Chapitre 1.2. : Les droits d'eau « fondés
en titre >>
ou usines ayant une « existence légale >>
La définition du droit d'eau fondé en titre
(section 1.2.1.) a pu faire l'objet de controverses doctrinales dues à
l'absence de définition législative. Cependant la jurisprudence a
permis grâce à la multitude des espèces rencontrées
de fixer cette définition ainsi que les moyens de preuve d'un droit
fondé en titre (section 1.2.2.). Mais si le fondement en titre d'un
ouvrage peut être établis, cela n'empêche en rien son
propriétaire de modifier son ouvrage (section 1.2.3.) sous certaines
conditions, de même que cela ne présume en rien de
l'éventuelle perte du fondement en titre du droit d'eau attaché
à l'ouvrage (section 1.2.4.).
Section 1.2.1. : Définition
Les droits d'eau fondés en titre sont ceux issus d'une
existence de fait d'un ouvrage hydraulique exploitant la force motrice du cours
d'eau avant l'abolition des droits féodaux. Il s'agit ici d'un
raisonnement assez rare en droit administratif et qui consiste à
déduire le droit à partir d'une situation de fait. En effet si la
Révolution a mis fin à la féodalité, elle n'a pas
pour autant supprimée tous les droits qui avaient pu être
accordés. « Dalloz explique que « laisser l'anarchie
détruire tous les moulins, c'eût été remplacer la
Révolution par la famine »39, pour justifier que la
loi des 15-28 mars 1790 relative aux droits féodaux ait maintenu dans
leurs
39 Répertoire méthodologique et
alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence,
Dalloz, Paris, 1852, tome 19, page 402, n° 290.
droits mouliniers et usiniers, alors même qu'ils
étaient entachés de féodalité et ait enjoint aux
corps constitués de veiller à leur conservation », comme
l'écris Philippe Billet dans sa note40 à la semaine
juridique.
« Un droit fondé en titre est un droit
réel, historique, transmissible, qui ne se perd pas par le non usage,
sauf ruine de l'ouvrage » selon la définition donnée
par Florence DENIERPASQUIER).
Il a été jugé qu'en matière de
droit d'eau fondé en titre, ni les articles 644 et 645 du code civil, ni
les lois de 1790 et 1792 abolissant la féodalité, ne font
obstacle à ce que la jouissance des prises d'eau concédées
autrefois à titre onéreux par les anciens seigneurs soit
maintenue41.
De plus, l'article du décret du 6 novembre
199542 dispose que « les usines fondées en titre
sont considérées comme autorisées en l'application de
l'article 11 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, dans la limite de leur
consistance légale ». En effet l'article 11
précité pose que « Les autorisations
délivrées en application du décret n° 81-375 du 15
avril 1981 (modifiant la loi du 16 octobre 1919 et pris en son application
et qui concerne la forme et la procédure d'instruction des demandes
d'autorisation d'usines hydrauliques), ou des textes auxquels il s'est
substitué, et les autorisations délivrées avant le 16
octobre 1919 aux entreprises d'une puissance maximale brute inférieure
à 150 kW sont assimilées, pour les ouvrages, travaux,
aménagements ou activités existantes, aux autorisations
délivrées en application de l'article 10 de la loi du 3 janvier
1992 sur l'eau. Sont également considérées comme
autorisées, en application de l'article 10 de cette loi, les usines
fondées en titre dans la limite de leur consistance légale
».
Sur les cours d'eau non domaniaux, le titulaire d'un droit
d'eau fondé en titre doit apporter la preuve que l'exercice de ce droit
est antérieur à août 1790. En effet, sont
considérés comme fondés en titre par la jurisprudence les
ouvrages dont l'existence peut-être établis comme
antérieures à l'abrogation des droits féodaux43
lorsqu'ils sont situés sur des cours d'eau non domaniaux, et
antérieures à l'Edit de Moulins de 1566 lorsqu'ils sont
situés
40 La semaine juridique - édition
administrations et collectivités territoriales n°38, 2006,
commentaire n°1210.
41 Cour de Cassation, chambre civile, 4 juin 1834, Gen
Vo Servitudes, n°444 3°.
42 Décret n° 95-1204.
43 Lois des 4 août 1789 et 20 août 1790
sur des cours d'eaux domaniaux. Le Conseil d'Etat a ainsi
jugé dans son arrêt << Monnard » du 29 juillet 1846 que
devaient être considérées comme fondées en titre les
usines qui, sans présenter de titres authentiques d'autorisation,
justifiaient d'une existence de fait incontestée antérieure
à l'abolition du régime féodal (4 août 1789) et plus
spécialement à la loi du 20 août 1790 qui plaçait
les petits cours d'eau sous l'autorité réglementaire. Cette
position a été confirmée par de nombreux arrêts
depuis. En outre, il n'est même pas nécessaire selon le Conseil
d'Etat que l'usine ait eu sous l'ancien droit une existence assez
prolongée pour fonder la prescription. Concernant les cours d'eau non
domaniaux, sont également considérées comme fondés
en titre les usines ayant été comprises dans la vente d'un bien
national après 1789, et les usines existants sur les cours d'eau
réunis à la France après 1790 (cours d'eau du
Comtat-Venaissin et du territoire d'Avignon en 1791, de la principauté
de Montbéliard en 1796, de la Savoie et du Comté de Nice en
1860).
Concernant la nature du droit fondé en titre, Jean
Poiret affirme dans son ouvrage << droit de
l'hydroélectricité »44 la thèse selon
laquelle il s'agit d'un droit réel administratif. A l'appui de cette
thèse il rappelle que Pierre Magnier se réfère << au
père de la notion même de droit réel autre que civil »
c'est-à-dire le doyen Maurice Hauriou qui, dans sa note sous un
arrêt du Conseil d'Etat du 25 mai 190645, qui est << le
berceau de la théorie des droits réels administratifs »,
énumère un certain nombre de droits qu'il considérait
comme des droits réels administratifs, parmi lesquels figurait le droit
des usines fondées en titre sur les rivières navigables.
Cependant, bien que cette théorie ne soit limitée au domaine
publique fluviale de l'époque, l'intervention depuis cette note de 1908
de la loi du 16 octobre 1919 fait entrer l'énergie hydraulique dans le
domaine public de l'Etat, qu'elle provienne d'un cours d'eau domanial ou non
domanial. Dès lors, les usines fondées en titre confèrent
à leur titulaire des droits sur le domaine public.
Ce droit est un droit d'usage comme l'est d'ailleurs le droit
fondé sur titre qui est associé à un acte administratif.
Les limites de ces droits font l'objet d'une importante jurisprudence.
44 << Droit de l'hydroélectricité » tome
1 et 2, de Jean Poiret, EDF et édition économica, 2004.
45 Sirey 1908. III p.65.
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