2.5.2.
La permanence de la tradition
« Celui qui n'entend plus la voix de ses dieux se
fait surprendre par le malheur » (Bernard Dadié,
Béatrice du Congo).
Cette citation de Bernard Dadié va dans le sens de ce
que nous allons montrer dans ce point. En effet, Badian dans Noces
sacrées montre des traits dans lesquels se manifeste la
fidélité à une tradition qui, en dépit des
vicissitudes de l'histoire, continue d'inspirer beaucoup d'écrivains
dont le plus important est ici Seydou Badian.
Jacques Chevrier parle de Noces sacrées en ces
mots pour expliquer cette permanence : « Les hommes ont su
garder intacte la foi ancestrale qui leur permet d'exorciser, le moment venu,
les démons de la démesure et de restaurer dans l'union
sacrée l'équilibre menacée du clan »
(1981 : 6).
Les différents genres qu'on trouve dans Noces
sacrées appuient la mise en récit de cette permanence
de la tradition. Dans Dynamique des genres dans le Roman africain
(1999), Semujanga parle des genres comme faisant l'esthétique de
l'oeuvre à analyser. Il stipule : « De cette aptitude au
détour des genres constitués [...] se construit la dimension
esthétique du roman » (1999 : 64).
Le roman Noces sacrées n'a pas
manqué à faire mention de cette permanence de la tradition
où on retrouve les devins, les sorciers, le culte des ancêtres,
survivants par des forces extraordinaires, ...C'est pourquoi N'tomo dont on
parle beaucoup dans ce roman est « un masque humain surmonté
de cornes » (N.S. : 13). Le dieu de la jeunesse, à la
fois masque humain témoigne de l'union entre les hommes et les dieux.
Quand on violait l'interdit en Afrique traditionnelle, les conséquences
pouvaient être immédiates. Besnier est le point de
cristallisation des tourments causés par N'tomo : « Je
revins dans la chambre, le même phénomène :
l'éclair dans ma chambre, N'tomo en face de moi. J'en conclus que
j'étais intoxiqué » (N.S. : 17).
Senghor dans Chants d'ombre, (1945), a chanté
l'Afrique traditionnelle et cette magnification a accouché d'un
poème célèbre Prière aux
masques qui fait l'éloge des masques comme
dans Noces sacrées à cause de la valeur
intrinsèquement hermétique qu'ils tenaient dans sa
société : « Masques [...], vous gardez ce lieu
forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane vous
distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes
Pères » (1945 : 28).
Dans le monde des dieux, Besnier ne pouvait pas retrouver sa
joie manquée. Fotigui intercédera pour lui, malgré qu'il
est européen :
« Prépares-toi à faire des offrandes
aux âmes que tu as offensées par tes attitudes de suffisance,
trouve-moi un taureau, un bouc et un coq rouge, je vais tenter
d'intercéder en ta faveur » (N.S. : 81).
Besnier est même considéré comme un
vaurien : « Tu sais à présent que tu n'es pas
grand-chose devant nos dieux, toi qui croyais détenir par ton savoir
européen la clé de tous les mystères »
(N.S. : 81).
Les aspects montrant la permanence de la tradition sont
très nombreux. Pour en finir, donnons à titre d'illustration cet
extrait qui montre les hommes les plus puissants, intermédiaires entre
les humains et les dieux : « Dounamba [...], pour sauver les
hommes, a dû, sur le dos d'un animal, s'élever jusqu'aux
nuées pour séduire Faro » (N.S. : 85).
La critique de l'époque coloniale s'avère
très méticuleuse à l'égard des
Européens : « Mais à l'ère
européenne, tout est possible. On ne respecte rien. Il faut restituer
aux gens leurs biens » (N.S. : 85).
Ces énoncés sont plus parlants, car les
Européens ont en tous cas, selon le roman, négligé tout le
sacré africain. Les exemples ont été donnés. Le
fait qu'ils ne respectent rien attire immanquablement les
conséquences.
Seydou Badian veut raviver la tradition dont la
négligence dans l'ère coloniale ruinera la société
romanesque et par là, la société réelle dans
laquelle il vit. Ainsi, les événements survenus en Afrique depuis
la conquête coloniale et les discours qui les prennent en charge sont
naturellement très nombreux. Au christianisme, Badian oppose la magie,
tout aussi puissante à son avis.
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