième partie). Première Partie : Tentative d'une définition de la notion juridique de Régulation. La construction du droit de la régulation se pose progressivement et en grande partie sur les bases des organisations économiques tournées vers les monopoles d'Etats. Au demeurant, il faut souligner qu'un consensus sur le concept de régulation ne s'est pas encore dégagé, en raison notamment de son caractère multivoque et polysémique. Aussi, plusieurs définitions de la régulation demeurent recevables24(*) (Chapitre Premier). Ce qui n'entame en rien l'efficacité de sa mise en oeuvre (Chapitre Deuxième). * 1 Abdoullah Cissé, L'harmonisation du droit des affaires en Afrique : L'expérience de l'ohada à l'épreuve de sa première décennie, Revue Internationale de Droit Economique 2004- 2 (t. XVIII, 2)| ISSN 1010-8831 | ISSN numérique : en cours ISBN : 2-8041-4450-X | page 197 à 225. * 2Toutefois, au-delà des soucis de rationalisation du système juridique africain, le Traité de l'OHADA s'inscrit dans un vaste mouvement de régulation des relations juridiques supervisé par les institutions financières internationales et ressortissant de la logique de fonctionnement du marché. * 3 Télécoms, Banques, Marchés financiers, etc. * 4 Rapport 2002 ; OMC ; « Marché et concurrence : Globalisation et transparence». * 5 COULIBALY Abou Saib ; Docteur en Droit, Maitre-assistant, UFR /SJP Université de Ouagadougou, « Le Droit de la Concurrence de L'Union Economique et Monétaire Ouest Africain ». * 6 On notera que c'est dans le cadre de l'Organisation Commune Africaine et Malgache que le Bureau Africain et Mauricien de Recherches et d'Etudes Législatives (BAMREL) fut crée pour l'élaboration de lois unifiés s'appliquant directement dans les Etats d'Afrique francophone. Cependant, cela s'avère être un échec ! * 7 Il s'agit d'un recours en nullité des sociétés continental can Company, établie à New York, et de sa filiale Europemballages Corporation, établie à Bruxelles, contre une décision de la Commission du 9 décembre 1971, relative à une procédure d'application de l'article 86 du Traité. * 8 L'Union européenne est une construction d'un nouveau type, sans précédent historique, entre des États différents appartenant à l'Europe. L'Union européenne, en tant qu'institution, ne dispose pas de la personnalité juridique. Elle dispose cependant de compétences propres ( politique agricole commune (PAC), pêche, etc.), ainsi que des compétences qu'elle partage avec ses États membres. Il s'agit d'une organisation qui combine, suivant les domaines d'actions, le niveau supranational et le niveau intergouvernemental, sur un champ géographique restreint (comme le Mercosur, l' Association des nations de l'Asie du Sud-est, etc.) mais avec un rôle politique propre plus important que pour les autres organisations et un pouvoir de contrainte sur ses membres plus important. * 9 COULIBALY Abou Saib ; Docteur en Droit, Maitre-assistant, UFR /SJP Université de Ouagadougou, « Le Droit de la Concurrence de L'Union Economique et Monétaire Ouest Africain ». * 10 Bertrand du MARAIS ; « Droit public de régulation économique » ; Page 482. * 11 Gérard Marcou, Pr. à l'Université Paris I (Panthéon Sorbonne): La régulation exprime ainsi la responsabilité ultime des gouvernants quant au niveau de satisfaction de certains besoins considérés comme essentiels. * 12 Mondialisation (globalisation). * 13 Par exemple le consommateur qui est très préoccupé par un service de qualité à des prix accessibles. * 14 Pr. Abdoulaye SAKHO, Cours DESS Droit du cyber espace africain, « La régulation des Télécommunications », 2007-2008. * 15 Cette notion n'est peut-être pas absente de l'esprit de certains. Pour les technocrates Jacobins, elle rejoindrait l'idée d'un contrôle ferme exercé par l'Etat sur les marchés. Au contraire, elle est critiquée par les libéraux viscéralement opposés à tout contrôle. * 16 A-S. Mescheriakoff, Droit public économique, PUF, coll. Droit fondamental, 1994 ; D. Linotte et Romi, Services publics et droit économique, Litec, 4e éd., 2001. * 17 Marie-Anne Frison-Roche ; Le droit de la régulation, Dalloz ; 2001 Chron. Page 610. * 18 Conseiller d'État, directeur de Sciences-Po, in « La nécessité d'une réflexion générale et croisée sur la régulation: L'autorité du régulateur ». * 19 Bertrand du Marais, Droit public de la régulation économique, Page 482. * 20 Pr. Jean PAILLUSSEAU Prospectives du Droit économique, Dialogues avec Michel JEANTIN, Dalloz, p 97. * 21 Prospectives du Droit économique, Dialogues avec Michel JEANTIN, Philippe DELEBECQUE (Clausula, Clausulae, Clausularum..., Dalloz, p 34 ; Michel JEANTIN. * 22 Bien que nul ne doute que la jurisprudence soit, dans une certaine mesure, une source du droit. * 23 Exemple : Arrêt de la Cour, 20 Juin 2001, Société des Ciments du Togo SA/La Commission de l'UEMOA, que nous développerons dans les pages qui suivent. * 24 V. Les différentes définitions de la régulation, in « La régulation : monisme ou pluralisme ? », n° spécial des Petites Affiches, 10 juil. 1998, p. 5 et s. Sur le principe même de la pertinence de plusieurs définitions, v. A. Jeammaud, Introduction à la sémantique de la régulation juridique. Des concepts en jeu, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, coll. « Droit et société. Recherches et travaux », 1998, p. 47-72, p. 53. |
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