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2. Orange, ou l'extension de métier par excellenceDidier Lombard déclare au MIPTV de Cannes en avril 2008 au monde de la production de contenu : « Nous croyons profondément que notre rôle d'opérateur est d'amplifier la distribution de vos contenus grâce à des usages innovants correspondant aux attentes des consommateurs que nous connaissons bien. » Tout d'abord, il faut analyser cette intervention à la lumière des théories explicitées en amont. La connaissance des consommateurs par les opérateurs qu'il met en exergue dénote une certaine forme de condescendance corporative, mais qui fait écho à la capacité des opérateurs télécoms d'être à l'écoute des utilisateurs, de leurs évolutions, de leurs attentes, mais aussi de l'évolution des usages. Le PDG d'Orange valorise ainsi la capacité de transposition sur les services audiovisuels des observations faîtes des usages du web. Il n'omet évidemment pas de spécifier de façon sous-jacente que l'opérateur « distribue » les contenus des producteurs. Cela implique que les réseaux sont les décideurs, puisqu'ils transportent les flux, mais aussi combien un opérateur comme Orange se dispense aujourd'hui des agrégateurs de programmes que sont les éditeurs historiques pour s'adresser directement à ces façonneurs de contenus. Orange compte assurer sa conquête aujourd'hui selon trois axes principaux : l'exclusivité de contenus, l'offre de services spécifiques, et l'accroissement de la base adressable. L'offre de services spécifiques a été explicitée en amont puisqu'elle représente l'ensemble des services que les FAI ont progressivement mis à disposition des utilisateurs en s'appuyant sur leur connaissance de leurs attentes et besoins, et sur l'évolution des dispositifs énonciatifs dans le cadre de la consommation de média en France. Que ce soit une valorisation de l'interactivité, la mise en place d'une boutique VOD, la télévision de rattrapage ou encore la convergence des supports, cela relève de la combinaison de l'adhérence utilisateur et de la stratégie de valeur. L'accroissement de la base adressable est central dans la logique que l'on pourrait appeler `cannibale' du groupe Orange dans sa volonté d'étendre son territoire, tant dans les contenants que dans les contenus. Par sa filiale Globecast, Orange compte étendre son offre triple play grâce au satellite. Offre de complément à l'ADSL, puisque cette dernière ne couvre pas l'ensemble du territoire, elle tend à toucher potentiellement 98% de la population contre seulement 50% aujourd'hui. Cette démarche s'inscrit dans une logique de concurrence des réseaux de distribution étatiques puisque diligenté par des décrets, comme la TNT. Ces résolutions visent à couvrir le territoire le plus large dans une logique d'équité territoriale. Le corollaire de ces obligations est une somme d'investissements lourds pour les opérateurs, parfois réfractaires. Aujourd'hui, Orange décide d'optimiser la complémentarité de ses réseaux et de démocratiser plus encore le Triple Play. Cela permettra au groupe d'étendre l'attractivité de son offre puisque disponible partout, elle sera l'égale en terme de couverture de CanalSat, ou du réseau câblé. Le groupe compte d'ici à 2012 gagner des parts de marché en conquête et en fidélisation de son offre Triple Play, et atteindre une base éligible en télévision d'environ 10 millions de clients. L'objectif à terme est de faire migrer les clients CanalSat vers Orange. De plus, en augmentant la diffusion de son offre et en épaississant la base de son offre de télévision payante, Orange compte rentabiliser l'acquisition de ses contenus. L'acquisition de contenus est effectivement centrale dans la stratégie d'Orange, le groupe a conclu un accord en 2007 avec FranceTélévision pour le service de « catch up TV »114(*), qui permet de revoir les programmes de la chaîne de façon délinéarisée. Selon Xavier Couture, le nouveau bouquet «a la capacité d'apporter de la valeur ajoutée aux programmes des chaînes. Après France Télévisions, on discute d'ailleurs actuellement avec TF1 et M6 sur l'enrichissement de leurs contenus»115(*) a-t-il déclaré au Journal du Dimanche. Il a aussi été négocié l'acquisition exclusive des productions de la chaîne américaine HBO, réputée pour la qualité de ses productions de série. TF1 serait à ce jour susceptible de vendre TF1 International116(*), sa filiale de droits audiovisuels et Orange serait acheteur. Si un tel accord était signé, cela légitime plus encore la thèse de l'enchevêtrement des métiers vers un « devenir médium » des FAI. C'est l'illustration supplémentaire de la capacité des FAI à axer leurs stratégies d'extension de métier à travers les service audiovisuels, mais aussi « pied de nez » de ces derniers aux éditeurs historiques, qui voyaient en les opérateurs la possibilité de diffuser plus encore leurs services. Les difficultés du groupe TF1 dues à la baisse des recettes publicitaires prennent forme dans une fragmentation des audiences et une baisse de la consommation de la télévision au profit d'autres supports. Cela peut permettre de mesurer aussi les répercussions de la lenteur des éditeurs historiques à s'adapter à l'évolution des usages mais aussi de leur manque d'activisme dans le renouvellement de l'offre. L'acquisition d'un tel catalogue permettrait à Orange d'étoffer son offre en vue du lancement de nouvelles chaînes de télévision consacrées au cinéma et aux séries. L'opérateur a d'ores et déjà signé des accords de première exclusivité avec la major117(*) Warner et la chaîne américaine HBO. Les raisons qui ont poussé l'opérateur télécom historique à se lancer sur le marché du contenu sont nombreuses : « Les contenus sont un élément différenciant ayant pour objectif de protéger la facture moyenne, voire de l'augmenter légèrement au cours des années à venir », explique Antoine Pradayrol118(*). Le responsable des nouvelles activités de croissance Raoul Roverato voit en partie dans cette démarche une valorisation boursière: « Les secteurs qui affichent les plus belles perspectives de croissance sont les contenus et la publicité en ligne. C'est sur cette base que les marchés financiers nous valorisent. Au moment où les géants de l'Internet comme Google et Yahoo ! montrent de l'intérêt pour les télécoms, l'élargissement de notre palette est un élément primordial pour que France Télécom garde son rang parmi les grands. »119(*) Signes que si le développement d'Orange s'articule autour du contenu, c'est pour protéger ses parts de marché dans le secteur des télécoms, mais aussi prévenir les attaques de géants mondiaux de la communication. * 114 Télévision de rattrapage * 115 DININ Alexandre - 02/07/08 - Journal du Dimanche * 116 TF1 International détient un important catalogue de plus de 600 films et oeuvres de télévision et est aussi le premier distributeur indépendant de films en salle avec sa filiale TFM dont elle détient 50% des parts * 117 Major : acteur majeur dans le secteur de l'industrie cinéma * 118 Interview réalisé par Les Echos - 16/10/08 - Antoine Pradayrol : analyste financier chez Exane-BNP Paribas * 119 Interview réalisé par Les Echos - 16/10/08 |