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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

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par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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B- LA SUBSTANCE DU RAISONNEMENT DE LA COUR

Sur ces points où les thèses nigérianes ont prévalu, il convient, pour comprendre la délimitation retenue par la Cour, de les examiner tour à tour.

1- Au point N° 2) La rivière Keraua

a) La Cour condense ses motifs dans le paragraphe 95 de l'arrêt. Elle remarque tout d'abord que l'interprétation du paragraphe18 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés dans la mesure où le texte se contente de faire passer la frontière par « la rivière » Keraua, alors que celle-ci à cet endroit présente deux chenaux. La Cour rappelle alors que son travail consistera à identifier le chenal par lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer la frontière. En confrontant les thèses en conflit, la Cour va se prononcer en faveur du Nigeria, bien que de façon incidente.

b) Dans sa conclusion, bien qu'ayant refusé d'accueillir l'argument du Nigeria selon lequel le chenal oriental doit être préféré, au motif qu'il serait le plus important et mieux défini le chenal occidental, la Cour finit par consacrer cette thèse lorsqu'elle conclut que « le paragraphe 18 de la déclaration Thomson- Marchand doit être interprétée comme faisant passer la frontière par le chenal oriental de la rivière Keraua. »181.

Si ce n'est que de manière incidente que l'argumentation du Nigeria est validée à Keraua, comment cela s'est-il passé au point litigieux N°9 ?

179 Voir arrêt, p.94, par. 181.

180 Voir arrêt, pp. 94-95, par. 182.

181 Voir arrêt, p.72, par. 96.

2- Au point litigieux N° 9) Le Maio Senche

a) Ici la Cour va tout d'abord rappeler que le paragraphe 35 de la

déclaration Thomson-Marchand alors applicable pose encore le problème de l'identification de la ligne de partage des eaux182. A cet effet, elle arrive à une conclusion manifestement favorable au Nigeria.

b) La Cour fait valoir l'argumentation du Nigeria sur ce point en rejetant

ostensiblement celle du Cameroun. Elle s'exprime en ces termes : « La Cour, après étude de matériau cartographique que lui ont fourni les parties, observe qu'elle ne saurait accepter le tracé de la ligne de partage des eaux proposé par le Cameroun dans la mesure en particulier où celui suit le cours d'une rivière sur la plus grande partie de sa longueur ; ce qui est incompatible avec le concept de ligne de partage des eaux183. La ligne de partage des eaux, comme le soutient le Nigeria, passe entre le bassin du Maio Senche et celui de deux rivières qui se trouvent le plus au sud»184.

Ayant affirmé la valeur, mieux encore, le primat de la démarche du Nigeria sur celle du Cameroun avec précision dans la zone du Maio Senche, interrogeons-nous de la manière avec laquelle cela a été fait à Jimbare et Sapeo.

3- Au point litigieux n°10) Jimbare et Sapeo

a) Sur cette zone de la frontière terrestre, la Cour a d'abord constaté que l'interprétation des paragraphes 35 à 38 de la déclaration soulève des difficultés parce que d'une part, ils contiennent des erreurs matérielles et d'autre part, ils sont tout simplement contradictoires à la représentation faite de cette frontière sur la Carte 1931 annexé à la déclaration185.

- A Sapeo, la Cour constate avec le Nigeria que la ligne frontière décrite dans le procèsverbal Logan-Le Brun est bien celle qui a été reprise sur la carte de 1931 jointe à la déclaration. La Cour ne retient donc pas la ligne prévue par la déclaration elle-même. Au surplus, elle ajoute un argument tiré de l'absence d'administration du Cameroun sur ce village pour confirmer l'appartenance de celui-ci au Nigeria. Que dès lors, d'après l'interprétation

182 Voir arrêt, p.82, par. 138.

183 Il est regrettable qu'ici la Cour a fait recours au «concept de ligne de partage des eaux » sans elle même le définir. Cela aurait pu édifier la doctrine sur les nouvelles avancées jurisprudentielles sur ce concept. (Voir le paragraphe 139 de l'arrêt.)

184 Arrêt, p. 82, par. 139. Voir aussi le croquis no 8 de l'arrêt en annexe.

185 Arrêt, p. 84, par. 143.

pertinente de l'intention des rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand, c'est le tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit être considéré.

A défaut de douter de la pertinence du raisonnement de la Cour, on peut néanmoins s'interroger sur l'opportunité de son argumentation tirée sur le défaut d'administration du Cameroun dans cette région. N'est-ce pas là une manière, quoique infime qu'elle paraisse, de faire prévaloir les effectivités sur le titre ? Quoiqu'il en soit, la Cour considère que Sapeo était nigérian lors des plébiscites de 1959 et 1961186.

- A Jimbare, la Cour note que contrairement à ce qui s'est passé à Sapeo, la révision de la frontière contenue dans le procès-verbal Logan-Le Brun n'a pas été transposée sur la carte de 1931 jointe à la déclaration Thomson-Marchand, pour ce qui concerne la région du Jimbare. Mais malgré cette remarque pertinente par elle faite, la Cour va affirmer « ... néanmoins que c'est également le tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit ici prévaloir

»187.

c) Mais la conclusion de la Cour est encore très surprenante. Elle conclut que « les paragraphes 37 et 38 de la déclaration Thomson-Marchand doivent être interprétés comme faisant passer la frontière par le tracé décrit au paragraphe1 de procès-verbal Logan-Le Brun, tel que représenté par le Nigeria sur les figures 7.15 et 7.16 en regard des pages 346 et 350 de sa duplique »188. La surprise ici réside dans la substitution implicite qu'effectue la Cour de la déclaration Thomson-Marchand par ce procès-verbal Logan-Le Brun qui pourtant, comme elle l'a rappelé au paragraphe précédent, n'a pas été entièrement transposé dans ladite déclaration. La Cour aurait certainement mieux fait en précisant la valeur juridique de cet instrument de délimitation.

La reconnaissance des thèses du Nigeria à Sapeo et à Jimbare s'est donc faite avec une certaine touche particulière de la Cour. De même devient-il pressant d'examiner la technique retenue au point litigieux n°11.

4- A Nomberou (Namberou) - Banglang

a) La Cour commence d'abord par constater que le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés d'interprétation en ce qu'il contient des erreurs fondamentales189. Qu'à cet effet, elle devrait s'attacher « ...à identifier le tracé que les

186 Cf. Arrêt, pp.84-85, par. 144.

187 Arrêt, p.85, par. 145.

188 Arrêt, p. 85, par. 146 in fine.

189 Voir arrêt, p. 86, par. 150.

rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette région ». Mais assez paradoxalement, la Cour va quasiment abandonner le tracé de la frontière proposé par la déclaration Thomson-Marchand en ce qu'il ne lui permet pas de déterminer exactement la frontière dans ce secteur.

b) Comme au point litigieux précédent, elle va donner raison à la thèse du Nigeria en retenant le tracé contenu dans le procès-verbal Logan-Le Brun parce que plus détaillé et fixant le point d'aboutissement de la frontière à Hosere Tapere situé par 12014'30' de longitude est et 80 22' 00» de latitude nord. L'autre paradoxe vient du fait que la Cour souligne toutefois que « ... le procès-verbal Logan-Le Brun et le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand semblent faire aboutir la frontière dans ce secteur à un point identique »190. Et si tel était le cas, on se serait attendu qu'elle détermine vraiment la frontière ici à travers l'analyse pertinente du paragraphe 38 de ladite déclaration Thomson-Marchand. Toutefois, la Cour a souligné que la délimitation ainsi retenue est plus favorable au Cameroun191.

A la fin, la cour conclut que « le paragraphe 38 in fine de la déclaration Thomson-Marchand doit être interprété comme faisant passer la frontière par le cours de la rivière Namberou jusqu'à sa source, puis de ce point, par une ligne droite, jusqu'au Hosere Tapere tel que localisé par la cour »192. Ainsi examinée, l'étude de raisonnement de la C.I.J au point litigieux N°11) Namberou n'est pas très différente de celle effectuée à Jimbare et Sapeo. Interrogeons-nous à présent sur la méthode utilisée à Bissaula-Tosso.

5- Au point litigieux N° 16) Bissaula-Tosso

Après avoir examiné les arguments en conflit, la cour a constaté que la difficulté dans cette région était de déterminer quel est l'affluent de la rivière Akbang qui coupe la route Kentu-Bamenda et est par conséquent l'affluent par lequel l'ordre en conseil fait passer la frontière.

A cet effet, c'est sans équivoque que la Cour fait valoir la prétention du Nigeria en constatant que « l'affluent sud de l'Akbang coupe bien la route Kentu-Bamenda comme le Nigeria le prétend. C'est donc le tracé de la frontière proposé par le Nigeria qui doit être préféré. »193. A la fin, la C.I.J considère « qu'il convient d'interpréter l'ordre en conseil de 1946 comme faisant passer la frontière par le point où l'affluent sud de la rivière Akbang, tel

190 Arrêt, p. 86, par. 151

191 Arrêt, Ibidem, in fine.

192 Arrêt, p. 87, par. 152. Voir le croquis n°9 de l'arrêt en annexe

193 Arrêt, p. 95, par. 183.

qu'identifié par la cour, coupe la route Kentu-Bamenda, puis de se point par l'affluent Sud jusqu'à son confluent avec la rivière Akbang »194.

A côté de ces points litigieux où la cour a donné raison au Nigeria au détriment de son Voisin, certains autres points existent où le phénomène inverse s'est produit.

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