B- LA SUBSTANCE DU RAISONNEMENT DE LA COUR
Sur ces points où les thèses nigérianes ont
prévalu, il convient, pour comprendre la délimitation retenue par
la Cour, de les examiner tour à tour.
1- Au point N° 2) La rivière Keraua
a) La Cour condense ses motifs dans le paragraphe 95 de
l'arrêt. Elle remarque tout d'abord que l'interprétation du
paragraphe18 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des
difficultés dans la mesure où le texte se contente de faire
passer la frontière par « la rivière » Keraua,
alors que celle-ci à cet endroit présente deux chenaux. La Cour
rappelle alors que son travail consistera à identifier le chenal par
lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer la
frontière. En confrontant les thèses en conflit, la Cour va
se prononcer en faveur du Nigeria, bien que de façon incidente.
b) Dans sa conclusion, bien qu'ayant refusé
d'accueillir l'argument du Nigeria selon lequel le chenal oriental doit
être préféré, au motif qu'il serait le plus
important et mieux défini le chenal occidental, la Cour finit par
consacrer cette thèse lorsqu'elle conclut que « le paragraphe
18 de la déclaration Thomson- Marchand doit être
interprétée comme faisant passer la frontière par le
chenal oriental de la rivière Keraua. »181.
Si ce n'est que de manière incidente que l'argumentation
du Nigeria est validée à Keraua, comment cela s'est-il
passé au point litigieux N°9 ?
179 Voir arrêt, p.94, par. 181.
180 Voir arrêt, pp. 94-95, par. 182.
181 Voir arrêt, p.72, par. 96.
2- Au point litigieux N° 9) Le Maio
Senche
a) Ici la Cour va tout d'abord rappeler que le paragraphe 35 de
la
déclaration Thomson-Marchand alors applicable pose
encore le problème de l'identification de la ligne de partage des
eaux182. A cet effet, elle arrive à une conclusion
manifestement favorable au Nigeria.
b) La Cour fait valoir l'argumentation du Nigeria sur ce point
en rejetant
ostensiblement celle du Cameroun. Elle s'exprime en ces termes
: « La Cour, après étude de matériau
cartographique que lui ont fourni les parties, observe qu'elle ne saurait
accepter le tracé de la ligne de partage des eaux proposé par le
Cameroun dans la mesure en particulier où celui suit le cours d'une
rivière sur la plus grande partie de sa longueur ; ce qui est
incompatible avec le concept de ligne de partage des eaux183. La
ligne de partage des eaux, comme le soutient le Nigeria, passe entre le bassin
du Maio Senche et celui de deux rivières qui se trouvent le plus au
sud»184.
Ayant affirmé la valeur, mieux encore, le primat de la
démarche du Nigeria sur celle du Cameroun avec précision dans la
zone du Maio Senche, interrogeons-nous de la manière avec laquelle cela
a été fait à Jimbare et Sapeo.
3- Au point litigieux n°10) Jimbare et Sapeo
a) Sur cette zone de la frontière
terrestre, la Cour a d'abord constaté que l'interprétation des
paragraphes 35 à 38 de la déclaration soulève des
difficultés parce que d'une part, ils contiennent des erreurs
matérielles et d'autre part, ils sont tout simplement contradictoires
à la représentation faite de cette frontière sur la Carte
1931 annexé à la déclaration185.
- A Sapeo, la Cour constate avec le Nigeria
que la ligne frontière décrite dans le procèsverbal
Logan-Le Brun est bien celle qui a été reprise sur la carte de
1931 jointe à la déclaration. La Cour ne retient donc pas la
ligne prévue par la déclaration elle-même. Au surplus, elle
ajoute un argument tiré de l'absence d'administration du Cameroun sur ce
village pour confirmer l'appartenance de celui-ci au Nigeria. Que dès
lors, d'après l'interprétation
182 Voir arrêt, p.82, par. 138.
183 Il est regrettable qu'ici la Cour a fait recours au
«concept de ligne de partage des eaux » sans elle même
le définir. Cela aurait pu édifier la doctrine sur les nouvelles
avancées jurisprudentielles sur ce concept. (Voir le paragraphe 139 de
l'arrêt.)
184 Arrêt, p. 82, par. 139. Voir aussi le croquis
no 8 de l'arrêt en annexe.
185 Arrêt, p. 84, par. 143.
pertinente de l'intention des rédacteurs de la
déclaration Thomson-Marchand, c'est le tracé décrit dans
le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit être
considéré.
A défaut de douter de la pertinence du raisonnement de
la Cour, on peut néanmoins s'interroger sur l'opportunité de son
argumentation tirée sur le défaut d'administration du Cameroun
dans cette région. N'est-ce pas là une manière, quoique
infime qu'elle paraisse, de faire prévaloir les effectivités sur
le titre ? Quoiqu'il en soit, la Cour considère que Sapeo était
nigérian lors des plébiscites de 1959 et 1961186.
- A Jimbare, la Cour note que contrairement
à ce qui s'est passé à Sapeo, la révision de la
frontière contenue dans le procès-verbal Logan-Le Brun n'a pas
été transposée sur la carte de 1931 jointe à la
déclaration Thomson-Marchand, pour ce qui concerne la région du
Jimbare. Mais malgré cette remarque pertinente par elle faite, la Cour
va affirmer « ... néanmoins que c'est également le
tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit
ici prévaloir
»187.
c) Mais la conclusion de la Cour est encore
très surprenante. Elle conclut que « les paragraphes 37 et 38
de la déclaration Thomson-Marchand doivent être
interprétés comme faisant passer la frontière par le
tracé décrit au paragraphe1 de procès-verbal Logan-Le
Brun, tel que représenté par le Nigeria sur les figures 7.15 et
7.16 en regard des pages 346 et 350 de sa duplique »188.
La surprise ici réside dans la substitution implicite qu'effectue la
Cour de la déclaration Thomson-Marchand par ce procès-verbal
Logan-Le Brun qui pourtant, comme elle l'a rappelé au paragraphe
précédent, n'a pas été entièrement
transposé dans ladite déclaration. La Cour aurait certainement
mieux fait en précisant la valeur juridique de cet instrument de
délimitation.
La reconnaissance des thèses du Nigeria à Sapeo
et à Jimbare s'est donc faite avec une certaine touche
particulière de la Cour. De même devient-il pressant d'examiner la
technique retenue au point litigieux n°11.
4- A Nomberou (Namberou) - Banglang
a) La Cour commence d'abord par constater que
le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des
difficultés d'interprétation en ce qu'il contient des erreurs
fondamentales189. Qu'à cet effet, elle devrait s'attacher
« ...à identifier le tracé que les
186 Cf. Arrêt, pp.84-85, par. 144.
187 Arrêt, p.85, par. 145.
188 Arrêt, p. 85, par. 146 in fine.
189 Voir arrêt, p. 86, par. 150.
rédacteurs de la déclaration
Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette
région ». Mais assez paradoxalement, la Cour va quasiment
abandonner le tracé de la frontière proposé par la
déclaration Thomson-Marchand en ce qu'il ne lui permet pas de
déterminer exactement la frontière dans ce secteur.
b) Comme au point litigieux
précédent, elle va donner raison à la thèse du
Nigeria en retenant le tracé contenu dans le procès-verbal
Logan-Le Brun parce que plus détaillé et fixant le point
d'aboutissement de la frontière à Hosere Tapere situé par
12014'30' de longitude est et 80 22' 00» de latitude
nord. L'autre paradoxe vient du fait que la Cour souligne toutefois que «
... le procès-verbal Logan-Le Brun et le paragraphe 38 de la
déclaration Thomson-Marchand semblent faire aboutir la frontière
dans ce secteur à un point identique »190. Et si
tel était le cas, on se serait attendu qu'elle détermine vraiment
la frontière ici à travers l'analyse pertinente du paragraphe 38
de ladite déclaration Thomson-Marchand. Toutefois, la Cour a
souligné que la délimitation ainsi retenue est plus favorable au
Cameroun191.
A la fin, la cour conclut que « le paragraphe 38 in
fine de la déclaration Thomson-Marchand doit être
interprété comme faisant passer la frontière par le cours
de la rivière Namberou jusqu'à sa source, puis de ce point, par
une ligne droite, jusqu'au Hosere Tapere tel que localisé par la cour
»192. Ainsi examinée, l'étude de
raisonnement de la C.I.J au point litigieux N°11) Namberou n'est pas
très différente de celle effectuée à Jimbare et
Sapeo. Interrogeons-nous à présent sur la méthode
utilisée à Bissaula-Tosso.
5- Au point litigieux N° 16) Bissaula-Tosso
Après avoir examiné les arguments en conflit, la
cour a constaté que la difficulté dans cette région
était de déterminer quel est l'affluent de la rivière
Akbang qui coupe la route Kentu-Bamenda et est par conséquent l'affluent
par lequel l'ordre en conseil fait passer la frontière.
A cet effet, c'est sans équivoque que la Cour fait
valoir la prétention du Nigeria en constatant que « l'affluent
sud de l'Akbang coupe bien la route Kentu-Bamenda comme le Nigeria le
prétend. C'est donc le tracé de la frontière
proposé par le Nigeria qui doit être
préféré. »193. A la fin, la C.I.J
considère « qu'il convient d'interpréter l'ordre en
conseil de 1946 comme faisant passer la frontière par le point où
l'affluent sud de la rivière Akbang, tel
190 Arrêt, p. 86, par. 151
191 Arrêt, Ibidem, in fine.
192 Arrêt, p. 87, par. 152. Voir le croquis n°9 de
l'arrêt en annexe
193 Arrêt, p. 95, par. 183.
qu'identifié par la cour, coupe la route
Kentu-Bamenda, puis de se point par l'affluent Sud jusqu'à son confluent
avec la rivière Akbang »194.
A côté de ces points litigieux où la cour a
donné raison au Nigeria au détriment de son Voisin, certains
autres points existent où le phénomène inverse s'est
produit.
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