3- Liaison entre pratiques de gestion des ressources
humaines et performance
De nombreux théoriciens ont présenté le
capital humain de l'entreprise comme une source d'avantage concurrentiel
durable à celle-ci et la gestion de ce capital humain est perçue
comme l'ultime déterminant de la performance. Pourquoi les pratiques RH
seraient- elles liées au succès de l'entreprise ? Quelle serait
la nature de cette relation ? (3.1) Quelles sont les conclusions des
études empiriques sur la question ? (3.2)
3.1- L'existence de la relation entre gestion des
ressources humaines et la performance.
En se référant à la définition de
la performance développée plus haut, nous nous situons dans une
approche positiviste (1) de la performance. Celle-ci est définie comme
un résultat positif d'une action et l'une des finalités de notre
travail est de mesurer l'influence des pratiques RH sur la performance de
l'entreprise donc de mesurer et non de construire ou de représenter la
performance.
Deux approches sont couramment évoquées dans la
littérature, apportant des explications sur les sources de la
performance organisationnelle. Il s'agit de l'approche économique et de
l'approche organisationnelle. Selon la première, les facteurs relatifs
à une bonne gestion des ressources internes ont une contribution
très marginale à la performance de l'entreprise, celle-ci
étant surtout due à des facteurs externes à l'entreprise.
Pour la seconde, la performance organisationnelle est fonction d'un ensemble de
facteurs internes : individuels, collectifs et organisationnels. Au
début des années 1980, cette seconde approche est
confortée par la théorie des ressources internes Barney, (1995).
Selon cette théorie, les écarts de performance entre les
entreprises d'un même secteur d'activité proviennent d'une
exploitation des ressources internes plutôt que d'une adaptation de
l'organisation au marché et à l'environnement. Coff (1997)
souligne que les RH constituent des actifs difficilement duplicables ou
transférables, en raison de leur spécificité, de leur
imbrication dans le système sociaux (interne et externe à
l'entreprise) et de la relation ambiguë (difficile à
établir) qu'elles entretiennent avec la performance et la
création de valeur. La réflexion sur les sources de la
performance de l'entreprise affirme que les ressources humaines (RH) et la
manière de les gérer sont en relation étroite avec le
succès de l'entreprise.
L'identification d'une relation entre la GRH et la performance
de l'entreprise amène à axer une réflexion sur la nature
de cette relation. La réflexion sur les sources de la performance
organisationnelle affirme que les ressources humaines et la façon de les
gérer sont en étroite relation avec le succès de
l'entreprise. Identifier une relation entre la GRH et la performance de
l'entreprise revient à réfléchir sur les pratiques RH et
la performance de l'entreprise.
Selon des auteurs comme Le Louarn (2001), les pratiques RH,
bien qu'elles soient mises en oeuvre pour réaliser une meilleur
performance organisationnelle, produisent d'abord et surtout des
résultats directs sur les RH et, par la suite, des résultats
indirects sur les plans organisationnel, financier et de la valeur de l'action.
A ce jour, deux approches ont été développées pour
tenter d'expliquer la relation entre les pratiques RH et la performance de
l'entreprise. Il s'agit d'une approche « universelle »
et une approche « de contingence ». L'approche universelle
postule une relation directe entre les différentes pratiques RH (best
practices) -prises de manière isolée ou dans un système
(grappes)- et la performance organisationnelle (Huselid, 1995 ; Pfeffer,
1994). En revanche, l'approche de contingence postule que l'impact des
pratiques RH sur la performance de l'entreprise dépend de leur
cohérence avec la stratégie globale de l'entreprise (Wright
et al., 1995 ; Jackson et al., 1989) : plus le
degré de cohérence entre la stratégie globale de
l'entreprise et sa politique de GRH est important et plus l'influence de la GRH
sur la performance organisationnelle est forte. Dans la même logique,
Wrigth et al.(1995) affirment que les entreprises affichent de bonnes
performances lorsqu'elles possèdent des compétences humaines
compatibles avec sa stratégie. La relation peut être
également envisagée dans le sens inverse : les entreprises
affichent de bonnes performances lorsqu'elles développent des
stratégies cohérentes avec les compétences de leur
personnel.
L'absence d'unanimité sur la nature du lien entre la
GRH et la performance ne réduit pas cependant l'utilité
évidente d'une évaluation de la contribution de cette fonction au
succès de l'entreprise. Nous allons présenter quelques
études empiriques qui ont tenté d'établir le lien entre
les pratiques RH et la performance de l'entreprise.
3.2- état des études antérieures
empiriques
Nous allons, dans cette section recenser les études
empiriques qui ont tenté d'établir ou d'expliquer la relation
entre les pratiques RH et la performance de l'entreprise.
L'approche universaliste de la gestion des ressources humaines
a été validée à travers bon nombre d'études
empiriques, lesquelles ont été menées le plus souvent sur
des échantillons ne comportant que des grandes entreprises (Delery et
Doty 1996). Quelques études seulement ont porté sur des
échantillons mixtes, réunissant à la fois des grandes
entreprises et des PME (Bryson ,1999).
Un nombre encore plus limité d'études a
été réalisé en contexte de PME. Il importe de faire
une telle distinction car la gestion des ressources humaines en PME revêt
un caractère spécifique. En effet, des travaux ont montré
que les pratiques de gestion des ressources humaines sont moins
développées et moins formalisées au sein des PME qu'elles
ne le sont généralement dans la grande entreprise ( Fabi et
Garand, 1997). Par ailleurs, D'Amboise et Garand (1995) ont observé un
manque généralisé d'expertise au plan des méthodes
et des techniques de gestion des ressources humaines au sein des PME. D'autres,
enfin, ont constaté que la mise en place de pratiques de gestion des
ressources humaines dans les PME consiste souvent en une simple réplique
des pratiques appliquées dans d'autres entreprises, et surtout les
grandes entreprises ( Welbourne et al. 2000).
À notre connaissance, seulement trois autres
études cherchant à mesurer l'impact d'ensembles
diversifiés de pratiques de gestion des ressources humaines sur la
performance des entreprises ont été réalisées en
contexte de PME, soit celles de Liouville et Bayad (1995) ; Bayad et Fabi
(2002) et Way (2002).
L'étude de Liouville et Bayad (1995),
réalisée auprès de 271 PME manufacturières
françaises, a quant à elle permis d'examiner les liens de
causalité entre les pratiques de gestion des ressources humaines et les
performances sociales, organisationnelles et économiques des PME.
Les entreprises ont été réparties en cinq
classes différentes selon le degré d'importance que les
dirigeants accordaient aux préoccupations en gestion des ressources
humaines. Dans un premier temps, les auteurs ont analysé et
comparé la variance observée dans la performance de chacune des
classes. Les résultats obtenus montrent que les entreprises qui ont une
forte orientation « qualitative » de la gestion des ressources
humaines sont aussi celles qui réalisent une meilleure performance
économique. Selon ces auteurs, une orientation qualitative signifie que
les individus sont perçus par l'entreprise comme une valeur à
optimiser et qu'elle ne craint pas d'investir dans un grand nombre de
pratiques, dont celles liées au développement des
compétences, à la rémunération, à la
motivation, à l'information, à la participation, au recrutement
et à l'évaluation du rendement. Dans un deuxième temps,
Liouville et Bayad (1995) ont ensuite cherché à vérifier
l'existence de relations spécifiques entre différents indicateurs
de performance au sein de chacune des classes d'entreprises. Leurs
résultats indiquent que la performance économique
(rentabilité, croissance des ventes) serait conditionnée par la
performance organisationnelle (productivité, qualité,
capacité d'innovation), elle- même conditionnée par la
performance sociale (rotation du personnel, absentéisme et satisfaction
du personnel).
L'étude réalisée par Lacoursière
et al. (2001) en PME du secteur manufacturier a permis de constater un impact
positif de certaines pratiques de gestion des ressources humaines comparable
à celui qui est rapporté par différents chercheurs dans la
grande entreprise. Influençant à la fois les conditions de
travail, l'organisation du travail, la motivation et le développement
des compétences, les pratiques de gestion des ressources humaines
constituent une source importante d'avantages concurrentiels pour les
entreprises.
Les résultats obtenus à partir d'une
enquête menée auprès de 233 PME manufacturières
permettent aux auteurs d'affirmer qu'il existe une relation positive entre le
développement des pratiques de gestion des ressources humaines et la
performance des PME de leur échantillon.
Des analyses de régressions multivariées ont
également permis d'attribuer spécifiquement les effets de
certaines pratiques sur différentes dimensions de la performance des
PME. C'est ainsi que la diffusion d'informations apparaît liée au
taux de roulement du personnel et au taux de rendement de l'actif; la
formation, à la productivité; le recrutement et
l'évaluation du rendement, à la croissance des ventes.
Lacoursière et al. observent par ailleurs une relation négative
entre la participation aux décisions et la productivité des
PME.
Dans leur étude menée auprès de 46
Caisses populaires Desjardins, Arcand et al. (2002) établissent une
relation positive entre d'une part, la présence de certaines pratiques
de gestion des ressources humaines et d'autre part, différents
indicateurs de performance organisationnelle et financière, dont la
satisfaction des employés, l'efficacité des ressources humaines
(productivité), les trop-perçus (profits) et le rendement de
l'investissement.
Plus précisément, les résultats obtenus
par ces auteurs montrent que lorsqu'elles sont introduites simultanément
dans une régression, les variables de gestion des ressources humaines
sont associées significativement à chacun des quatre indicateurs
de performance, la variance expliquée par le modèle total se
situant à 41 % pour la satisfaction, 47 % pour les trop-perçus,
50 % pour le rendement sur l'investissement et 37 % pour la performance du
personnel. Précisons toutefois que cette étude a
été menée dans le secteur des services, où les
impacts des pratiques de gestion pourraient s'avérer plus facilement
perceptibles que dans le secteur manufacturier.
Une troisième étude, réalisée par
Way (2002) auprès de 446 PME (de moins de 100 employés) des
Etats-Unis, a permis d'établir que les entreprises recourant à
des pratiques de GRH généralement associées aux
systèmes de haute performance (recrutement, relation d'emploi,formation,
travail en équipe, communication et rémunération)
affichaient une diminution du taux de départs volontaires de leurs
employés, de même qu'une augmentation de la productivité.
Des analyses complémentaires visant à identifier la contribution
individuelle de chacune des pratiques ont permis d'établir que seules
les pratiques de rémunération étaient associées de
façon significative aux mesure de la performance (taux de départs
volontaires et productivité).
Trois autres études visant à mesurer l'impact
d'ensembles diversifiés de pratiques de gestion des ressources humaines
sur la performance méritent qu'on s'y arrête, puisqu'elles ont
porté sur des échantillons regroupant à la fois des PME et
des grandes entreprises. Mesurant l'effet de plusieurs pratiques de gestion des
ressources humaines, Guzzo, Jette et Katzell (1985) trouvent une relation
positive entre, d'une part, la présence des pratiques de formation et
d'évaluation du rendement et, d'autre part, une augmentation de la
productivité. Aucun effet significatif n'a été
relevé pour les pratiques liées au recrutement et à la
rémunération incitative.
Patterson, West, Lawthom et Nickell (1998) réalisent
une étude longitudinale auprès de 67 entreprises
manufacturières. Ils trouvent que les pratiques de gestion des
ressources humaines étudiées expliquent dans des proportions
respectives de 18 % et 19 % la variance observée de productivité
et de rentabilité (profits par employé). Selon ces auteurs, la
proportion de variance expliquée par les pratiques de gestion des
ressources humaines est grandement supérieure à celle
expliquée par d'autres pratiques en lien avec la stratégie, la
technologie, la recherche et le développement et la qualité,
aucune n'expliquant plus de 8 % de la variance. Des analyses
complémentaires permettent à ces chercheurs d'établir
qu'un groupe de pratiques comprenant le recrutement/sélection, la
socialisation, la formation et l'évaluation du rendement serait celui
qui explique la plus grande part de la variance observée, tant du point
de vue de la productivité que de la rentabilité.
Le deuxième ensemble de pratiques expliquant une bonne
part de la variance observée aurait trait à l'organisation du
travail. Il inclut la polyvalence, la rotation des tâches, la
délégation des responsabilités et le travail en
équipe. Les pratiques appartenant à un troisième ensemble,
soit la communication, les cercles de qualité et la
rémunération incitative, ne contribueraient pas, quant à
elles, à expliquer une part significative de la variance
observée.
Dans une étude menée auprès de 178 PME et
386 grandes entreprises britanniques, Bryson (1999) montre que certaines
pratiques de gestion des ressources humaines affectent différemment la
performance des PME et des grandes entreprises. Les pratiques retenues par
l'auteur pour ses travaux sont : la tenue de réunions entre les
supérieurs hiérarchiques et le personnel, la diffusion
régulière d'informations écrites à tout le
personnel, le recours systématique à la chaîne
hiérarchique pour des communications s'adressant à tout le
personnel, le programme de rémunération incitative, le programme
de suggestions et de consultation du personnel pour la résolution de
problèmes.
Les résultats indiquent que seules les pratiques de
recours systématique à la chaîne hiérarchique et de
recours à des pratiques de communication directes sont associées
significativement à une meilleure performance financière. Ce
résultat est confirmé pour les PME mais devient moins
évident pour les grandes entreprises. Cependant, certaines combinaisons
de pratiques telles que le recours systématique à la chaîne
hiérarchique associé à un mode de communication direct
avec le personnel, représentent la meilleure combinaison de pratiques
appliquées en contexte de PME.
Le tableau suivant représente une synthèse de
quelques études menées dans ce domaine.
Tableau 1 : Gestion des Ressources Humaines et
Performance
Auteurs
|
Résultats
|
Huselid et Becker (1997)
|
Une relation significative entre d'une part, l'investissement
réalisé dans certaines pratiques RH dont notamment les pratiques
d'évaluation du rendement, de rémunération et de gestion
des carrières et d'autre part, l'accroissement de l'avoir des
actionnaires auprès d'entreprises américaines.
|
Barette et Simeus (1997)
|
Une relation entre l'accroissement de l'efficacité
financière de ces firmes et la présence de certaines
activités RH dont les activités de rémunération et
d'évaluation du rendement auprès de 80 entreprises du secteur de
la haute technologie
|
Delery et Doty (1996)
|
Les pratiques de partage des profits, de protection de
l'emploi et d'évaluation du rendement des employés constituent
d'importants déterminants de l'efficacité financière des
banques américaines.
|
Stephen et Verma (1995)
|
Une importante relation entre les pratiques visant la
protection de l'emploi, les programmes de qualité de vie au travail et
le niveau de profitabilité de ces dernières auprès des
grandes entreprises syndiquées canadiennes.
|
Welbourne et Andrews (1996)
|
Une relation hautement significative entre le taux de survie
d'entreprises nouvellement inscrites en bourse et l'introduction de pratiques
RH, essentiellement celles ayant trait aux politiques de
rémunération incitative.
|
Guérin, Wils et Lemire (1997)
|
L'introduction de pratiques axées sur la participation
et la communication avait pour effet de réduire substantiellement le
niveau d'insatisfaction au travail d'employés professionnels
syndiqués.
|
Berg (1999)
|
Le niveau de satisfaction des employés
américains du secteur de l'acier est aussi fortement relié
à la présence de pratiques RH telles que les groupes autonomes de
travail, la formation et la multiplication des canaux de communication.
|
Betcherman, McMullen, Leckie et Caron (1994)
|
Une relation significative entre la participation des
employés, la rémunération incitative et
l'amélioration de certains indicateurs de performance tels que le climat
social et la productivité organisationnelle.
|
Batt et Applebaum (1995)
|
Les organisations plus participatives et plus flexibles
peuvent compter sur des employés plus satisfaits et plus engagés,
mais montrent également une qualité de produit supérieure
aux entreprises réputées plus traditionnelles.
|
Huselid (1995), et Huselid, Jackson et Schuler (1997)
|
Une importante relation entre le niveau d'investissement
atteint dans certaines innovations RH et divers critères de performance
comme le taux de roulement, le niveau de productivité et la valeur
économique de la firme.
|
Nous voici maintenant doté d'une revue de la
littérature sur notre sujet de recherche. Il nous reste à
préciser nos choix méthodologiques nous permettant de mener
à bien la partie empirique de notre travail.
DEUXIEME PARTIE
|