1.1.4 La communication non-verbale
A la convergence de tous ces courants focalisés sur la
communication humaine se trouve l'éthologie (humaine) : pour
Cosnier ([1987] 1991 : 292), les recherches des disciplines
non-linguistiques sur la communication interpersonnelle évoquées
précédemment « présentent en commun, au moins
les trois caractères suivants :
- l'approche `naturaliste', qui consiste à capter
une interaction `naturelle' ou `authentique', c'est-à-dire où les
participants ont un libre choix de leurs mouvements et de leurs mots, et ont
à gérer une réelle situation d'échange.(...)
- La prise en compte du non- verbal. (...)
- L'abandon du sujet monodique au profit de
l'interaction : il ne s'agit plus (...) de comprendre ou de
théoriser le fonctionnement d'un `sujet', mais de décrire et
d'élucider l'interaction pour elle-même. C'est la dyade (ou le
groupe) qui constitue l'entité à étudier ; les
actions et réactions de chacun n'étant qu'une contribution
à un énoncé coopératif. »
Ce qui nous intéresse particulièrement dans
l'éthologie, c'est qu'elle s'est occupée de décrire et
catégoriser les aspects verbaux et non-verbaux de la communication. Nous
empruntons, dans la typologie des gestes
communicatifs de Cosnier (ibidem : 297), les gestes associés
nécessairement à la parole lors des conversations en face
à face : les co-verbaux (expressifs ou
illustratifs) ; les synchronisateurs, qui assurent
l'interaction : les phatiques (`activité du parleur
destinée à vérifier ou à maintenir le contact') et
les régulateurs (`activité du récepteur en
réponse aux précédents').
Un geste, selon Cosnier (ibidem : 295), « pourra
apparaître en `position d'émission' (verbale) de son auteur (le
parleur) ou en `position de réception' (verbale) ». Cet aspect
ne peut pas être pris en compte en communication à distance
asynchrone, car on n'a pas affaire à une situation simultanée
d'émission et réception, mais les interventions peuvent
être interprétées comme initiatives et/ou réactives.
Marcoccia, qui a analysé l'utilisation des smileys dans la
communication médiatisée par ordinateur, s'est
intéressé à « la portée » de
ces manifestations non-verbales (comme nous verrons en 1.2.1).
1.1.5 Les actes de langage et l'interaction
Dans le monde anglo-saxon, mais de ce côté-ci de
l'Atlantique, la pragmatique, « la benjamine des
disciplines linguistiques » comme l'appelle Kerbrat-Orecchioni
([1984]1993 : 217) émerge, d'après ce chercheur
spécialiste de l'interaction, comme une nouvelle et double
approche :
1) « La pragmatique énonciative, qui
selon la définition de Charles Morris a pour tâche de
décrire les relations qui s'établissent entre
l'énoncé et ses utilisateurs, et tous les aspects du message
verbal qui sont tributaires du cadre énonciatif dans lequel il
s'enracine ;
2) la pragmatique illocutoire, ou théorie des
actes de langage, qui étudie tout ce qui dans l'énoncé lui
permet de fonctionner comme un acte spécifique, i. e. ses
aspects performatifs et illocutoires » (ibidem : 218).
Kerbrat - Orecchioni présente une étude
comparative de ces deux versants de l'approche pragmatique. Benveniste dans son
texte fondateur Problèmes de linguistique
générale, s'intéresse « à
décrire les procédés linguistiques qui permettent la
conversion de la langue en discours, son appropriation par le sujet parlant et
l'inscription dans l'énoncé de l'énonciateur et
l'énonciataire ». Selon cet auteur (ibidem : 218), la
pragmatique illocutoire a été fondée par
Austin (« Dire, c'est aussi faire. Et cela, c'est
grâce à Austin qu'on le sait » ). De
cette étude comparative, nous allons retenir que c'est « sur
ce terrain des circonstances de l'énonciation que se
rencontrent (...) Austin et Benveniste (...) au niveau des conditions de
réussite d'un acte de langage déterminé» (ibidem
: 222-224). Buscar donde B. Rechaza los a. de l.
Searle, philosophe nord-américain successeur d'Austin,
dans son ouvrage Speach acts (paru en 1969)
« considère que tout énoncé linguistique
fonctionne comme un acte particulier (ordre, question, promesse, etc.)
qui vise à produire un certain effet et à entraîner une
certaine modification de la situation interlocutive. Il appelle
illocutionary force (en français force illocutoire) la
composante de l'énoncé qui lui donne sa valeur d'acte »
(Kerbrat-Orecchioni [2001] 2005 : 16).
On se réfère aux actes de langage
indirects quand le signifiant, la forme de l'énoncé, ne
correspond pas avec le signifié, la valeur illocutoire qu'il
transporte ; ainsi, par exemple, une question apparente peut cacher une
requête (- peux-tu me passer le sel ? ) ; de nombreux
exemples de notre corpus illustrent le fait que
« l'interprétation de la valeur pragmatique d'un
énoncé fait intervenir simultanément différents
facteurs de nature hétérogène » (ibidem : 45).
La confluence du courant interactionniste, d'inspiration
plutôt sociologique, et de la pragmatique illocutoire, d'inspiration
philosophique, place les actes de langage « en contexte
(...) à l'intérieur d'une
séquence ». Pour Kerbrat-Orecchioni, la perspective
interactionniste complète ainsi les possibilités d'analyse des
actes de langage car « [négligés] par la perspective
classique, ces deux aspects du fonctionnement des actes de langage sont au
contraire considérés comme centraux par les courants pragmatiques
qui se sont développés dans le champ de la pragmatique
interactionniste » ( Kerbrat-Orecchioni [2001] 2005: 53).
N'oublions pas de signaler que « [l]l'une des
tâches de la pragmatique interactionniste consiste (...) à
compléter la description des actes de langage par celle des
règles et principes qui sous-tendent leur organisation
séquentielle. A telle fin, un certain nombre d'outils ont
été élaborés dans le cadre de divers modèles
d'analyse de discours et de la conversation » (Kerbrat-Orecchioni
[2001] 2005 : 59).
Plusieurs disciplines ont donc contribué à
l'émergence de l'objet « interaction verbale » qui
« s'est construit au carrefour des sciences du langage et des
sciences sociales » selon Colletta (1995 : 43). Ce chercheur en
psychologie et sciences de l'éducation examine dans cet article quelques
approches de l'interaction. Nous nous appuierons sur le modèle
structuraliste de Roulet qui nous aidera à observer
« l'interaction verbale comme un emboîtement
d'unités de rangs différents : l'interaction (ou
« incursion ») apparaît comme une succession
d'échanges constitués de deux ou trois interventions,
elles-mêmes constituées d'actes de langage ». Nous nous
référerons aussi aux fonctions illocutoires de
l'intervention : initiative, réactive ou mixte
« selon qu'elles permettent d'ouvrir, de clore ou de poursuivre
un échange » (ibidem : 44). Nous retenons en outre sa notion
de la complétude interactive qui explique les
échanges qui se poursuivent au-delà de trois interventions
« avec enchâssement de plusieurs interventions ou ouverture
d'un échange subordonné » (ibidem : 45).
A la suite de Goffman et de sa théorie de la
figuration (face-work ), Brown et Levinson font l'inventaire
et la description des différentes stratégies qui peuvent
être mises au service de l'exercice de la politesse et qui sont, pour
Kerbrat-Orecchioni ([2001] 2005 : 73), nombreuses et diverses :
« les formulations indirectes des actes de langage d'abord, mais
aussi d'autres procédés tels que ces réparateurs
que sont l'excuse et la justification ; et toutes sortes de
procédés adoucisseurs (...) les
minimisateurs » - procédés que nous
aurons l'occasion d'observer dans notre corpus, de même que les FTA et
FFA. Kerbrat Orecchioni ([2001] 2005 : 72, 74) propose d'introduire dans
ce modèle théorique à côté du terme FTA, qui
dénomme les actes menaçants pour la propre face ou la face de
l'autre ( Face Threatening Acts ) le terme FFA (Face
Flattering Act) ou acte valorisant, ou `flatteur', pour la face d'autrui.
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