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D. Vers une restructuration de la politique de l'offre ; logique de la longue traîneLa théorie de la longue traîne prend forme à travers Chris Andersen59(*) qui explique comment Internet a permis à une nouvelle économie de prendre forme. Selon Andersen, « Nos postulats sur les goûts du public ne sont en fait que des illusions dues à une inadéquation entre offre et demande. Il s'agit en fait une réponse du marché à l'inefficacité de la distribution. » Le monde matériel, c'est-à-dire l'économie que nous connaissons tous à travers les magasins physiques présuppose un nombre de limitations quant à l'ouverture du marché à tous. Les limitations sont d'ordre géographique et physique. Les media de radio-télédiffusion sont par exemple très gourmands en ressources et supposent une restriction des fréquences aux plus importants d'entre eux. En ce qui concerne le divertissement, Andersen met en doute la volonté des grandes industries de vouloir répondre aux attentes de niches au profit de produits de masse. « Ces dernières années, les autres voies (du contenu) ont été marginalisées au profit de grosses machines commerciales fabriquées sur commande par des industries incapables de vivre autrement. » Car, s'il évoque les attentes des niches, c'est que l'auteur estime qu'Internet a permis à chacun d'exprimer ses envies et ses passions au sein de communautés rassembleuses. Le médium interactif a permis d'outrepasser le discours énonciatif des grands medias. « Ce ne sont pas les possibilités offertes qui lui apportent des avantages, c'est le fait de pouvoir choisir », avance Andersen pour illustrer cette tendance au libre-arbitre de l'individu dans ses choix. Andersen prend pour exemples Amazon et Google qui réalisent une bonne partie de leurs chiffres d'affaires grâce aux segments de niches. La longue traîne est donc la queue des ventes réalisées en petite quantité par une grande quantité de produits. La tête de la traîne représente les « hits » qui génèrent en théorie 80% du chiffre d'affaires selon la loi de Pareto. Cependant, ce qu'explique l'auteur, c'est que la loi de Pareto n'a de valeur que dans les marchés matériels. Le principe de la longue traîne n'est effectif qu'à certaines conditions : démocratisation des outils de production (tout le monde devient éditeur), baisse des coûts de consommation due à la démocratisation des coûts de production (tout le monde devient distributeur) et connexion entre l'offre et la demande, qui fait connaître aux consommateurs les biens nouveaux qui tirent la demande vers l'aval de la traîne. Ce paramètre est essentiel puisqu'il reflète combien les inter-connexions, les communautés et les réseaux jouent un rôle primordial dans l'avènement du support Internet en tant que medium collaboratif. De leur dimension prescriptive découlent des recommandations appropriées, agrégées en amont. Cela a pour effet économique d'inciter le client potentiel à aventurer ses recherches plus loin en dehors du monde qu'il connaît déjà, ce qui provoque un glissement de la demande vers les niches. «Du fait de l'élargissement de nos centres d'intérêts dû à l'explosion de la diversité disponible, la demande de conseils éclairés et fiables s'étend désormais aux niches les plus étroites. » Andersen60(*) politise sa théorie en soulignant que « les recommandations sont une force de démocratisation dans une industrie remarquablement peu démocratique. » L'auteur est favorable à la théorie de l'abondance et insiste sur les qualités de filtrage qui ne sont plus du ressort unique des industries mais tendent à prendre forme en aval : « Dans le marché de la longue traîne, la dématérialisation doit permettre de réduire le préfiltrage et d'augmenter le post filtrage, qui se fait la voix du marché. Il canalise les réactions des consommateurs et s'en fait l'écho au lieu de chercher à les anticiper. » La loi des 80/20 subit donc trois mutations dans le marché de la longue traîne : une offre beaucoup plus étoffée devient possible ; comme il est plus facile de trouver les produits les ventes se répartissent ; et il est possible de faire des bénéfices à tous les niveaux de popularité. La corne d'abondance qu'évoque Andersen est susceptible de répondre favorablement à l'extension du « moi » dans le rapport communicationnel. La logique de micro-niches fait écho à la notion d'affranchissement face à l'hégémonie énonciative des médias historiques. Elle est capable d'adhérer aux besoins identitaires de chaque utilisateur et répond à la multiplicité des émetteurs et récepteurs de flux. Elle est un élément déterminant dans la remontée de la chaîne identitaire d'un individu. En quelque sorte, il s'agit du pendant économique des évolutions des usages observées à travers l'assimilation progressive d'Internet. L'ensemble des évolutions évoquées dans cette première partie cristallise la disjonction initiée par l'assimilation du médium Internet dans la linéarité des rapports medium-public. La crise de la presse, de la musique et dans une moindre mesure, les problèmes rencontrés par la télévision et la radio sont là pour illustrer leurs difficultés face à l'évolution du faire-réceptif. Internet a permis à ce dernier de se défaire d'une forme de passivité face à la linéarité des flux. Le rôle indispensable et incontournable de l'actant dans le déploiement conditionnel du flux a bouleversé les codes de l'échange communicationnel. Amorcée par cette révolution technologique, le rôle de l'actant s'est graduellement transformé de récepteur à contributeur. De ce paradigme, profondément révolutionnaire, est née une myriade de communautés dont la teneur diffère à l'infini. Chacun des utilisateurs lit, conseille, condamne, vilipende, porte aux nues, aide, se confie dans des échanges qui sont pour la première fois sur un support démédié. Les utilisateurs sont devenus des filtres dans l'aide à la décision et se muent en prescripteurs, au grand damne des entreprises dont les stratégies sont à repenser en conséquence des évolutions sociologiques. On assiste par conséquent à une démédiation des rapports communicationnels que certaines entreprises contournent en s'adressant directement en communautés. Cette démédiation est un concept que les entreprises de media ont du mal à cerner. C'est de ce postulat que les frontières que l'on croyait inamovibles se sont fissurées. Nous avons assisté alors à des stratégies d'entreprise inédites, matérialisées notamment, et c'est l'objet de notre propos, par des fournisseurs d'accès Internet proposant des bouquets de chaînes dans le cadre d'une offre globale illimitée comprenant Internet, téléphonie, et télévision. Cette démarche s'inscrit aussi dans une logique de stratégie de l'offre propre à Internet et totalement inédite. « Nos postulats sur les goûts du public ne sont en fait que des illusions dues à une inadéquation entre offre et demande une réponse du marché à l'inefficacité de la distribution. »61(*) Chris Andersen s'interroge sur les limites du marché matériel, et met en exergue la capacité de certaines entreprises à comprendre les évolutions des attentes des consommateurs à travers une stratégie de l'offre ad hoc. C'est dans ce cadre que nous nous interrogeons sur la portée de cette stratégie d'extension de métier. Au préalable contenant, nous assistons aujourd'hui à des télécoms en passe de devenir éditeurs de contenus. Cette propension à investir sur un marché comme celui des média peut-elle être corrélée à la capacité qu'ont FAI à connaître les nouveaux usages nés sur le web, révélateurs d'une transformation globale des attentes du public ? C'est à travers l'analyse de l'offre éditoriale et marketing de l'agrégation de chaînes que nous mettrons en perspective les prises en compte des transformations de la consommation media dans la stratégie de l'offre des FAI. Le propos de la deuxième partie sera de mettre en exergue la propension de ces nouveaux acteurs médiatiques à transposer l'évolution des usages sur l'offre de TV sur IP. « Les masses n'existent pas, il n'existe que des façons de considérer les personnes comme des masses » Raymond Williams « Nous sommes tous des niches » Virginia Postrel * 59 ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché * 60 ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché * 61 ANDERSEN Chris, 2007 - « The long tail, why the future of business is selling less of more ».- Broché |