Les droits de l'employeur cotisant dans ses relations avec l'URSSAF: opposabilité de la doctrine et application du rescrit en matière sociale( Télécharger le fichier original )par Fathi ALI MOHAMED Université de Nantes - Master 2 Droit social 2006 |
A. Incertitudes quant à la l'impact sur la jurisprudence de la Cour de cassationComme cela a été noté, les organismes de sécurité sociale sont amenés, dans leurs diverses activités, à faire application des lois et règlements et dès lors à révéler l'interprétation qu'ils donnent de ces textes. Le cadre juridique de cette interprétation, qui peut ou non être au bénéfice de l'usager, a été précisé par la Cour de cassation qui a considéré que dès lors que la position de l'organisme est devenue définitive et que l'usager l'a respectée, l'organisme de sécurité sociale ne disposait plus de la faculté de revenir rétroactivement sur sa position85(*). La Cour de cassation considère qu'une URSSAF peut être liée par une décision tacite découlant du fait que bien qu'elle ait eu connaissance des pratiques de l'entreprise lors d'un contrôle elle ne les a pas considérées comme irrégulières86(*). De plus, la Cour considère que la prise de position d'un organisme de sécurité sociale ne saurait lui être opposable que si elle observe un certain degré de clarté et de précision; cette exigence amène la Haute juridiction, comme cela a été noté, à refuser de reconnaître la qualité de décision à un document réservant la solution à retenir à l'interprétation judiciaire87(*). Reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation, le décret n° 99-434 du 28 mai 1999 selon lequel « l'absence d'observations vaut accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause » et «le redressement ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de l'organisme », a amorcé « une première forme de garantie contre les changements de doctrine »88(*) et a donné une base réglementaire à l' autorité de la chose décidée89(*), qui ne sera toutefois opposable qu'à l'organisme qui aura pris la décision90(*). L'article L. 243-6-3 du Code de la sécurité sociale, introduit par l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 confirme l'opposabilité des décisions prises par un organisme de recouvrement et conforte davantage le cotisant dans la mesure où il précise que les décisions explicites sont également opposables aux organismes qui les ont prises. Cependant, bien qu'il permette à une entreprise qui change de lieu d'exploitation et se retrouve dans le ressort d'une nouvelle URSSAF de continuer à se prévaloir de la décision prise par la première URSSAF, l'article L. 243-6-3 ne semble pas admettre, en cas de pluralité d'établissements relevant d'une même URSSAF, l'opposabilité à celle-ci de la décision prise pour un autre établissement de l'entreprise91(*). De même, en cas de pluralité d'établissements relevant d'URSSAF différentes, l'article L. 243-6-3 n'admet pas que la décision rendue par l'une pour un établissement soit opposable à l'autre pour un autre établissement. Ainsi, l'ordonnance du 6 juin 2005 ne paraît revenir sur la jurisprudence Sacer que pour le cas d'une entreprise ou d'un établissement déménageant dans le ressort d'une nouvelle URSSAF. Cependant, l'article L. 243-6-3 du Code de la sécurité sociale rendant tout de même opposable la décision d'une URSSAF à une autre URSSAF, dans le cas d'un déménagement d'entreprise, quand bien même celles-ci constituent autant de personnes morales distinctes, la Cour de cassation devra vraisemblablement faire évoluer sa jurisprudence en la précisant. Les prochains arrêts de la Cour de cassation en la matière devraient donc contenir des termes voisins de ceux-ci: les URSSAF constituant autant de personnes morales distinctes, la décision prise par l'une d'elle n'engage pas les autres, sauf dans les cas prévus par la loi. B. Incertitudes quant à la satisfaction des cotisants Lors des débats relatifs à la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures destinées à améliorer la sécurité juridique des cotisants , le rapporteur de la loi a insisté sur les difficultés rencontrées par les cotisants dans leurs relations avec les organismes de recouvrement. Mettant particulièrement l'accent sur «leur sentiment d'être confrontés à une administration arbitraire », notamment dans les cas où ils sont mis en présence d'interprétations contradictoires de la part des organismes de recouvrement, le rapport du député Etienne Blanc92(*) met donc en exergue la nécessité de renforcer la sécurité juridique du cotisant notamment par la mise en place d'un mécanisme d'opposabilité de la doctrine. Bien que l'ordonnance du 6 juin 2005 accentue de façon non négligeable la sécurité juridique du cotisant elle comporte des failles. En effet, cotisant et administration ne luttent pas à armes égales dans la mesure où non seulement les circulaires et instructions de l'ACOSS ne sont pas concernées par le nouveau dispositif, mais de plus le ministre chargé de la sécurité sociale reste libre de fixer le contenu des circulaires qui seront opposables à l'administration soit de façon explicite en utilisant des termes évasifs ou en se contentant de résumer les lois et règlements auxquels elles se rapportent, soit de façon implicite en donnant une réelle interprétation des textes mais sous réserve de celle que pourrait reconnaître le juge, « jouant » ainsi avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse de reconnaître l'opposabilité de ce genre de circulaire93(*). En effet, l'ordonnance du 6 juin 2005, si elle rend opposable aux URSSAF les circulaires et instructions ministérielles publiées, ne leurs confèrent pas pour autant un caractère réglementaire: les tribunaux ne sont donc pas liées par leur contenu, ce qui ne manquera pas de produire des situations délicates lorsqu'un cotisant confronté à un redressement opposera l'interprétation ministérielle et que l'URSSAF considérera que les termes de la circulaire ne trouvent pas à s'appliquer à l'espèce. De plus, la nouvelle législation ne s'attache qu'aux circulaires et instructions émanant du ministre chargé de la sécurité sociale. Par conséquent, ni les lettres ministérielles, ni les circulaires de l'ACOSS ne sont visées par le texte. Si pour ce qui est des circulaires de l'ACOSS, il arrive que la Cour de cassation leur reconnaisse exceptionnellement une valeur réglementaire permettant à l'usager de les opposer aux URSSAF, il n'en est pas de même avec les lettres ministérielles qui demeurent, malgré la réforme inopposables aux URSSAF ce qui n'est pas pour renforcer la sécurité juridique du cotisant94(*). Enfin, la possibilité que la circulaire soit annulée par le Conseil d'État n'est pas exclue, dès lors si le cas venait à se produire, les cotisants se retrouveraient dans une situation fort inconfortable dans la mesure où la circulaire étant sensée ne jamais avoir existé les pratiques qu'ils ont pu avoir sur son fondement se retrouveraient dénuées de base juridique95(*), les exposant ainsi à un redressement dont le coût peut être considérable. C'est ainsi que beaucoup d'entreprises ne doivent le fait d'avoir échappé à un contrôle qu'à la volonté de l'ACOSS qui, en 2005, a demandé aux URSSAF de ne pas opérer de redressement fondées sur les dispositions d'une circulaire qui avait été précédemment annulée96(*). PARTIE 2. La procédure de rescrit social: une ambition réelle, une portée surévaluée Le système français de cotisation sociale étant déclaratif, le cotisant est conduit à interpréter les textes par lui-même et à s'appliquer les exonérations dont il pense être en droit de bénéficier. Le développement de différents types d'exonérations de cotisations sociales dans le but de favoriser l'emploi a rendu la tâche encore plus difficile, d'autant plus difficile que le droit de la sécurité sociale est réputé pour sa grande complexité et que la législation relative aux cotisations et contributions sociales est peu nombreuse et souvent générale. Dans ce contexte, on comprend aisément l'utilité d'une procédure comme le rescrit qui permet au cotisant d'interroger l'URSSAF à laquelle il est affilié pour connaître les bonnes pratiques à suivre. L`expression « rescrit social », ne figure pas en tant que tel dans l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 mais est utilisée dans le rapport au président de la République relatif à ce texte. Cette procédure permet à un cotisant ou futur cotisant d'interroger un organisme de recouvrement sur l'application d'une norme à sa situation individuelle97(*). Cependant, la procédure de rescrit n'est pas une nouveauté pour le droit de la sécurité sociale. En effet, le rescrit social y est apparu dès 1994 par l'article L. 311-11 du Code de la sécurité sociale issu de loi du 11 février 1994, dite loi Madelin, et organisait un mécanisme permettant à un cotisant dont l'activité professionnelle suscitait l'interrogation d'interroger l'URSSAF afin que celle-ci se prononce sur la question de son affiliation ou de sa non affiliation au régime général de sécurité social. La nouvelle procédure de rescrit social instaurée par l'article L. 243-6-3 du Code de la sécurité sociale issu de l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 a un autre objet que celle de 1994 dans la mesure où son champ d'application, bien plus large, est relatif aux allègement et exonérations de cotisations sociales. Plus élaborée que celle de l'article L. 311-11 ( Chapitre 1 ), la procédure de rescrit social instaurée à l'article L. 243-6-3 a fait l'objet d'une publicité importante, notamment via le site internet de l'URSSAF, ce qui laisse supposer que les pouvoirs publics placent en elle une attente bien plus importante que celle qu'ils plaçaient dans le rescrit de 1994. Cependant, bien qu'il soit impossible de prédire quelles seront les réactions des cotisants vis-à-vis de ce nouveau rescrit, l'étude de celui-ci laisse toutefois penser que sa portée a été surestimée ( Chapitre 2 ).
* 85 V. par exemple Cass. Soc. 12 mai 1971, Bull. civ. V, n°357, p. 301. * 86 Cass. Soc. 7 oct. 1981, Bull. civ. V, n° 762, trois arrêts.A ce propos, voir A. Bouilloux, Les nouvelles garanties des cotisants face à un contrôle de l'URSSAF, Dr. Soc., 11 novembre 1999, p.901. * 87 Cass. Soc. 23 mars 1995, RJS 1995, n° 563. * 88 V. X. Prétot, Les pouvoirs de contrôle de l'URSSAF à propos du décret n°99-434 du 28 mai 1999, JCP G, n°44, 3 novembre 1999, p. 1973. * 89 V. J. Rivéro et J. Waline, Droit administratif, Dalloz, 19ème édition, 2002, n°97, p.101. * 90 Cass. Soc. 29 juin 1995, Sacer, Dr. Soc. 1995, p. 839, obs. J.-J. Dupeyroux; D. 1996, somm. P. 44, obs. X. Prétot. * 91 La circulaire n° DSS/5C/2006/72 du 21février 2006 énonce qu'en cas de pluralité d'établissements relevant d'une même URSSAF le demandeur devra indiquer explicitement pour quels établissements il sollicite une prise de position. * 92Voir http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1635.asp#P2803_707735 Rapport du député Etienne Blanc * 93 Cass. Soc. 23 mars 1995, RJS 1995, n°563. * 94 V. Philippe Coursier, De l'interprétation administrative en matière de contrôle URSSAF, Juris. Soc. Lamy, 2005, n°180. * 95 V. G. Vachet, La sécurité juridique du cotisant: illusion ou réalité, JCP Soc., n°5, 31 janvier 2006, p.16. * 96 http://www.urssaf.fr/images/ref_lc2005-077.pdf Lettre-circ., ACOSS, n°2005-077, 3 mai 2005 * 97 CSS, art. L. 243-6-3 |
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