CONCLUSION
GÉNÉRALE
La consécration de l'incrimination du crime de
génocide est apparue dans un texte juridique à valeur obligatoire
en droit international seulement après la deuxième guerre
mondiale et ce, malgré les efforts précédents de Lemkin.
Bien que la Convention sur le génocide ait eu un double objectif de
«prévention et répression», ce n'est qu'après
qu'un autre génocide ait eu lieu que la prohibition dudit crime a
été efficacement interprétée et appliquée
par une juridiction internationale. Cela montre que la portée du crime
de génocide a évolué d'une manière
répressive plutôt que préventive.
Le génocide est considéré comme le crime
le plus odieux que connaisse l'humanité puisqu'il consiste à
denier à un groupe, national, ethnique, racial ou religieux, le droit
d'exister en tant que groupe. En ce qui concerne la mise en application de
l'incrimination, la souveraineté des États était en grande
partie respectée puisqu' avait été laissé aux
États l'option de poursuivre le crime de génocide dans leurs
juridictions nationales respectives sur base du principe de
territorialité. La compétence d'un tribunal international pour
poursuivre ledit crime a été soumise au consentement des
États. La Convention n'a pas envisagé l'établissement d'un
tribunal international par le Conseil de Sécurité.
Néanmoins, fondée sur le Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies, l'institution d'un tribunal ad hoc est un pas
particulièrement important en droit international étant
donné que le tribunal est considéré comme un
mécanisme d'exécution plus efficace et crédible.
Par conséquent, le TPIR a appliqué la Convention de 1948 au
génocide rwandais pour la première fois dans le cadre d'un
procès pénal international, ce qui a abouti à des
développements significatifs en ce qui concerne aussi bien les
éléments constitutifs du crime de génocide que d'autres
aspects essentiels de la définition du crime en question.
Avant de tirer une quelconque conclusion sur le contenu de la
jurisprudence du TPIR relative au crime de génocide, il a
été important d'étudier quelles sources ont
été utilisées pour parvenir à ses résultats.
Une telle vue sur l'utilisation des sources par le TPIR fournit une
perspicacité sur la valeur de sa jurisprudence. À part la
Convention sur le génocide ainsi que son Statut, d'autres sources ont
servi de référence. Le TPIR a maintes fois fait
référence aux travaux préparatoires de ladite Convention,
aux rapports de la Commission du droit international de l'ONU ainsi qu'aux
études des rapporteurs spéciaux mentionnés dans les notes
de bas de page. En somme, puisque sa jurisprudence est fondée sur de
nombreuses sources légales et autres, on peut affirmer que le TPIR
constitue une jurisprudence qui est inattaquable du fait de ses
références légales.
Quant au contenu de la jurisprudence du TPIR, quelques
remarques importantes peuvent être faites. Les juges du TPIR ont
montré que la définition du crime de génocide compte
plusieurs éléments dont le contenu soulève beaucoup de
difficultés quant à leur interprétation. Ils
précisent que la spécificité du génocide par
rapport aux autres crimes contre l'humanité ou crimes de guerre
réside dans des caractéristiques particulières concernant
surtout l'intention constitutive de ce crime ainsi que la nature du groupe
visé.
Dans une perspective de répression du génocide
rwandais et du développement jurisprudentiel, le TPIR a eu à
interpréter les actes de génocide énumérés
par la Convention. À cet effet, il a tôt fait reconnaître
que les termes «killing» en anglais et «meurtre»
en français utilisés pour qualifier le génocide n'ont pas
le même sens. Le terme utilisé dans la version anglaise couvre un
domaine plus large que celui de la version française qui renvoie
strictement à un acte de violence délibérée portant
atteinte à la vie. Il a été par conséquent admis
que le sens à donner à ces termes serait celui d'homicide commis
avec l'intention de donner la mort. Un autre exemple d'une décision bien
raisonnée qui a résulté de l'interprétation
extensive des actes de génocide, est que les actes de violences
sexuelles peuvent constituer des actes de génocide comme tant d'autres
lorsque commis avec l'intention spécifique requise. Ceci est un exemple
clair et particulièrement important du développement du droit
international sur le génocide dans la jurisprudence du TPIR. D'ailleurs,
ce développement a été par la suite retenu par le Statut
de la C.P.I comme faisant partie des actes dudit crime.
En outre, la jurisprudence du TPIR montre que l'intention
spécifique est l'élément du crime d'ordre psychologique le
plus difficile à identifier avec certitude. Eu égard aux
divergences dans la doctrine sur l'appréciation de cet
élément, le TPIR est arrivé à la conclusion
embrassant la double approche qui cherche l'intention spécifique non
seulement chez l'individu mais aussi dans la politique générale
menée au pays. Aussi, cette jurisprudence donne quelques facteurs
à considérer dans l'appréciation de cette intention
spécifique en l'absence d'aveu de la part de l'accusé. Concernant
les preuves de l'intention spécifique, il n'est pas nécessaire
d'établir que le criminel a eu l'intention de réaliser la
complète destruction du groupe. Il n'y a donc aucun seuil
numérique de victimes pour conclure au génocide. De même,
la personne pourrait se voir incriminée pour entente et incitation
à commettre le génocide même si ce dernier n'a pas
été effectivement réalisé.
Beaucoup d'autres questions importantes telles que la notion
du groupe protégé contre le génocide sont largement
débattues dans la jurisprudence du TPIR. Il a été question
de savoir si les quatre groupes protégés devraient faire l'objet
d'une interprétation objective ou subjective. En d'autres termes, la
question s'est posée de savoir s'il fallait accorder plus d'importance
à l'état d'esprit de l'auteur du crime qu'à la
réalité relative au statut de la victime, sur lequel le criminel
peut s'être mépris. Même si les premiers
développements du Tribunal sur cette question vont rapidement montrer
leurs limites, les juges du TPIR ont opéré un changement
progressif mais fondamental dans leur perception en privilégiant une
approche subjective, inédite jusqu'alors en droit international,
accordant une place centrale à l'individu.
Enfin, en conclusion de ce travail, on peut faire la remarque
suivante. Le Secrétaire général de l'ONU a nommé en
juillet 2004 un Conseiller spécial chargé de la prévention
des génocides. Il a pour mission d'alerter le Secrétaire
général et le Conseil de sécurité sur des
situations à risques pouvant conduire à des génocides. Au
delà de l'influence que la jurisprudence du TPIR pourrait exercer aussi
bien sur les législateurs nationaux dont celui rwandais que sur d'autres
juridictions internationales dont la CPI , il n'y a aucun doute que cette
jurisprudence fournira des conseils suffisants à ce Conseiller
spécial sur la prévention des génocides. Ainsi, pour
prévenir le génocide, et contrairement à ce qui s'est
passé au Rwanda, il faudra prendre au sérieux tous ses signes
avant-coureurs. Aux auteurs de discours incendiaires, ou d'actes prenant pour
cible un groupe particulier, il faudra opposer une réaction prompte et
énergique afin d'éviter le pire. En outre, comme nous venons de
le voir, les avancées jurisprudentielles du TPIR sont très
importantes. Mais notre rêve aujourd'hui est de faire en sorte qu'on n'en
ait plus jamais besoin à l'avenir. Ce que nous aimerions, c'est de voir
la mission dissuasive du Tribunal et celle préventive de la
Communauté internationale porter pleinement leurs fruits et non
d'assister à un autre génocide, quand bien même leurs
auteurs feraient l'objet des meilleurs procès au monde.
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