CHAPITRE III:
UNE DELIMITATION AMBIGUE SUR LE RESTE DE LA
FRONTIERE TERRESTRE.
La frontière terrestre entre Cameroun et le Nigeria du
Lac Tchad à Bakassi est la plus longue des frontières de l'Etat
du Cameroun155. Bien que le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria soutenait dans ses exceptions
préliminaires qu'il n'existait aucun différend territorial entre
son Voisin et lui sur cette partie de la frontière156, le
Gouvernement de la République du Cameroun dans sa requête
additionnelle du 06 juin 1994 demandera à la Cour de «
préciser définitivement la frontière entre la
République fédérale du Nigeria et lui du Lac Tchad
à la mer »157. Le Cameroun estimait alors que cette
partie de la frontière comporte trois secteurs dont chacun est
clairement délimité par un instrument distinct158 :
* Le premier secteur va de l'embouchure conventionnelle de
l'Ebedji jusqu'au « pic proéminent » que le Cameroun
dénomme « mont Kombon », délimité par
la déclaration Thomson-Marchand telle que incorporée à
l'échange des notes Henderson-Fleuriau159.
* Le deuxième secteur court du « mont Kombon
» jusqu'à « la borne 64 » mentionnée
à l'article 12 de l'accord anglo-allemand du 12 Avril 1913 et
délimité par l'ordre en Conseil britannique du 02 Août
1946160 .
* Le troisième et dernier secteur de la
frontière terrestre quant à lui court de la borne 64 à la
mer, et est délimité par les accords anglo-allemands des 11 mars
et 12 avril 1913161. La Cour constatera que le Nigeria, à ce
propos, vibrait en phase avec le Cameroun162. Mais des imbroglios
notoires persistaient néanmoins entre ces Etats en ce qui concerne le
travail auquel elle devrait se livrer.
Pour le Cameroun, bien que les instruments de
délimitation en question comportent certaines ambiguïtés et
incertitudes163, « préciser définitivement
» la frontière veut dire que la Cour confirme le tracé
de la frontière tel qu'indiqué dans les instruments de
délimitation;
155 Elle avoisine les 1600 Km, voir supra.
156 Cf. C.I.J Arrêt du 10 octobre 2002, P. 67 de
l'arrêt
157 Lire à cet effet le par. 77, P.67 de l'arrêt
158 Voir arrêt, p. 66, par. 72. Voir aussi le croquis
n°3 de l'arrêt, en annexe.
159 Voir arrêt, ibid., par. 73.
160 Arrêt, ibid., par. 74.
161 Ibidem, par.75.
162 Puisqu'il ne constatait ni la pertinence, ni
l'applicabilité des quatre instruments invoqués par le Cameroun
au fin du tracé de ces trois secteurs de la frontière terrestre.
(cf. Arrêt, p.67, par.76 et par.82, p.68 ).
163 Voir arrêt, p. 67, par.79.
qu'il ne s'agissait donc pas pour la Cour de procéder
elle-même, à une délimitation de cette
frontière164.
Le Nigeria pour sa part, en soulignant les nombreuses
défectuosités entachant ces instruments applicables, demandait
à la Cour de « préciser » la
délimitation dans les régions où ces instruments de
délimitation sont défectueux, et de rectifier la ligne
frontière réclamée par le Cameroun s'agissant des
régions où, selon lui, celle-ci ne respecte pas les termes clairs
de ces instruments165.
Ayant remarqué que les parties étaient
divisées sur le problème de la nature et de l'étendue de
son rôle, la C.I.J précisera d'abord la nuance qui distingue
l'opération de délimitation à celle de
démarcation166 de la frontière, avant de
rappeler que dans le cas d'espèce, sa tâche n'est ni de
procéder à une « délimitation de novo »
de celle-ci, ni de la démarquer167. Dès lors, «
préciser définitivement » ce tracé de la
frontière terrestre tel qu'il a été fixé dans les
instruments de délimitation pertinents revient à se prononcer sur
l'interprétation ou l'application de tel ou tel passage desdits
instruments de délimitation168. Après avoir clarifier
la tâche à laquelle elle devait s'acquitter, la Cour va retenir
une délimitation très particulière sur cette partie de la
frontière. Cette délimitation est particulière et
ambiguë parce qu'elle alterne la reconnaissance des thèses
nigérianes et camerounaises sur certains points (section 1) et la
consécration des zones neutres et intermédiaires (section 2) sur
d'autres points litigieux169.
SECTION 1 : L'ALTERNANCE DE LA RECONNAISSANCE DES
THESES
NIGERIANES ET CAMEROUNAISES SUR CERTAINS
POINTS.
Tout en se refusant d'opérer une
«délimitation de novo » de la frontière
terrestre, la cour dans un effort d'interprétation des instruments
applicables va retenir une «définition» de la
frontière qui admet, certes pas dans un ordre successif, les positions
du Cameroun et
164 Ibidem, par. 77.
165 Idem, par. 78.
166 En se référant à sa jurisprudence
dans l'affaire du différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/
Tchad. In C.I.J, Recueil 1994, p.28, Par. 56), la Cour définit la
délimitation d'une frontière comme étant sa
« définition », tandis que la démarcation
d'une frontière, qui présuppose la délimitation
préalable de celle-ci consiste en son « abornement sur le
terrain ». Voir à cet effet, l'arrêt du 10 Oct 2002,
p.69, par. 84.
167 Etant donné que les parties s'accordaient sur les
textes applicables et sur l'éventualité d'une démarcation
ultérieure par leurs propres soins. Voir, arrêt, p. 69, par.84 in
fine.
168 Voir arrêt, p. 69, par. 85, in fine.
169 La Cour énumère à cet effet dix sept
points litigieux sur la frontière terrestre allant du Lac Tchad à
la presqu'île de Bakassi. Ils vont de 1) Limani à 17) La
rivière Sama. (Voir arrêt, p. 69, para. 86). On peut y ajouter un
point 18) La borne 64 contenu au par.190, p. 96 de l'arrêt.
celles du Nigeria. Pour mieux rendre compte de cette
réalité, il nous conviendra de présenter d'abord les
points litigieux reconnus au Nigeria (I) avant d'exposer ceux
conférés au Cameroun (II).
I- LES POINTS RECONNUS AU NIGERIA
Parmi les dix sept points litigieux
énumérés par la C.I.J dans la paragraphe 82 de
l'arrêt, cinq ont été attribué à la cause
nigériane. Il s'agit des points 2) La rivière Keraua (Kirewa ou
Kirawa), 9) Le Maio Senche, 10) Jimbare et Sapeo, 11) Nomberou (Namberou)-
Banglang, et 16) Bissaula-Tosso.
Avant d'arriver au contenu de la position de la Cour (B), il est
toujours intéressant de rappeler les thèses en conflit (A)
quoique de manière sommaire.
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