B- UNE COMMISSION MIXTE AUX MOYENS LIMITES
En examinant la composition et le fonctionnement de la
Commission mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de
l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, depuis le début de ses
travaux jusqu'à nos jours324, on a l'impression malheureuse
qu'elle a beaucoup de volonté mais sans réels moyens ; ou tout au
moins qu'elle a des moyens limités. Pour s'en convaincre, il faut
remarquer que ses bases de travail sont tentaculaires (1), la
personnalité du représentant de l'Etat nigérian pouvant
susciter quelques problèmes d'interprétation de l'arrêt
(2), et le manque de financement demeurant une épine entière sous
ses pieds (3).
1- Le problème de la diversité des bases
de travail
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Commission
mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de
l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002 dans l'affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria
n'applique pas que cet arrêt. Comme elle l'a affirmée lors de sa
toute première réunion tenue à Yaoundé : «
la commission a décidé que les documents de travail de ses
membres seront l'arrêt de la Cour Internationale de Justice du 10 Octobre
2002, le communiqué de presse publié à l'issue du sommet
de Paris du 5 septembre 2002, le communiqué conjoint adopté au
sommet de Genève du 15 novembre 2002 et les autres documents qu'elle
pourrait adopter à ses réunions.»325.
? notre humble avis, si cette multitude de documents peut
permettre une entente rapide entre les deux Etats, elle a pour effet pervers la
limitation de l'esprit de la C.I.J dans les débats et discours
politiques. Ainsi, la frontière terrestre Cameroun-Nigeria
d'après la C.I.J souffrirait de son trop grand attachement aux textes
coloniaux la délimitant. Mais il faut s'interroger sur l'impact de la
personnalité du chef de la délégation nigériane
dans le travail de cette commission.
324 Elle a tenu sa première réunion à
Yaoundé les 1er et 2 décembre 2002. Elle a le
mérite jusqu'à nos jours d'avoir réussi entièrement
les opérations de retrait et de transfert d'autorité dans la zone
du Lac Tchad. Les dernières opérations ont eu lieu à
NDABAKURA et à NARKI le 13 juillet 2004. Malheureusement, ces
opérations n'ont pu suivre dans la presqu'île de Bakassi le 15
septembre 2004 dernier à cause d'un calendrier assez flexible. . .
325 Voir le «Communiqué adopté à
la première réunion de la commission mixte Cameroun-Nigeria
créée en application du communiqué conjoint du 15 Novembre
2002 à Genève », in Commission mixte des Nations
Unies, op. cit., p. 14, par. 5.
2- La personnalité charismatique du
représentant du Nigeria ; Monsieur le prince BOLA
AJIBOLA
En toute logique, le Cameroun en tant que partie qui s'est
tirée la part du lion dans ce contentieux devant la C.I.J ne saurait
être celle qui bloque le déroulement du processus. Il devient
ainsi inopportun de revenir sur la personnalité du chef de sa
délégation à la commission mixte S.E.M. AMADOU
ALI326. La personnalité du président de ladite
commission mixte S.E.M. AHMEDOU OULD ABDALLAH ne devrait pas aussi faire
problème puisqu'il est le représentant personnel du
Secrétaire général de l'O.N.U, il ne pourra être
qu'un pacificateur. Mais pour ce qui est de S.E. Prince BOLA AJIBOLA, il fut le
juge ad hoc de la République fédérale du Nigeria devant la
Cour dans cette affaire. Il a le mérite d'avoir voté contre six
points essentiels de l'arrêt327. Il est d'ailleurs l'auteur
d'une opinion dissidente très dense328 dans laquelle il
affirme que la Cour n'a pas bien examiné sa jurisprudence de l'affaire
Burkina-Faso/République du Mali dans le cas d'espèce. «
... « Finally, there are cases where the legal title is not capable of
showing exactly the territorial expanse to which it relates. The
effectivités can then play an essential role in showing how the title is
interpreted in practice». Unfortunately the court it self fails to give
serious consideration to this vital part of the text of its previous judgment
»329. En effet, le Prince AJIBOLA pense que la Cour a
rendu une décision partiale basée sur ce qu'il appelle «
The one-sided argument of Cameroun ... »330.
Qu'à la fin, le Nigeria n'aurait jamais perdu Bakassi juridiquement. Il
le dit avec beaucoup de regret « to conclude my dissenting opinion, I
am of the view that the Court ought not to dismiss the claim of Nigeria based
on effectivité.(...) Similarly the Court should not have rejected the
Nigeria's claim based on historical consolidation.(...) . The claim of Cameroon
to the Bakassi peninsula based on the Anglo-German Agreement is defective for
the fore going reasons and ought not to have been relied upon by the court
»331.
326 Sauf peut-être à préciser qu'en tant
que Ministre d'Etat chargé de la justice, garde des sceaux, il
était agent de la République du Cameroun auprès de la
C.I.J (cf. Arrêt du 10 octobre , P.5). Il est aujourd'hui Vice Premier
Ministre, Ministre chargé de la justice cumulativement avec ses
fonctions à la commission mixte bilatérale.
327 Voir le dispositif de l'arrêt, pp. 145-150. Mais, il
faut dire qu'en dehors du fait qu'il soit nigérian, ses arguments ne se
sont pas vides de sens pour autant. Encore qu'il est seulement deuxième
après le juge KOROMA qui a voté 7 fois contre le dispositif de
l'arrêt ; mais très loin devant le juge REZEK qui a seulement 2
fois contre. Pour une étude des votes des juges, voir le dispositif de
l'arrêt.
328 Son opinion dissidente jointe à l'arrêt est
faite de 51 pages et de 212 paragraphes. Il y explique les raisons de son
désaccord avec plusieurs parties essentielles de l'arrêt et de son
dispositif.
329 Voir opinion dissidente du juge ad hoc BOLA AJIBOLA,
jointe à l'arrêt, p. 50, par. 211.
330 Ibidem, par. 210.
331 Ibidem, par. 209.
Il n'est pas sûr que le juge ad hoc nigérian
devenu Chef de la délégation du Nigeria auprès de la
Commission mixte bilatérale Cameroun- Nigeria va abandonner toutes ses
convictions juridiques. Au contraire, il semble que sa nomination à ce
poste peut être une technique de l'Etat du Nigeria pour infléchir
politiquement la rigoureuse délimitation de la frontière que la
Cour a voulu ancrer dans l'histoire à travers une interprétation
extensive des instruments applicables.
En marge du côté charismatique de S.E. Prince
BOLA AJIBOLA qui pourrait énormément infléchir la
délimitation textuelle de cette frontière comme l'a voulue la
C.I.J, l'autre source de lenteur des travaux de la Commission, et par ricochet
de la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière,
réside dans l'absence des moyens financiers propres à la
commission mixte.
3- L'insuffisance des moyens financiers
S'il faut saluer la volonté politique qui anime les
présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASANJO dans la mise en oeuvre
pacifique de cet arrêt concernant la frontière commune de leurs
deux Etats332, il convient malheureusement de déplorer
l'insuffisance des moyens financiers pour réaliser la démarcation
sur le terrain de cette frontière. Il est clair que pour la
réalisation d'une opération d'une telle envergure, la seule bonne
volonté politique est louable, mais pas suffisant si les moyens concrets
techniques et surtout financiers ne l'accompagnent pas. Telle est à nos
jours l'une des difficultés à laquelle la Commission mixte
bilatérale est confrontée dans le suivi de ses opérations.
Pour néanmoins confirmer leur ferme volonté politique, le
Cameroun et le Nigeria ont déjà fourni au moins 6 millions de
dollars U.S dans le Fonds d'affection spécial des Nations Unies pour la
démarcation. Le Royaume-Uni a déjà contribué 1
million de livres sterling à cet effet. Mais les aides volontaires pour
permettre à moyen terme la finalisation du processus restent encore
attendues de la part des amis du Cameroun et du Nigeria333. Cet
état des choses relève, à n'en
332 Ces efforts ont été salués par le
Secrétaire général de l'O.N.U S.E. KOFI ANNAN le 31
janvier 2004 dernier. Voir à cet effet, « le communiqué
conjoint du sommet tripartite entre le Secrétaire général
de l'O.N.U, le Président de la République du Cameroun, et le
Président de la République fédérale du Nigeria, sur
le suivi de la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002.
Genève, le 31 janvier 2002. ». In Commission mixte des
Nations Unies . . ., op. cit., p. 26, par. 2 et 4.
333 Pour plus de détails sur ces appels à
contribution, voir le «communiqué conjoint du sommet tripartite . .
. », op. cit., par. 8 : « le secrétaire
général a de nouveau lancé un appel à la
communauté internationale pour qu'elle appuie dans le cadre de la
diplomatie préventive, les efforts déployés par les deux
pays, notamment en fournissant des aides financières pour le processus
de démarcation (...). »
Voir également le « Communiqué
adopté à ABUJA les 1er et 2 juin 2004 lors de la
10e session de la commission mixte Cameroun-Nigeria ». In
Commission mixte des Nations Unions pour la mise en oeuvre de l'arrêt
, 11e session, op. cit., p.32, par. 8.
point douter, les difficultés liées à la
mise en oeuvre de la délimitation de la frontière terrestre entre
les deux Etats.
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