Médicaments achetés, remboursés et non utilisés en France : Aperçu d'un gaspillage( Télécharger le fichier original )par Fatiha Nousseir Faculté de médecine LARIBOISIERE à PARIS - Master II AGES 2005 |
D. La surconsommation des médicaments1. Définition :La surconsommation est l'usage inapproprié d'un médicament ne respectant pas: -Son indication, -Les recommandations de prescription, -Sa posologie, -Sa durée de traitement, -Ses contre-indications. Les travaux conduits par les services du contrôle médical de l'assurance maladie montrent que la prescription médicale de médicaments en ambulatoire est souvent excessive et parfois dangereuse. 2. Une prescription souvent excessiveParmi les 20 premiers produits remboursés par l'assurance maladie (qui représentent pratiquement 20 % des dépenses de ce poste), on trouve quatre hypolipémiants, deux produits agissant sur la coagulation ou l'agrégation plaquettaires, deux antidépresseurs, deux antiulcéreux, un antibiotique, un vasodilatateur, un psychotrope etc. Or, le service médical de l'Assurance maladie a noté, pour les classes thérapeutiques auxquelles appartiennent ces produits, d'importantes anomalies de prescription, favorisant presque toujours une consommation excessive. · Hypolipidémies Ces produits représentent 5,6 % du montant des médicaments remboursés et traitent 5 millions de français. Il s'agit donc là d'un enjeu majeur. Plusieurs enquêtes3(*) ont été conduites par l'Assurance maladie en 2001, 2002 et 2003 pour évaluer les pratiques de prescription, au regard des recommandations de l'ANAES et de l'AFSSAPS. Confirmant les précédentes, la plus récente4(*), menée sur 4 083 patients dans toute la France, a montré que les prescripteurs ne respectaient pas les indications du traitement que dans moins d'un tiers des cas : chez un patient sur 3 : la détermination du LDL cholestérol n'avait pas été faite, chez un patient sur 3 : le LDL cholestérol était inférieur au seuil censé déclencher le traitement, plus grave, chez 53,4 % des patients, il n'y avait pas eu de prescription de régime alimentaire préalable, conformément à ce qui est nécessaire. Or, ces produits ne sont pas dépourvus de risques à long terme, notamment musculaires Comme l'a prouvé la survenue du décès par rhabdomyolyse de 31 personnes, qui a imposé le retrait de la Cérivastatine (Cholstat*, Staltor*) en août 2001. Néanmoins, l'excès de prescription a plutôt tendance à s'aggraver, encouragé par un intense marketing et l'interprétation biaisée de nouvelles études. · Antidépresseurs Le coût pour l'assurance maladie des antidépresseurs est passé de 84 millions d'euros en 1980 à 543 millions en 20015(*). Analysant cette croissance des ventes, la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques) observe que ce n'est ni l'évolution des cas traités, ni celle des méthodes de prise en charge, ni même la hausse des coûts de traitement qui sont en cause, mais que la hausse résulte d'une augmentation des volumes de produits prescrits, ce qui explique pourquoi la France est au premier rang des pays consommateurs par habitant. Or, un rapport de l'AFSSAPS, cité par cette même étude, avait fait apparaître en 1998 qu'un tiers des prescriptions d'antidépresseurs étaient effectuées hors AMM selon des modalités non validées et pour des durées excessives. · Antiulcéreux Les antiulcéreux représentent 4,3 % des dépenses de médicaments de l'assurance maladie et le principal inhibiteur de la pompe à proton (IPP) est le produit qui entraîne la plus forte dépense. Or une enquête de l'URCAM de Bretagne6(*) a montré que la dose moyenne prescrite en IPP était constamment trop élevée par rapport aux recommandations de l'AFSSAPS éditées en 1999, que dans 25 % des cas, deux antiulcéreux étaient inutilement associés, que le produit était souvent prescrit pour diminuer les effets ulcérogènes des corticoïdes alors que cet effet n'est pas reconnu, que les antiulcéreux étaient souvent associés à des AINS réputés non ulcérogènes, etc. ; · Antibiotiques La France est le pays ayant la plus forte prescription des antibiotiques par habitant7(*) (le double par exemple de celle du Royaume Uni ou de l'Allemagne, le triple de celle des Pays Bas). Diverses enquêtes8(*) ont montré que près de la moitié des prescriptions étaient inappropriées, car correspondant à des infections virales. Une étude récente a observé que, sur 12 millions de consultation par an pour rhinopharyngites de l'enfant, 5,6 millions avaient donné lieu à prescription d'antibiotiques, alors que celle-ci n'était justifiée que dans 2,4 millions de cas. Malheureusement cet abus n'est pas seulement coûteux : il induit chez l'enfant un taux de résistance des germes aux antibiotiques proportionnel aux consommations antérieures. La France est donc également le pays où l'on constate le plus grand nombre d'échecs thérapeutiques face à des germes résistants. L'assurance maladie a donc lancé un vaste programme de communication, dont les premiers résultats sont encourageants : la baisse de prescription des antibiotiques a été significative dans les régions présentant précédemment les taux de prescription les plus élevés. · Psychotropes La consommation en psychotropes des français est 2 à 3 fois plus élevée que celles des voisins européens. Près du quart de la population protégée par le régime général d'assurance maladie a bénéficié en 2000 du remboursement d'au moins un psychotrope. S'agissant des benzodiazépines, l'étude de la DREES déjà citée rappelait l'existence d'une posologie et d'une durée excessive chez plus d'un tiers des malades. Dans une autre étude9(*) portant sur une des benzodiazépines les plus remboursées (Zopiclone), les services de l'assurance maladie ont constaté que, malgré les risques de dépendance, d'effets rebonds et de phénomènes de sevrage, 42 % des prescripteurs doublent parfois la posologie maxima fixée par l'AMM (un prescripteur l'a fait plus de 32 fois). 44 % des assurés se sont vu prescrire des quantités très supérieures aux posologies maximales fixées. · Autres produits Dans plus de 2/3 des cas, les indications et les précautions d'emploi des inhibiteurs de l'ovulation10(*) ne sont pas correctement observées et le produit est prescrit sans que l'on sache s'il est ou non utile. Une enquête nationale inter-régimes publiée en 200411(*) a montré que plus de 48 % des enfants ayant débuté un traitement par hormone de croissance ne répondaient pas à tous les critères requis et que, en région Midi-Pyrénées, la proportion de sujets traités était le double de la moyenne nationale. De nombreux autres exemples existent, témoignant dans tous les cas du caractère excessif de la prescription. Ont ainsi été étudiées des prescriptions de ritaline, médiator, subutex, méthadone, testostérone, durogesic, fluoroquinolones, etc. * 3 Revue Médicale de l'Assurance maladie vol 34, n° 4, octobre 2003. * 4 Enquête nationale inter régimes « pratiques d'instauration des traitements médicamenteux hypolémiémiants en France en 2002 » publiée en décembre 2003 * 5 DREES Etudes et résultats n° 285. Janvier 2004. * 6 CNAMTS. Faits marquants. Edition 2003. * 7 Lancet 2001. 357 ; 1851-2 * 8 CNAMTS. Ensemble de documents présentés par la CNAMTS lors d'une conférence de presse en date du 19 septembre 2003 * 9L.LETERME et Y.S. SINGLAN. Prescription et utilisation d'un hypnotique, la zopiclone.. Rev. Med. Assurance Maladie vol 32 n° 1 janvier 2001, p 11.. * 10 Dossier de presse Juin 2004. CNAMTS « inducteurs de l'ovulation étude faite sur 728 patientes en 2002. * 11 CNAMTS. Evaluation des pratiques. Enquête inter régimes : le traitement par hormone de croissance.Juin 2004 ; p 56. |
|