Les droits de l'employeur cotisant dans ses relations avec l'URSSAF: opposabilité de la doctrine et application du rescrit en matière sociale( Télécharger le fichier original )par Fathi ALI MOHAMED Université de Nantes - Master 2 Droit social 2006 |
Section 2. Une garantie renforcée mais imparfaiteComme vu précédemment, l'article 52, 1° de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance « toutes mesures de nature à renforcer les droits des cotisants dans leurs relations avec les organismes chargés du recouvrement des contributions et cotisations de sécurité sociale aux fins de permettre aux cotisants de se prévaloir des circulaires et instructions ministérielles publiées ». Ainsi, l'étude des mécanismes issus de l'ordonnance du 6 juin 2005 nécessite une analyse des conditions de forme et de fond pour faire jouer la garantie contre les changements de doctrine ( § 1 ) qui aboutit à faire le constat que certaines incertitudes entourent la nouvelle législation ( § 2 ). § 1. Conditions de fond et de forme pour faire jouer la garantie A. Acteurs concernésL'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 et le décret d'application n° 2005-1264 du 7 octobre 2005 ont organisé le régime de la garantie contre les changements de doctrine en matière sociale. Ainsi, les cotisants susceptibles de se prévaloir des circulaires et instructions ministérielles publiées sont les employeurs relevant du régime général73(*) et les travailleurs indépendants relevant du régime des non-salariés non agricoles qu'ils soient affiliés à la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes, à la Caisse nationale d`assurance maladie des artisans, à l'Organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du commerce, à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales ou à la Caisse nationale des barreaux français74(*). De plus, selon les textes précités, les circulaires et instructions émanant du ministre chargé de la sécurité sociale ne sont opposables qu'aux organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales, c'est à dire aux URSSAF en métropole75(*), aux CGSS dans les départements d'outre-mer76(*) et à l'ACOSS77(*), mais aussi pour les travailleurs indépendants, la garantie est également ouverte contre les décisions émanant des caisses d'assurance maladie des professions indépendantes, des caisses d'assurance vieillesse des artisans ou des commerçants, des sections professionnelles relevant de la CNAVPL, et de la CNBF. Bien que l'ordonnance du 6 juin 2005 et le décret du 7 octobre de la même année tendent à améliorer la garantie dont bénéficie le cotisant, les circulaires et instructions dont l'usager peut se prévaloir sont spécifiées clairement et de façon assez limitative. En effet, selon ces deux textes, seules les circulaires et instructions émanant du ministre chargé de la sécurité sociale peuvent servir de support à la garantie contre les changements de doctrine. Ainsi, ni les circulaires et instructions émises par un autre ministre, ni les réponses ministérielles fut-elles celles du ministre chargé de la sécurité sociale, ni les circulaires et instructions émanant de l'ACOSS ne sont visée par l'ordonnance ou par le décret. C'est le fait que ces dernières aient été écartées du champ de la garantie contre les changements de doctrine qui paraît le plus contestable dans la mesure où les circulaires et instructions émanant de l'ACOSS sont particulièrement nombreuses et influencent les pratiques de beaucoup d'URSSAF. Cette absence a été considérée par certains parlementaires comme une carence; en témoigne le fait qu`une proposition de loi en date du 23 juin 2004 et « visant à améliorer les droits des cotisants vis-à-vis des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et allocations familiales» et mettant en avant la nécessité de rendre opposable aux URSSAF les circulaires et instructions émanant des organismes de sécurité sociale nationaux dont l'ACOSS est toujours pendante auprès de la Présidence de l`Assemblée nationale, et ce, malgré l`intervention, depuis, de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 et de l`ordonnance du 6juin 200578(*). B. Mécanisme de l'opposabilité mis en place L'opposabilité à l'encontre des organismes de recouvrement des circulaires et instructions du ministre chargé de la sécurité sociale ne peut être invoquée que depuis le 1er octobre 2005. Les circulaires et instructions ministérielles en vigueur à cette date ainsi que celles prises par la suite sont donc opposables. L'opposabilité a pour objet de rendre inefficace tout redressement de cotisations ou contributions sociales fondé sur une interprétation différente de celle admise par l'administration79(*). Toutes les circulaires et instructions émanant du ministre chargé de la sécurité sociale ne peuvent pas servir à une action en opposabilité. En effet, pour pouvoir être opposables aux URSSAF et CGSS, circulaires et instructions ministérielles doivent préalablement faire l'objet d'une publication qui peut se faire sous forme électronique80(*) comme sous forme papier. Comme pour la garantie contre les changements de doctrine issue du décret du 28 novembre 1983, la publication des circulaires et instructions ministérielles peut se faire conformément aux dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 « portant diverses mesures d'amélioration entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, fiscal et social » mais peut se faire également conformément aux modalités issues de la loi n° 2004-164 du 20 février 2004 « relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs »81(*). Dès lors les circulaires et instructions ne sont opposables que lorsqu'elles sont publiées dans le Bulletin officiel du ministre chargé de la sécurité sociale82(*). La garantie contre les changements de doctrine issue de l'ordonnance du 6 juin 2005 et du décret du 7 octobre 2005 n'est valable que le temps durant lequel le cotisant a été dans la situation visée par la circulaire ou instruction ministérielle et « tant que la législation n'a pas été modifiée ou la circulaire abrogée »83(*). Pour être opposable, l'interprétation ministérielle ne doit donc pas avoir été abrogée ou rendue caduque par une interprétation nouvelle. Ainsi, la nouvelle législation va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a, jusqu'alors, toujours refusé de reconnaître une quelconque autorité aux circulaires et instructions du ministre chargé de la sécurité sociale à l'égard des organismes de recouvrement, en raison de l'absence d'habilitation pour le ministre. Pour ce qui est de la garantie contre le changement de position de l'organisme de recouvrement, elle ne vaut d'une part, que pour le cotisant qui l'a sollicitée et d' autre part, que pour la situation de fait exposée dans sa demande. Une fois obtenue, cette prise de position de l'organisme n'est opposable que pour l'avenir, à condition que la situation de fait exposée dans la demande soit toujours la même et que la législation ou la réglementation au regard de laquelle la situation du demandeur a été appréciée n'ait pas été modifiée. De plus, et surtout, le nouvel article L. 243-6-3 du Code de la sécurité sociale permet l'opposabilité à une URSSAF de la position adoptée par une autre URSSAF84(*) dans l'hypothèse d'un changement du lieu d'exploitation de l'entreprise à condition que la situation du cotisant demeure inchangée quant aux éléments ayant motivés la décision de la première URSSAF. Cette disposition est l'une des principales innovations de l'ordonnance du 6 juin 2005. En effet, jusqu'à présent, les décisions d'une URSSAF n'étaient pas opposables à une autre URSSAF dans la mesure où il s'agit de personnes morales de droit privé, indépendantes les unes des autres et chargées d'une mission de service public. § 2. Incertitudes découlant de la nouvelle législation * 73 CSS, art. L. 243-6-2 * 74 CSS, art. L. 612-11, L. 623-1 et L. 723-6-3.A noter que la garantie s'applique également aux cotisants du régime social des indépendants (RSI) qui se substituera , courant 2006, à la CANAM, à la CANCAVA et à l'ORGANIC. * 75 CSS, art. L. 213-1 * 76 CSS, art. L. 752-4 * 77 CSS, art. L. 225-1 * 78 http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion1693.aspProposition de loi « visant à améliorer les droits des cotisants vis-à vis des Unions de recouvrement des cotisations sociales et allocations familiales », enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 juin 2004, présentée par M. François-Xavier Villain, député. * 79 A noter: dans la convention d'objectifs et de gestion Etat - Acoss 2002-2005 était déjà prévu que « de manière à limiter d'éventuelles divergences, le traitement identique des situations comparables, quelle que soit l'Urssaf de rattachement, sera assuré par l'application stricte des circulaires et positions de principe du ministre chargé de la Sécurité sociale », mais également de celles de l'ACOSS. * 80 Pour plus de précisions sur la publication électronique voir Légis. Soc, F2, n° 8683, 28 mars 2006, p.2. * 81 V. Légis. Soc. -A1- n° 8467 du 16 mars 2004 * 82 Bulletin intitulé « Bulletin officiel du ministère de la santé » * 83 http://www.admi.net/jo/20050607/SANX0500103P.html Rapport au président de la République relatif à l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005. * 84 C. Marquis, Vers un renforcement de la sécurité juridique des entreprises: la nouvelle procédure de « rescrit social », Option finance, n°843, 18 juillet 2005, p.30. |
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