1.3.2
Lucien Goldmann
Parler de la sociocritique sans parler de Lucien Goldmann
serait une déroute. Lorsqu'il s'est agi de faire une analyse embrassant
l'oeuvre en tant que produit de la société, Lucien Goldmann qui
est le disciple de Lukács n'a pas cessé de retravailler la
théorie sociocritique pour l'enrichir.
C'est pourquoi, en apportant sa quote-part sien sur les
analyses de Georges Lukács, il en vint à parler du héros
« démoniaque » de Lukács comme héros
« problématique ». Dans un monde
dégradé, un héros de roman comme Pierre Landu de Entre
les eaux de Valentin Yves Mudimbé ne peut manquer
d'être problématique parce que sa quête ne sera jamais
réalisée.
Nous avons montré le principe de l'Ironie dans les
analyses de Lukács. Michel Laronde se montre tout cohérent en
prenant les deux auteurs comme des gémellités :
« L'ironie est présente [...] puisqu'elle est prise dans un
sens large, la base rhétorique fondamentale [...].» (1996 :
13).
Lucien Goldmann, est convaincu que plus l'écriture
s'attache à la forme, plus l'ironie se glisse subtilement dans les
failles du canon de la langue par laquelle passe la culture.
Nous avons rappelé plus haut l'importance du marxisme
pour éclipser les heurts causés par la société de
production entraînée pour le marché. Ce n'est que dans
cette société où les valeurs disparaissent.
Bergez lui-même abondera dans le sens de
Goldmann :
« La sociocritique a de plus l'avantage de faire
bouger cette avancée du marxisme en un domaine sensible et
particulier : Le marxisme est en effet aujourd'hui la
référence constante et obligée ; en même temps
qu'en ses textes fondateurs et en ses pratiques il lui faut bien
reconnaître que quelque chose se passe et s'est passé qu'à
son stade canonique il n'avait pas conçu » (1999 :
123).
Parlant du héros problématique, Lucien Goldmann
semblait déjà opposer ces deux idéologies dans l'univers
romanesque.
Bergez ajoute : « Sociocritique
désignera donc la lecture de l'historique, du social, de
l'idéologique, du culturel dans cette configuration étrange
qu'est le texte. » (1999 : 123).
L'explication de la littérature par les rapports
sociaux et les luttes de classes est donc inévitable et
programmée pour une théorie du superstructurel. Pour Goldmann,
comme le droit, la politique, comme les idées et l'idéologie, la
littérature et la culture devaient être repensées comme
effets et comme moyens d'une dernière instance économique et
sociale. L'héritage culturel devait donc être relu à la
lumière de « la dialectique historique ». Le
nouveau matérialisme faisant étrangement irruption dans le roman,
Lucien Goldmann après Lukács allait analyser cette situation.
Goldmann se voit parmi les gens chosifiés et
s'identifie à tout lecteur non encore conscient de cette
« machinerie » où le monde romanesque est
plongé. Ainsi pour Bergez et al « Tout lecteur est un moi,
venu de relations parentales et symboliques qui, elles aussi, le
déterminent et lui ouvrent des espaces de recherche et
l'interprétation » (1999 : 144).
Dans l'exposition des idées sociocritiques de
Goldmann, son oeuvre Pour une sociologie du roman (1964)
reste la plus célèbre. Pour Lukács, « le
héros démoniaque du roman est un fou ou un criminel, en tout cas
[...], un personnage problématique » (1964 : 24).
Tant que l'échange reste vraiment sporadique et vif,
parce qu'il porte surtout sur les excédents ou qu'il a le
caractère d'un échange de valeurs d'usage que des individus ou
des groupes ne sauraient produire à l'intérieur d'une
économie essentiellement naturelle, la structure mentale de la
médiation n'apparaît pas secondaire. La transformation
fondamentale dans le développement de la réification dans le
monde romanesque résulterait de l'avènement de la production pour
le marché.
Et Goldmann se résume ainsi : « La forme
romanesque nous paraît être [...] la transposition sur le plan
littéraire de la vie quotidienne dans la société
individualiste née de la production pour le marché »
(1964 : 36). Dans son Dieu caché, Goldmann insiste sur le
caractère transindividuel d'une oeuvre dans la société.
Dans le corpus Noces sacrées que
nous traitons, il est remarquable que le masque - dieu N'tomo devient l'objet
du commerce, ce qui rend son vendeur éminemment problématique.
D'où le mariage est adéquat entre la théorie Goldmannienne
et le roman Noces sacrées. Pour lui, il faut
« confesser le bien et la vérité en face d'un monde
radicalement mauvais » (1955 : 158).
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