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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

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par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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B - LE REGIME DE CETTE FRONTIERE ENTRE 1913 ET 1960

Le raisonnement de la C.I.J est quasi identique à celui déjà développé dans la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad, en ce qui concerne l'origine historique du texte applicable.

La Cour rappelle d'abord, qu'après la première guerre mondiale, la défaite enregistrée par l'Allemagne l'amena à renoncer à ses possessions coloniales. Celles-ci seront partagées entre la Grande-Bretagne et la France en vertu du traité de Versailles, comme territoires sous mandat de la Société Des Nations (S.D.N). Que c'est en vertu de ce mandat que la Grande-Bretagne informa le Conseil de la S.D.N de son intention d'administrer le Cameroun

136 Ibidem, par. 207.

137 Voir arrêt, p. 103, par. 208.

138 Voir arrêt, p. 103, par. 209.

139 En effet, c'est par treize voix contre trois que cette solution a été adoptée. ( Voir arrêt, p. 146, point III-A du dispositif. ). Mais, mis à part l'impressionnante Opinion dissidente du juge ad hoc pour le Nigeria, AJIBOLA, le juge RANJEVA arrive également à une conclusion contraire à celle de l'arrêt. Il estime que nier toute valeur juridique au traité du 10 septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar revient à confirmer que : « dans les relations conventionnelles avec les chefs indigènes, pacta non sunt servanda » ; ce qui n'est pas juste . . . Voir à cet effet, Opinion individuelle du juge RANJEVA, pp. 1-3, par. 3 et suivants.

Les développements du juge REZEK sont encore plus pertinents dans sa déclaration. Il estime que renier la valeur de traité international au traité du 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar c'est, pour la Cour, faire preuve d'une « inconsistance » et certainement, d'une impertinence argumentative. Voir à cet effet, Déclaration de M. le juge REZEK, pp. 1-3.

méridional conjointement avec les provinces méridionales du protectorat de Nigeria; ce que ledit Conseil accepta. Mais la Cour précise qu'il ne s'agissait pas là d'une occasion d'intégrer ce territoire dans le protectorat du Nigeria. Qu'il s'agissait pour la Grande-Bretagne d'une manière d'administrer ses zones, parmi lesquelles Bakassi « comme si elles faisaient partie » des provinces du Nigeria140. C'est presque ces mêmes dispositions qui seront maintenues après la deuxième guerre mondiale.

Après la deuxième guerre mondiale, la Cour note que les territoires du Cameroun sous mandat céderont place au régime de tutelle avec la création de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U) en 1945. La situation territoriale étant demeurée « exactement la même », c'est-à-dire que le Cameroun sous mandant de la SDN s'étant simplement mué au Cameroun sous tutelle de l'ONU, les puissances administrantes, France et Grande-Bretagne, resteront les mêmes. Et la Grande-Bretagne, ayant continué à administrer la zone du Cameroun méridional à laquelle appartient Bakassi « comme si elle faisait » partie du Nigeria, savait sans équivoque que Bakassi était un territoire camerounais. Encore qu'elle n'avait pas compétence pour modifier unilatéralement les frontières du territoire sous tutelle. La Cour arrive alors à la conclusion selon laquelle «...pour toute la période comprise entre 1922 et 1961 (année où prit fin le régime de tutelle), Bakassi fit partie du Cameroun britannique. La frontière entre Bakassi et le Nigeria, indépendamment des arrangements d'ordre administratif, demeure une frontière internationale »141. Cette conclusion de la Cour est encore plus claire dans les paragraphes 213 à 217 de l 'arrêt142.

Dans ces paragraphes, la C.I.J adopte une démarche un peu proche à celle du Cameroun en recherchant des paradoxes dans les arguments de l'Etat du Nigeria. Après avoir fait observer que ni la S.D.N, ni l'O.N.U ne considérèrent que Bakassi appartenait encore aux rois et chefs du Vieux-Calabar, la Cour surprend le Nigeria en lui rappelant que lors de son accession à l'indépendance, il n'avait fait mention nulle part avoir acquis Bakassi des rois et chefs du Vieux-Calabar143. De surcroît, comme le souligne la Cour, le Nigeria n'avait jamais soulevé une question concernant l'étendue de son territoire dans cette région à cette époque.

En plus de cette attitude lacunaire du Nigeria, la Cour fait encore remarquer que le Nigeria avait voté en faveur de la résolution 1608 (XV) de l'Assemblée générale de l'O.N.U mettant fin au régime de tutelle confirmant la frontière définie par l'accord anglo-allemand

140 La Cour fait appel ici à la lettre de l'Ordre en conseil (britannique) du 26 juin 1923 relatif à l'administration du territoire sous mandat du Cameroun Britannique, (cf. Arrêt du 10 octobre 2002, paragraphe 212, P.105).

141 Cf. paragraphe 212, p. 105, op.cit

142 Arrêt, pp. 106-109.

143 Arrêt, p. 106, par. 213.

du 11 mars 1913 et confirmée par le plébiscite au Cameroun méridional de 1961 en vertu duquel cette partie et Bakassi notamment demeuraient des territoires Camerounais.

La Cour expose à effet, une note verbale n° 570 en date du 27 mars 1962 adressée au Cameroun par le Nigeria à propos des concessions pétrolières144. Il en est résulte que le Nigeria a toujours considéré Bakassi comme un territoire camerounais ; attitude confirmée dans toutes les cartes officielles du Nigeria jusqu'en 1972. Dès lors le Nigeria à cette époque avait admis qu'il était lié par les articles XVIII à XXII de l'accord angloallemand du 11 mars 1913, et avait reconnu que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi était camerounaise145. A la fin, tenant compte des bases juridiques et de la répartition géographique des concessions pétrolières accordées par l'une et l'autre Parties jusqu'en 1991146, tenant également compte d'un certain nombre de demandes officielles formulées dans les années quatre-vingt par l'ambassade du Nigeria à Yaoundé ou par les autorités consulaires nigérianes en vue d'effectuer des tournées auprès de leurs ressortissants résidant à Bakassi147, la Cour jugera que « l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 était valide et applicable dans son intégralité »148.

En somme, pour la Cour internationale de Justice, la frontière à Bakassi avait été délimitée à l'époque coloniale par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913. Que cet accord se suffisait à lui-même, et qu'il n'était pas « . . . utile de se prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés par les Parties pour ce qui est de Bakassi. »149. Et qu'en fait, les effectivités soulevées par le Nigeria, aussi belles, aussi évidentes qu'elles peuvent paraître, doivent être considérées comme des faits «contra legem », c'est à dire contraire au droit international, parce que postérieures au titre du Cameroun150. Les conclusions de la Cour sont simples sur cette question.

« III.A) Par treize voix contre trois,

Décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria à Bakassi est délimitée par les articles XVIII à XX de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 ;

144 Cf. arrêt, pp. 106-107, par. 214.

145 Ibidem, par. 217, in fine.

146 Cf. arrêt, pp. 108-109, par. 215.

147 Ibidem, par. 216.

148 Ce qui ne sera malheureusement pas l'avis des juges KOROMA, REZEK et, naturellement pas celle du juge ad hoc nigérian AJIBOLA (Cf. dispositif de l'arrêt, p.147.)

149 Voir arrêt, p. 109, par. 217, in fine.

150 Sur cette question, voir les développements de la Cour dans les paragraphes 218 à 225, pp. 109-113. Elle articule son raisonnement sur sa jurisprudence dans l'affaire du Différend frontalier Burkina Faso/République du Mali (arrêt, C.I.P. recueil 1986,P.586-587, Par. 63), et par une phrase simple: « ...dans l'éventualité où il existe un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre ».

B) Par treize voix contre trois,

Décide que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est camerounaise ;

C) Par treize voix contre trois,

Décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria à Bakassi suit le thalweg de la rivière Akpakorum (Akwayafé), en séparant les îles Mangroves près d'Ikang de la manière indiquée sur la carte TSGS 2240 jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point »151.

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