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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

( Télécharger le fichier original )
par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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CHAPITRE IV :

UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION DE PORTEE
JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE

En effet, l'arrêt du 10 Octobre 2002 a le mérite d'avoir mis fin aux débats camerounonigerians devant la Cour internationale de justice de la Haye. Mais depuis cette date, l'on est rentré dans le cycle des négociations diplomatiques classiques pour essayer de traduire en termes concrets le dispositif de cette décision277. Si jusqu'à nos jours, cet arrêt continue à susciter des questions, c'est certainement parce que la portée jurisprudentielle de la délimitation de la frontière terrestre qu'il consacre demeure assez mitigée (section 1) ce qui rend inévitablement son application concrète difficile (section 2).

SECTION 1 : LA PORTEE MITIGEE DE LA VALEUR JURISPRUDENTIELLE DE
LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE DANS L'ARRET
DU 10 OCTOBRE 2002

Nous essayerons de montrer que l'arrêt du 10 octobre 2002, à travers la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria qu'il opère, demeure néanmoins d'une importance assez nuancée au plan jurisprudentiel. Si le but poursuivi dans la résolution contentieuse des différents frontaliers a été atteint (I), Il faut cependant déplorer la méthode avec laquelle la Cour y parvient. D'où l'imprécision sur sa classe jurisprudentielle (II).

277 En effet, s'étant d'abord réunis à Paris le 05 septembre 2002 devant le Secrétaire Général des Nations Unies S.E.M KOFI ANNAN, en prélude à la décision de la C.I.J sur l'affaire de la frontière commune de leurs deux Etats, les présidents OLUSEGUN OBASANJO du Nigeria et Paul BIYA du Cameroun se rencontreront encore à Genève le 15 Novembre 2002 toujours devant le Secrétaire Général de l'ONU pour lui dire leur engagement au respect de l'arrêt du 10 octobre par la C.I.J.

Cf. Commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, 11e Session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au 19 Août 2004, pp. 12-12.

I- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA COOPERATION DANS LES RELATIONS CAMEROUNONIGERIANES

De toute évidence, la Cour internationale de justice mesurait bien l'enjeu de la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria qu'elle a opérée le 10 octobre 2002. Bien qu'elle ait tenu à le rappeler, cette délimitation était non « de Novo »278, il fallait néanmoins mettre fin à la situation de crise279 et de guerre permanente280 qui prévalait tout le long de cette frontière depuis plus de dix ans. Ainsi, aussi difficile que cela puisse paraître, la Cour a laissé une grande marge pour le maintien de la paix entre le Cameroun et le Nigeria dans la rédaction de son arrêt (A); ce qui a pour corollaire l'encouragement de la coopération entre ces deux Etats (B).

A- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ENTRE LES DEUX PROTAGONISTES

La lecture de la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria par la Cour Internationale de Justice laisse comprendre que, bien que celle-ci était animée du souci de donner une réponse définitive aux revendications de ces deux Etats sur la question centrale de la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi, elle n'a pas perdu de vue le fait que ces deux Etats du Golfe de Guinée étaient voisins et devait le rester. C'est pourquoi à la fin de son dispositif, elle ordonne les mêmes obligations aux deux Parties. Nous n'oublions pas le fait que tout le long de la frontière allant du Lac Tchad à Bakassi, la Cour a alterné la reconnaissance des zones nigérianes et des zones camerounaises y compris aussi la consécration des points intermédiaires. Avant de voir les obligations imposées au Cameroun (2), visitons d'abord celles incombant au Nigeria (1).

1- Les obligations imposées à la République fédérale du Nigeria

Dans le point V.A de son dispositif, la Cour adresse une injonction au Nigeria dans le but de mettre fin aux opérations militaires sur la frontière terrestre entre le Cameroun et lui. Par quatorze voix contre deux, la Cour «décide que la République fédérale du Nigeria est

278 « La tâche de la Cour n'est donc ni de procéder à une délimitation de novo de la frontière, ni de démarquer celle-ci ». Voir, arrêt, p. 69, par. 84 in fine.

279 H. MBGALE MBGATOU, « la politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de doctorat 3é cycle, op. cit., passim.

280 Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ?, op. cit., passim.

tenue de retirer dans les plus brefs délais et sans condition son administration et ses forces armées et de police des territoires relevant de la souveraineté de la République du Cameroun conformément aux points I et II du présent dispositif »281. Il va de soi que le retrait de ces soldats ordonné par la Cour était une façon pour celle-ci de normaliser et de stabiliser la frontière terrestre ainsi définie, surtout que la même obligation pesait également sur le Cameroun.

2- Les obligations imposées à la République du Cameroun

C'est à l'unanimité que la C.I.J va demander au Cameroun de se retirer des territoires qui relèveraient de la souveraineté de la république fédérale du Nigeria. La Cour, à l'unanimité donc, « décide que la République du Cameroun est tenue de retirer dans les brefs délais et sans condition toutes administration ou forces armées ou de police qui pourraient se trouver sur des territoires relevant de la souveraineté de la République fédérale du Nigeria conformément au point II du présent dispositif »282. Elle rappelle d'ailleurs que la même obligation pèse également sur le Nigeria conformément au point II du dispositif.

Dès lors, on peut comprendre que la C.I.J en tant que « organe judiciaire principal des Nations Unies »283 essaye toujours de maintenir la paix et l'équilibre dans les rapports inter étatiques. Et comme le souligne un document publié par la C.I.J elle même, « le but ultime de la Cour est, lorsqu'il existe un conflit, d'ouvrir la voie à l'harmonie internationale284. Il semble alors qu'à travers ces injonctions adressées aux deux parties, c'est en filigrane l'idée de la restauration de l'harmonie qui y était cachée. A travers cette harmonie rejaillirait la coopération.

B- L'ENCOURAGEMENT DE LA COOPERATION ENTRE

LE CAMEROUN ET LE NIGERIA

Comme nous l'avons souligné plus haut, l'arrêt du 10 octobre 2002 a permis à la Cour de rechercher l'harmonie et la paix dans les relations entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria. Mais la Cour ne s'est pas contentée de ce retour à la normale. Elle a implicitement encouragé le rétablissement de la coopération entre ces deux Etats à travers la prise en compte de l'engagement du Cameroun (1) et le refus de prononcer la responsabilité internationale du Nigeria (2).

281 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. A.

282 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. B.

283 Conformément à l'article 1 de son statut et à l'article 92 de la charte des Nations Unies.

284 Voir, La C.I.J, 1946-1996, la Haye, 4è édition, 1996, p.71.

a) La prise en compte de l'engagement du Cameroun

La République du Cameroun avait pris un engagement devant la Cour en faveur des populations nigérianes installées sur son territoire. Cet engagement, la Cour l'a accepté par quinze voix contre une. Aussi, la Cour : « prend acte de l'engagement pris à l'audience par la République du Cameroun, par lequel celle-ci affirme que, « fidèle à sa politique traditionnellement accueillante et tolérante », elle « continuera à assurer sa protection aux Nigérians habitant la péninsule [de Bakassi] et [à] ceux vivant dans la région du Lac Tchad »285. Mais cette attitude du Cameroun ne devrait pas surprendre. Etant un Etat animé d'un pacifisme notoire dans la conduite de ses relations internationales, il ne pouvait qu'adopter une attitude susceptible de rétablir la sécurité entre son Voisin et lui. Et comme le soulignait déjà Albert MANDJACK, « la sécurité de l'Etat étant l'intérêt suprême de tout Etat, il est donc logique que tout gouvernement comme celui du Cameroun cherche dans la mesure de ses moyens à avoir des voisins qui ne soient pas une menace sinon réelle du moins potentielle pour ses intérêts. »286

A travers la prise en compte de cet engagement de la République du Cameroun en faveur des ressortissants nigérians, la C.I.J fait un point d'honneur à la coopération entre ces deux Etats. Coopération qui d'ailleurs est indispensable pour assurer la sécurité aux populations riveraines qui se trouvent ainsi divisées de part et d'autre le nouveau tracé de la frontière terrestre. Mais l'idéal de coopération entre camerounais et nigérians sera plus renforcé à travers le refus de la Cour de statuer sur la responsabilité internationale du Nigeria.

2- Le refus de prononcer la responsabilité internationale du Nigeria

C'est à l'unanimité que tous les juges de la Cour ont rejeté la demande du Cameroun tendant à déclarer le Nigeria internationalement responsable envers lui. Les termes de la Cour sont clairs et concis à cet effet : « rejette le surplus des conclusions de la République du Cameroun concernant la responsabilité internationale de la République fédérale du Nigeria »287 . En toute logique, s'il est vrai que le Nigeria occupait des territoires camerounais le long de la frontière terrestre, l'injonction de retrait de ses forces armées et de police de ces zones ordonnée par la C.I.J devait s'accompagner par le prononcé de sa responsabilité internationale face au Cameroun.

285 Voir arrêt, p.149, point. V. C.

286 A. MANDJACK, « Le Cameroun face à la crise tchadienne », Mémoire de maîtrise en science politique,

Yaoundé, septembre 1984, p. 88.

287 Voir arrêt, p. 149, point V. D.

Hélas, la Cour a fait prévaloir la coopération entre les deux Etats. Elle estime d'ailleurs que, << du fait du présent arrêt et de l'évacuation du territoire camerounais occupé par le Nigeria, le préjudice subi par le Cameroun en raison de l'occupation de son territoire aura en tout état de cause été suffisamment pris en compte. La Cour ne recherchera donc pas si et dans quelle mesure la responsabilité du Nigeria est engagée à l'égard du Cameroun du fait de cette occupation. »288. En principe pour la C.I.J, ce qui compte c'est le retour à la normale ; voilà pourquoi elle se réjouit lorsqu'elle constate que « l'exécution du présent arrêt donnera aux parties une occasion privilégiée de coopération dans l'intérêt des populations concernées afin notamment que celles-ci puissent continuer à bénéficier de services scolaires et de santé comparables à ceux dont elles jouissent actuellement. Une telle coopération sera particulièrement utile en vue du maintien de la sécurité lors du retrait de l'administration et des forces armées et de police nigérianes289.

Mais est-ce que la cessation du fait illicite constitue la réparation du dommage ? Nous sommes d'avis avec Pierre D'ARGENT que << l'auteur du fait illicite reste tenu de réparer tous les dommages dont l'effacement n'est pas réalisé par le retour à la légalité « primaire ». »290. Faut-il alors regretter l'impunité que la Cour accorde ainsi implicitement au Nigeria? De toutes les façons, la Cour a le mérite d'avoir mis fin aux débats judiciaires devant elle, quoique de manière assez mitigée.

II- LA DIFFICILE CLASSE JURISPRUDENTIELLE DE LA DECISION RETENUE

Par classe jurisprudentielle on entend ici la catégorie dans laquelle on peut ranger une décision d'une juridiction dans le répertoire de ses décisions. Aussi, il nous semble très difficile de classer l'arrêt du 10 octobre 2002 dans le répertoire des décisions de la Cour internationale de Justice. S'agit-il d'un arrêt de principe ou d'un arrêt de confirmation de jurisprudence? Dans tous les cas, il semble que l'hypothèse d'un arrêt de principe est plus proche de la réalité (A) que celle d'un arrêt de confirmation d'une jurisprudence constante ; celle-ci n'étant pourtant pas à rejeter (B).

288 Cf. arrêt, p. 144, par.319.

289 Arrêt, op. cit., p. 143, par. 316.

290 Voir P. D'ARGENT, << Des frontières et des peuples : l'affaire de frontière terrestre et maritimes entre le Cameroun et le Nigeria (arrêt de fond) », A.F.D.I, op. cit.

A- L'HYPOTHESE APPARENTE D'UN ARRET DE PRINCIPE

La Cour internationale de Justice fonde son raisonnement pour déterminer la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria sur les traités historiques conclus à l'époque coloniale. Comme nous l'avons vu plus haut, ces traités dont elle donne l'interprétation aujourd'hui ne sont pas applicables au Cameroun et au Nigeria que par le jeu de la «succession aux traités »291. Et surtout, il n'est pas assez de le rappeler, ses deux Etats avaient signé la résolution de l'O.U.A de 1964 tendant à «respecter les frontières existants au moment où ils ont accédé à l'indépendance». Cette résolution consacre ainsi le principe de l'uti possidetis juris. Dès lors il semble que le refus de la C.I.J de statuer sur l'argument du Cameroun fondé sur ce principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation est assez curieux à défaut d'être incohérent. En effet, « la Cour n'a pas jugé utile de se prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés par les parties pour ce qui est de Bakassi »292. Encore qu'elle n'a nulle part fait allusion à cet argument dans l'arrêt.

Elle a simplement affirmé que le Cameroun détenait un titre préexistant sur la région du Lac Tchad et dans la presqu'île de Bakassi. Que les effectivités nigérianes devaient être considérées comme «contra legem ».

Dès lors l'arrêt du 10 octobre 2002 rendu par la C.I.J en matière de délimitation de frontière semble dégager un principe : « dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet de différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre ». Mais ce raisonnement laisse penser que ce titre territorial dont pouvait se prévaloir le Cameroun était établi entre le Nigeria et lui. Ce qui est discutable293. Voilà pourquoi l'on n'est pas loin de l'hypothèse d'un arrêt de confirmation de jurisprudence.

291 Pour approfondir la question de la succession des ex-colonies aux traités antérieures à leurs indépendances, lire S. GLASER, « Décolonisation et succession aux traités en marge du problème de la primauté du droit international », R.G.D.I.P, N°4, 1970, passim.

292 Cf. Arrêt, p. 109, par. 217 in fine.

293 Les seuls accords camerouno-nigerians ne concernaient que la confirmation des textes délimitant la frontière maritime. Notamment :

- La note nigériane n°570 du 27 mars 1962

- L'accord de Yaoundé I du 14 avril 1970

- L'accord de Yaoundé II du 14 avril 1971

- l'accord de Kano du 1er septembre 1974

- L'accord de Maroua du 1er juin 1975. (Voir, arrêt, p.104, par. 210.)

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