De la contribution de la jurisprudence du TPIR à l'incrimination du crime de génocide( Télécharger le fichier original )par Jean de Dieu SIKULIBO Université nationale du Rwanda - Licence 2007 |
C. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devantentraîner sa destruction totale ou partiellePar ces termes, il faut entendre des moyens de destruction par lesquels l'auteur ne cherche pas nécessairement à tuer immédiatement les membres du groupe, mais, vise leur destruction physique à terme. Ces moyens comprennent, sans s'y limiter, la soumission d'un groupe à un régime alimentaire de subsistance, l'expulsion systématique des logements, la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum99(*). Selon la jurisprudence du TPIR, cette modalité de perpétration est censée englober des situations qui sont de nature à laisser des membres du groupe mourir à petit feu100(*) à savoir des actes qui ne causent pas immédiatement leur mort, mais qui tôt ou tard entraînent la destruction physique d'au moins une partie du groupe. D. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupeSelon les juges du TPIR, par mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe, il faut comprendre la mutilation sexuelle, la pratique de stérilisation, l'utilisation forcée des moyens contraceptifs, la séparation des sexes, l'interdiction de mariages101(*). À propos des conceptions forcées relevant également de cette catégorie de perpétration, le TPIR a précisé dans l'affaire Akayesu, que dans le contexte de sociétés patriarcales où l'appartenance au groupe est édictée par l'identité du père, l'exemple d'une mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe est celle où, durant un viol, une femme dudit groupe est délibérément ensemencée par un homme d'un autre groupe dans l'intention de l'amener à donner naissance à un enfant qui n'appartiendra alors pas au groupe de sa mère102(*). Le TPIR a aussi noté que les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe peuvent être d'ordre physique mais aussi d'ordre mental. À titre d'exemple, le viol peut être une mesure visant à entraver les naissances lorsque la personne violée refuse subséquemment de procréer, de même que les membres d'un groupe peuvent être amenés par menaces ou traumatismes à ne plus procréer103(*). E. Transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre groupeLa catégorie d'actes incriminés au sous-paragraphe (e) de l'article II de la Convention est communément considérée par la doctrine comme une forme de génocide culturel104(*) : par le transfert d'enfants du groupe visé un autre groupe, les enfants concernés sont sortis de leur contexte, ils se familiarisent aux coutumes des autres groupes et leur langue et leur culture originaires leur deviennent alors étrangères. De façon générale, il faut reconnaître que le génocide rwandais a essentiellement constitué d'actes physiques, c'est pourquoi la jurisprudence du TPIR ne s'est pas largement prononcée au sujet du caractère de cet acte de perpétration. Elle s'est pour l'instant contentée de constater que non seulement la contrainte physique mais également la contrainte morale peuvent constituer un moyen coercitif105(*). * 99 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, pars. 505-506. Voir également Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, par. 52 ; Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 157. * 100 Voy. Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 114. * 101 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, pars. 507-508. Voir aussi Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 117, Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, par. 53, Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 158. Bien sûr ces actes ne constituent pas eux-mêmes le crime de génocide, mais bien s'ils sont accompagnés du dol spécial requis pour le crime de génocide. * 102Voy. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 508. * 103 Idem, pars. 508-509. La Chambre de première instance II du TPIR a expressément confirmé la jurisprudence de la Chambre de première instance I dans Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 117. Voir également Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, par. 53 ; Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 158. * 104 Le génocide culturel peut être constitué par le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe, un acte visant la disparition des traits caractéristiques du groupe dans les nouvelles générations. Il peut aussi constituer en une politique d'assimilation qui, sans porter atteinte à l'intégrité physique des membres du groupes, cherche à le détruire comme tel en interdisant par exemple l'usage de sa langue, l'observance de ses cultes autochtones, le respect de ses us et coutumes et les manifestations culturelles de ce groupe. Selon le philosophe sociologue J. Michel CHAUMONT, le génocide culturel ainsi défini serait plutôt qualifié d'ethnocide. Voir J. M. CHAUMONT, op. cit., note 74, p. 208. Voir aussi A. M. LA ROSA et S. VILLALPANDO, op. cit., note 18, p. 79. * 105 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 509 :« [...] Il ne s'agit pas seulement de sanctionner un acte direct de transfert forcé physiquement, mais aussi de sanctionner les actes de menaces ou traumatismes infligés qui aboutiraient à forcer le transfert d'enfants d'un groupe à un autre.» Dans le même sens, Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 118 ; Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, pars. 53-54, Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 159. |
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