B - LE REGIME DE CETTE FRONTIERE ENTRE 1913 ET 1960
Le raisonnement de la C.I.J est quasi identique à celui
déjà développé dans la délimitation de la
frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad, en ce qui concerne
l'origine historique du texte applicable.
La Cour rappelle d'abord, qu'après la première
guerre mondiale, la défaite enregistrée par l'Allemagne l'amena
à renoncer à ses possessions coloniales. Celles-ci seront
partagées entre la Grande-Bretagne et la France en vertu du
traité de Versailles, comme territoires sous mandat de la
Société Des Nations (S.D.N). Que c'est en vertu de ce mandat que
la Grande-Bretagne informa le Conseil de la S.D.N de son intention
d'administrer le Cameroun
136 Ibidem, par. 207.
137 Voir arrêt, p. 103, par. 208.
138 Voir arrêt, p. 103, par. 209.
139 En effet, c'est par treize voix contre trois que cette
solution a été adoptée. ( Voir arrêt, p. 146, point
III-A du dispositif. ). Mais, mis à part l'impressionnante Opinion
dissidente du juge ad hoc pour le Nigeria, AJIBOLA, le juge RANJEVA arrive
également à une conclusion contraire à celle de
l'arrêt. Il estime que nier toute valeur juridique au traité du 10
septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du
Vieux-Calabar revient à confirmer que : « dans les relations
conventionnelles avec les chefs indigènes, pacta non sunt servanda
» ; ce qui n'est pas juste . . . Voir à cet effet, Opinion
individuelle du juge RANJEVA, pp. 1-3, par. 3 et suivants.
Les développements du juge REZEK sont encore plus
pertinents dans sa déclaration. Il estime que renier la valeur de
traité international au traité du 10 septembre 1884 entre la
Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar c'est, pour la Cour,
faire preuve d'une « inconsistance » et certainement, d'une
impertinence argumentative. Voir à cet effet, Déclaration de
M. le juge REZEK, pp. 1-3.
méridional conjointement avec les provinces
méridionales du protectorat de Nigeria; ce que ledit Conseil accepta.
Mais la Cour précise qu'il ne s'agissait pas là d'une occasion
d'intégrer ce territoire dans le protectorat du Nigeria. Qu'il
s'agissait pour la Grande-Bretagne d'une manière d'administrer ses
zones, parmi lesquelles Bakassi « comme si elles faisaient partie
» des provinces du Nigeria140. C'est presque ces
mêmes dispositions qui seront maintenues après la deuxième
guerre mondiale.
Après la deuxième guerre mondiale, la Cour note
que les territoires du Cameroun sous mandat céderont place au
régime de tutelle avec la création de l'Organisation des Nations
Unies (O.N.U) en 1945. La situation territoriale étant demeurée
« exactement la même », c'est-à-dire que le
Cameroun sous mandant de la SDN s'étant simplement mué au
Cameroun sous tutelle de l'ONU, les puissances administrantes, France et
Grande-Bretagne, resteront les mêmes. Et la Grande-Bretagne, ayant
continué à administrer la zone du Cameroun méridional
à laquelle appartient Bakassi « comme si elle faisait
» partie du Nigeria, savait sans équivoque que Bakassi
était un territoire camerounais. Encore qu'elle n'avait pas
compétence pour modifier unilatéralement les frontières du
territoire sous tutelle. La Cour arrive alors à la conclusion selon
laquelle «...pour toute la période comprise entre 1922 et
1961 (année où prit fin le régime de tutelle), Bakassi
fit partie du Cameroun britannique. La frontière entre Bakassi et le
Nigeria, indépendamment des arrangements d'ordre administratif, demeure
une frontière internationale »141. Cette
conclusion de la Cour est encore plus claire dans les paragraphes 213 à
217 de l 'arrêt142.
Dans ces paragraphes, la C.I.J adopte une démarche un
peu proche à celle du Cameroun en recherchant des paradoxes dans les
arguments de l'Etat du Nigeria. Après avoir fait observer que ni la
S.D.N, ni l'O.N.U ne considérèrent que Bakassi appartenait encore
aux rois et chefs du Vieux-Calabar, la Cour surprend le Nigeria en lui
rappelant que lors de son accession à l'indépendance, il n'avait
fait mention nulle part avoir acquis Bakassi des rois et chefs du
Vieux-Calabar143. De surcroît, comme le souligne la Cour, le
Nigeria n'avait jamais soulevé une question concernant l'étendue
de son territoire dans cette région à cette époque.
En plus de cette attitude lacunaire du Nigeria, la Cour fait
encore remarquer que le Nigeria avait voté en faveur de la
résolution 1608 (XV) de l'Assemblée générale de
l'O.N.U mettant fin au régime de tutelle confirmant la frontière
définie par l'accord anglo-allemand
140 La Cour fait appel ici à la lettre de l'Ordre en
conseil (britannique) du 26 juin 1923 relatif à l'administration du
territoire sous mandat du Cameroun Britannique, (cf. Arrêt du 10 octobre
2002, paragraphe 212, P.105).
141 Cf. paragraphe 212, p. 105, op.cit
142 Arrêt, pp. 106-109.
143 Arrêt, p. 106, par. 213.
du 11 mars 1913 et confirmée par le plébiscite au
Cameroun méridional de 1961 en vertu duquel cette partie et Bakassi
notamment demeuraient des territoires Camerounais.
La Cour expose à effet, une note verbale n° 570 en
date du 27 mars 1962 adressée au Cameroun par le Nigeria à propos
des concessions pétrolières144. Il en est
résulte que le Nigeria a toujours considéré Bakassi comme
un territoire camerounais ; attitude confirmée dans toutes les cartes
officielles du Nigeria jusqu'en 1972. Dès lors le Nigeria
à cette époque avait admis qu'il était lié par les
articles XVIII à XXII de l'accord angloallemand du 11 mars 1913, et
avait reconnu que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi
était camerounaise145. A la fin, tenant compte des bases
juridiques et de la répartition géographique des concessions
pétrolières accordées par l'une et l'autre Parties
jusqu'en 1991146, tenant également compte d'un certain nombre
de demandes officielles formulées dans les années quatre-vingt
par l'ambassade du Nigeria à Yaoundé ou par les autorités
consulaires nigérianes en vue d'effectuer des tournées
auprès de leurs ressortissants résidant à
Bakassi147, la Cour jugera que « l'accord
anglo-allemand du 11 mars 1913 était valide et applicable dans son
intégralité »148.
En somme, pour la Cour internationale de Justice, la
frontière à Bakassi avait été
délimitée à l'époque coloniale par l'accord
anglo-allemand du 11 mars 1913. Que cet accord se suffisait à
lui-même, et qu'il n'était pas « . . . utile de se
prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés
par les Parties pour ce qui est de Bakassi. »149. Et qu'en
fait, les effectivités soulevées par le Nigeria, aussi belles,
aussi évidentes qu'elles peuvent paraître, doivent être
considérées comme des faits «contra legem »,
c'est à dire contraire au droit international, parce que
postérieures au titre du Cameroun150. Les conclusions de la
Cour sont simples sur cette question.
« III.A) Par treize voix contre
trois,
Décide que la frontière entre la
République du Cameroun et la République fédérale du
Nigeria à Bakassi est délimitée par les articles XVIII
à XX de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 ;
144 Cf. arrêt, pp. 106-107, par. 214.
145 Ibidem, par. 217, in fine.
146 Cf. arrêt, pp. 108-109, par. 215.
147 Ibidem, par. 216.
148 Ce qui ne sera malheureusement pas l'avis des juges KOROMA,
REZEK et, naturellement pas celle du juge ad hoc nigérian AJIBOLA (Cf.
dispositif de l'arrêt, p.147.)
149 Voir arrêt, p. 109, par. 217, in fine.
150 Sur cette question, voir les développements de la
Cour dans les paragraphes 218 à 225, pp. 109-113. Elle articule son
raisonnement sur sa jurisprudence dans l'affaire du Différend frontalier
Burkina Faso/République du Mali (arrêt, C.I.P. recueil
1986,P.586-587, Par. 63), et par une phrase simple: « ...dans
l'éventualité où il existe un conflit entre
effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer
le titre ».
B) Par treize voix contre trois,
Décide que la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi est camerounaise ;
C) Par treize voix contre trois,
Décide que la frontière entre la
République du Cameroun et la République fédérale du
Nigeria à Bakassi suit le thalweg de la rivière Akpakorum
(Akwayafé), en séparant les îles Mangroves près
d'Ikang de la manière indiquée sur la carte TSGS 2240
jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point
»151.
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