B - LE DEFAUT DE SANCTION DU NIGERIA
Il s'agit ici du problème relatif à la
responsabilité internationale du Nigeria à l'égard du
Cameroun dont il a violé l'intégrité territoriale. Il faut
souligner que c'est à l'unanimité que la Cour a rejeté
« ...le surplus des conclusions du Cameroun concernant la
responsabilité
313 Lire l'art. 4 de ladite Convention, op. cit., p. 3
314 Le Cameroun adhère à cette Convention le 23
octobre 1991, et la ratifie le 22 novembre de la même année. Cf.
Convention de Vienne, op. cit., p. 29.
315 Le Nigeria adhère le 31 juillet 1969 et la ratifie le
27 janvier 1980. Cf. Ibid, p. 30.
316 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit
international? », R.G.D.I.P, janvier-mars, 1982, N°1, p.
6.
317 P. WEIL, op. cit., p. 7.
internationale de la République
fédérale du Nigeria »318. Cette
impunité dont bénéficie le Nigeria est, nous semble t-il,
une des causes de la lenteur que l'on observe de nos jours dans l'application
de l'arrêt. On peut même se demander si ce n'est pas de la part de
la Cour une technique de déconstruction de la rigidité de sa
décision à l'égard du « Géant d'Afrique »
?
Sans tomber dans le terrain très glissant de la
responsabilité internationale sur lequel les Etats eux-mêmes
n'arrivent pas à s'entendre, il faut tout simplement admettre avec le
juge ad hoc pour le Cameroun, M.KEBA MBAYE que, lorsque la Cour déclare
les effectivités nigérianes de «contra legem »
cela sous entend que cet Etat a violé la souveraineté du Cameroun
et le principe d'intégrité territoriale des Etats ; dès
lors la Cour ne nie pas la responsabilité du Nigeria, même comme
elle ne la confirme pas. Elle ne cherche pas tout simplement « dans
quelle mesure la responsabilité du Nigeria est engagée à
l'égard du Cameroun du fait de cette occupation
»319.
L'organe judiciaire principal des Nations Unies a bien senti
toutes les fautes qui pèsent sur le Nigeria. Mais lorsqu'il refuse de le
sanctionner au motif que le Cameroun n'apporte pas assez de preuves pour
justifier ses allégations, elle assouplissait ainsi la rigidité
de son arrêt. D'où les interminables négociations que l'on
observe dans les travaux de la commission mixte bilatérale
chargée de la mise en oeuvre de cet arrêt.
Alors s'il est vrai comme l'a reconnu la C.I.J que les
territoires de Lac Tchad et de Bakassi jadis querellés sont Camerounais,
et que les effectivités nigérianes y effectuées
jusqu'alors sont «contra legem », ne pas sanctionner le
Nigeria est, à défaut d'un grand paradoxe de la part de la Cour,
un facteur de renforcement de la psychologie du peuple et de l'Etat du Nigeria
qui apparemment a tout perdu. Cet état des choses justifie l'absence de
contrainte dans l'accomplissement des obligations découlant de cet
arrêt. Mais sans chercher à présumer la mauvaise foi de
l'Etat Nigérian Voisin, surtout qu'un juriste nigérian voit dans
cette absence de sanction, un facteur qui devrait encourager l'Etat
nigérian à s'exécuter : «Nigeria should at least,
reluctantly accept the ICJ judgment, even if it does not embrace it willingly.
(....). There are aspects of delimitation that actually favour Nigeria,
particularly in the Lake Chad region. Cameroon did not get all it wanted. For
example, it invoked state responsibility against Nigeria and asked for
reparation... the court refused.»»'320. Il faut dire
qu'en toute objectivité, de tels facteurs peuvent expliquer d'une
.318 Voit arrêt, p. 149, point. V. D du dispositif.
319 Opinion individuelle de M. le juge ad hoc KEBA MBAYE,
p. 27, par. 143 et suivants.
320 NSONGURUA J. ODOMBANA, « The ghost of Berlin still
haunts Africa ! The ICJ . . . », op. cit., p.44.
certaine manière la réticence du peuple
nigérian de céder Bakassi. En dehors de ces lacunes internes
à l'arrêt, d'autres paramètres existent qui ne lui sont pas
directement liés.
II - LES FACTEURS INDIRECTS A L'ARRET : ESSAI D'UNE
ETUDE DE LA COMMISSION MIXTE BILATERALE CAMEROUNNIGERIA
Il faut dire que la mise en oeuvre de la délimitation
de la frontière terrestre entre les parties rencontre aujourd'hui des
difficultés pratiques sur le terrain. Ces difficultés, à
bien y voir de près, résident dans l'examen minutieux des
missions confiées à la commission mixte bilatérale de mise
en oeuvre de cet arrêt par les acteurs de la tripartite de Genève
(le Secrétaire général des Nations Unies Kofi ANNAN, le
Président de la République du Cameroun Paul BIYA, et le
Président de la République fédérale du Nigeria
OLUSEGUN OBASANJO) du 15 novembre 2002 d'une part (A), et dans l'insuffisance
de ses moyens d'action (B).
A - UNE COMMISSION MIXTE AUX MISSIONS TROP
ETENDUES
Rappelons tout d'abord que ce n'est pas la commission mixte
bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de
la C.I.J du 10 octobre 2002 qui est source de problème. Au contraire,
elle est même l'artisan majeur de la restauration de la paix et de la
confiance entre le Cameroun et le Nigeria. Pourtant si ses missions principales
sont salutaires (1), elle a d'autres missions supplémentaires sources de
lenteur (2).
1- Ses missions principales salutaires
Il faut les rechercher dans ces phrases du secrétaire
général de l'Onu : « les deux présidents sont
également convenus de me demander de mettre en place une commission
mixte bilatérale qui sera présidée par son
représentant spécial, Ahmed Ould Abdallah, et chargée de
réfléchir aux moyens de donner suite à l'arrêt de la
C.I.J et de faire avancer le processus. »321. Après
avoir défini les sources volontaristes de la création de cette
321 Voir le texte du communiqué commun des
délégations du Cameroun et du Nigeria à l'issue de la
rencontre entre le Secrétaire général des Nations
Unies, le Président BIYA et le Président OBASANJO concernant
l'arrêt de la C.I.J en date du 10/10/2002 . Genève, 15 nov.
2002, par. 5. In Commission mixte des Nations Unies pour la
commission, S.E.M Kofi ANNAN détermine ses missions
comme suit: « la commission mixte se penchera sur toutes les
incidences de la décision, notamment la nécessité de
protéger les droits des populations concernées des deux pays. La
commission aura entre autre, pour tâche de procéder à la
démarcation de la frontière terrestre entre les deux
pays. »322.
La lecture de ces passages montre clairement que les missions
principale de la commission mixte bilatérale sont la réflexion
sur les moyens pratiques de mise oeuvre de l'arrêt, (dans son ensemble),
la protection des Droits des populations des zones concernées, et
surtout la démarcation de la frontière terrestre en question. Les
tâches ainsi énumérées sont en elles mêmes
capitales pour l'opérationnalisation de la délimitation de la
frontière terrestre par la commission mixte (...).Mais cette commission
s'est vue doter d'une autre série de charges supplémentaires.
2- Des missions supplémentaires
pléthoriques.
D'après le paragraphe 7 de l'acte de Genève du
15 novembre 2002, la commission mixte devra formuler des «
recommandations » sur des mesures de confiance
supplémentaires telles que :
- la tenue des réunions sur une base
régulière, entre les autorités locales, des fonctionnaires
gouvernementaux et les chefs d'Etat ;
- la formulation de projets destinés à promouvoir
des co-entreprises et la coopération transfrontalière ;
- La renonciation par les deux parties à tout propos ou
déclaration incendiaires au sujet de Bakassi ;
- Le retrait des troupes des zones pertinentes le long de la
frontière terrestre ;
- La démilitarisation ultérieure de la
péninsule de Bakassi avec la possibilité de déployer du
personnel international chargé d'observer le retrait ;
- La réactivation de la Commission du Bassin du Lac
Tchad.
Sans chercher à sous-estimer la compétence des
membres de cette notable commission323, il faut reconnaître
qu'un mandat aussi volumineux ne peut être qu'une source de lenteur dans
la mise en oeuvre de l'arrêt dont elle est chargée, et dans la
démarcation de la
mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre
2002, 11e Session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au
19 août 2004. p. 13.
322 Ibidem, par. 6.
323 On tient à noter ici qu'il s'agit d'une commission
mixte dont les deux principaux promoteurs, les présidents Paul BIYA et
OLUSEGUN OBASANJO se félicitent des résultats déjà
réalisés. Voir à cet effet, « le communiqué
conjoint publiée à l'issue de la visite officielle de S.E chief
OLUSEGUN OBASANJO au Cameroun du 26 au 29 juin 2004 », in Commission
mixte des Nations Unies, op. cit., p. 34, par. 3.
frontière terrestre particulièrement. A
côté de ces missions trop étendues dont est chargée
la commission mixte bilatérale, l'autre source de lenteur de ses travaux
réside dans l'absence de moyens concrets.
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