3.2-
ANALYSE ET COMMENTAIRE DES RESULTATS
Notre recherche a pour but d'étudier les objectifs des
programmes d'alphabétisation et d'éducation des adultes femmes
notamment au plan sanitaire face aux exigences du milieu urbain. Pour se faire,
nous l'avons subdivisée en des objectifs spécifiques dont la
réalisation nous a conduit vers les acteurs concernés.
Un objectif est un état futur désiré par
rapport à une situation jugée insatisfaisante auquel doit
conduire une/des actions. Selon, R. F. Mager, c'est une intention
communiquée par une déclaration qui décrit la modification
que l'on désire provoquer chez l'apprenant, déclaration
précisant en quoi l'apprenant aura été transformé,
une fois qu'il aura suivi tel ou tel enseignement [25]. L'objectif est
identifié à partir des besoins dont la satisfaction
transformerait l'apprenant. Pour formuler un objectif, il faut partir des
besoins identifiés chez les bénéficiaires et prendre en
compte leurs aspirations, analyser les moyens disponibles et les
méthodes à utiliser pour atteindre les objectifs formulés.
La concrétisation de l'objectif doit prendre par un programme de
formation.
Un programme de formation ne saurait être le
résultat d'une accumulation non sélective des connaissances au
cours des siècles, mais il devrait être façonné de
manière sélective en fonction du but pédagogique à
atteindre. Dans ce cadre, c'est en vue de corriger les comportements qui sont
en mesure de retarder le processus de développement et d'amener les
populations, quelque soit leur niveau de vie, à participer au
changement ; en commençant par elles-mêmes [25]. Un programme
est l'aboutissement de la définition des tâches et doit
découler de l'identification et de l'étude des besoins, en tenant
compte des ressources disponibles et en indiquant de manière claire et
précise le type de changement attendu des participants aux programmes.
Ainsi, la dynamique à suivre pour concevoir les
programmes à proposer en alphabétisation aux adultes n'est pas
observée, au vu des résultats obtenus. Il s'en dégage
alors que le processus ne pourra pas atteindre les objectifs escomptés.
Pour BERNARDO B. I. A. [11] l'objectif des programmes d'alphabétisation
devrait induire des changements dans les habitudes des membres de la
communauté alphabètes ou non. Par ailleurs, l'évolution
d'une communauté par l'intégration d'un plus grand nombre de
pratiques fondées sur l'écrit transforme la façon dont les
membres conçoivent leur vie par l'intermédiaire de ces pratiques.
La définition de ces objectifs doit obéir
à la logique des besoins identifiés au sein des populations et
auxquels on veut tenter de trouver des solutions. Nous avons constaté
que les objectifs des programmes d'alphabétisation et d'éducation
des adultes sont bien formulés. Mais ils s'inscrivent dans le cadre des
objectifs institutionnels qui sont entre autres l'éradication de
l'analphabétisme de la population. Ces objectifs prennent le pas sur
l'activité et ne permet pas de prendre directement en compte les besoins
des participants. La preuve est que plusieurs femmes sont encore insatisfaites
malgré leur engagement à savoir lire et écrire dans leur
langue. Aussi, les réalités liées à la santé
ne sont-elles pas clairement abordées en général bien que
les programmes soient parfois orientés vers certains besoins des femmes.
Il faudrait définir également les objectifs intermédiaires
en fonction des cibles et en tenant compte de leurs besoins spécifiques.
Les objectifs ne devraient pas rester figés dans le temps mais une
évaluation périodique des effets de ces actions doit conduire
à une réorientation et une actualisation des connaissances
à transmettre aux éducants.
En outre, bien que la DEPOLINA [13] ait prévu que ce
soit plus par nécessité que les campagnes soient lancées,
la spécificité du milieu urbain ne fait l'objet d'aucune
préoccupation particulière. La question de
l'analphabétisme dans les grands centres urbains comme Cotonou reste
moins perceptible par les autorités qui en ont la responsabilité.
Aussi, l'analphabétisme est-il beaucoup plus perçu comme
étant l'apanage des milieux ruraux alors que le phénomène
de l'exode rural a fait envahir les grandes villes de cette même
population analphabète à la quête du mieux être.
En effet, à Cotonou, malgré la
disponibilité et l'accessibilité relatives des infrastructures
nécessaires à une "atmosphère lettrée", les
populations issues de l'exode rural en général et les femmes en
particulier (15 ans et plus), n'ont pas les moyens d'intégrer le
système formel d'éducation. Il n'existe cependant pas une
structure prête à les accueillir et à leur assurer de
façon systématique, une éducation adaptée à
leur mode de vie et leurs activités socio-économiques. Elles
commencent très trop une vie conjugale sans aucune préparation
préalable aux exigences de ce nouveau monde. Elles s'exposent et, par
ricochet, exposent toute la famille aux risques des mauvaises pratiques
liées à l'ignorance des principes sanitaires par exemple.
Dès que les objectifs sont bien formulés et
adaptés aux besoins identifiés, le contenu des programmes
pourrait refléter le type de connaissance à transférer en
fonction des changements attendus des bénéficiaires. En outre,
les questions telles que la lecture des notices de médicaments, le
respect des rendez-vous consignés dans les carnets de santé des
femmes, la posologie des médicaments quand il y en a plusieurs ne sont
pas encore réglées, malgré ce qui est proposé.
Rappelons que déjà des efforts sont faits dans ce domaine par
l'invention de quelques signes conventionnels par les agents de santé
pour aider les femmes. Enfin, les conditions de vie des femmes en milieu urbain
qui exigent beaucoup d'elles pour leur survie et leur épanouissement, ne
figurent pas dans les objectifs et par conséquent, le contenu n'en tient
pas compte.
Les contenus tels que développés dans les
documents officiels ne sont que la résultante des objectifs
formulés en amont. Nous remarquons ici l'adéquation entre
objectif et contenu sur des problèmes à régler. Mais les
contenus ne donnent pas clairement de précision sur les notions d'ordre
sanitaire à développer dans le déroulement du programme.
Ces contenus devraient intégrer de nos jours les dimensions liées
au quotidien de la femme ; car elle occupe un rôle central dans
notre société. Le bien-être de la famille,
l'éducation familiale des enfants, les activités domestiques et
surtout la prise en charge et la gestion des problèmes de santé
de tous les membres d'une famille etc. relèvent des compétences
et du savoir-faire de la femme. Mais sans une connaissance adéquate,
elle ne saurait bien remplir ses devoirs sans risques de compromettre la
santé de la famille. Pour Mbow P. [20], l'alphabétisation trouve
sa raison d'être dans l'amélioration du niveau de vie des femmes.
L'accès aux informations et aux systèmes de communication
prennent de l'ampleur dans un contexte alphabétisé : une
mère incapable de lire la notice d'un médicament pour la
réhydratation par voie orale (RVO) perd plus facilement son enfant.
L'échec du planning familial au Sénégal est à
chercher du côté de l'analphabétisme des femmes.
L'alphabétisation et l'éducation des adultes
restent le seul créneau où elles peuvent acquérir des
connaissances utiles. Les questions de santé maternelle et infantile, la
santé de la reproduction, le contrôle de la grossesse, les visites
pré et post natales, la médication, constituent des domaines
assez sensibles où une formation adéquate est nécessaire
pour y faire face.
Mais au cours de nos enquêtes, nous avons
remarqué qu'il faut profiter souvent de l'occasion d'une autre
connaissance à donner pour aborder ces questions de santé. Il se
pose la question de l'aptitude de chaque animateur à bien aborder
l'élément en question.
En outre, les femmes participant à ces programmes ne
sont pas toutes satisfaites des savoirs donnés car elles estiment qu'il
y a encore des choses à leur faire connaître. Les études
ayant conduit à l'identification des besoins sur lesquels les objectifs
ont été formulés et les contenus proposés, ne sont
plus les mêmes de nos jours. Il se pose alors le problème de
l'actualisation des programmes sur la base des nouveaux besoins ou des
exigences du milieu où est exécuté le programme. Le
contenu des programmes ne s'adapte plus aux besoins présents des
bénéficiaires. Les savoirs transmis sont aussi fonction de
l'état d'avancement dans le programme en cours. Ainsi, il y a des
besoins sanitaires à des moments donnés qui ne sont pas
suffisamment comblés. On note que chacune de ces ONG, compte tenu de son
programme d'activités périodiques à exécuter dans
le temps peut parfois avancer sans que les notions n'aient induit le changement
attendu.
L'éducation des adultes requiert des principes que
doivent connaître et savoir pratiquer les intervenants dans le domaine.
Un adulte a déjà des expériences et toute connaissance
à lui transmettre doit se faire dans une situation d'échange, de
partage et de dialogue. L'animateur n'est pas le détenteur de tout
savoir pour se faire maître de la séance. Les théories de
l'animation des adultes proposent plusieurs variantes en fonction des cibles et
du savoir à acquérir. La communication soutendue par image, le
théâtre de développement, le système d'apprentissage
opérationnel (SAO), la communication pour un changement de comportement
(CCC) sont très adaptés aux situations que vivent les femmes en
milieu urbain. Par exemple, dans le cadre d'une recette pour l'alimentation
équilibrée des enfants, on demande aux femmes, après avoir
identifié les composantes d'un repas équilibré, de le
faire sur place pour rendre plus concret ce qui est enseigné. Il est
nécessaire de les informer de tous les substituts de certains
ingrédients en fonction des coûts et de la disponibilité.
Les résultats de notre enquête nous montrent que
les méthodes utilisées par les acteurs permettent aux
participantes de pouvoir retenir plus avec un peu d'effort les savoirs transmis
et de les appliquer dans leur vie quotidienne. Nous estimons que la
méthode est bien adaptée à cette cible ; car la
communication par image dans une approche participative facilite la
rétention des notions apprises et de leur mise en application. La
méthode utilisée par les structures chargées de
l'alphabétisation convient bien à l'atteinte d'objectifs. Les
femmes seraient capables d'acquérir et de mettre facilement en pratique
les connaissances reçues au cours de ces séances.
Mais, la notion de participation des
bénéficiaires n'est pas bien perçue dans la conception de
ces programmes, car ces femmes ne sont qu'à une phase du processus
à savoir l'identification des besoins. Leur adhésion est
sollicitée au cours de la phase d'exécution des activités.
C'est ce qui justifie que ce soit 71,42% des femmes interrogées qui
soient capables de citer les éléments abordés au cours des
séances ; alors que ce contenu est connu à 100% des
responsables et des animateurs. La flexibilité de l'animateur à
adapter sa séance l'aspiration des adultes est aussi
caractéristique des principes de l'andragogie.
Il est important de mettre en place un système
d'évaluation des acquis suivant une docimologie adaptée aux
adultes. Les insuffisances des programmes développés de nos jours
dans le cadre de l'alphabétisation dénotent d'une mauvaise
identification des besoins et une non adaptation à l'évolution
des besoins sociaux et actuels des cibles.
Ces résultats obtenus nous permettent d'affirmer que
l'objectif général de notre recherche est atteint. Le cadre
d'étude choisi qui est la ville de Cotonou est une
référence pour l'analyse des grands phénomènes
sociaux tels que la question de l'alphabétisation des femmes en milieu
urbain. Notre population d'étude qui prend en compte les femmes qui
suivent ces programmes et les responsables de programmes et animateurs des ONG
ayant l'éducation des adultes notamment l'alphabétisation comme
activités, nous a permis de recueillir des données pertinentes
qui reflètent la réalité du milieu.
Fort de cette situation, il est assez dubitable de
considérer que des questions de santé communautaire soient
intégrées sans ambages dans ces programmes qui sont
élaborés. Nous reconnaissons l'effort déployé par
les ONG telles que AFAC et RACINES, qui essaient de suppléer à
cette défaillance de l'autorité gouvernementale. Toutefois, leurs
moyens tant financiers que matériels étant limités, elles
n'arrivent pas à bien répondre à toute la sollicitation de
la cible. C'est pourquoi, il reste encore des points de faiblesse dans les
programmes développés surtout dans le domaine sanitaire.
L'autonomie des femmes dans ce domaine dépend de la formation qu'elles
ont reçue en participant à ces programmes. Il manque en partie
l'aspect du suivi des effets induits par les séances au cours des
campagnes pour l'amélioration des conditions de vie des femmes. La
maîtrise des thèmes prioritaires de l'OMS en matière de
santé qui sont la nutrition, l'hygiène et la protection
maternelle et infantile, ne saurait être l'apanage d'une ONG dans le
souci d'aider une grande couche de la population urbaine. Il urge alors que les
séances d'IEC développées par l'ONG RACINES soient
extensibles aux femmes suivant les programmes de AFAC dans le cadre d'un
partenariat entre les deux structures.
Pour répondre au mieux aux exigences d'une telle
recherche, nous avons consulté les travaux déjà
réalisés dans le domaine. Ici, le constat a été
qu'aucun auteur ne s'est préoccupé explicitement de la
contribution de l'alphabétisation à l'amélioration de la
santé communautaire des femmes. Toutefois, en répondant aux
besoins dans d'autres domaines, certains auteurs ont balisé le chemin
pour émettre et développer une pareille réflexion.
Notre travail peut, au vu des difficultés que nous
avons rencontrées sur le terrain au cours de l'enquête proprement
dite, contenir des biais. Les différents acteurs interrogés ne
nous ont peut-être pas toujours donné les informations telles
qu'elles se présentent dans la mesure où on constate un
écart entre leurs pratiques et les notions qu'elles sont
supposées maîtriser. Par ailleurs, les responsables de ces
programmes probablement par soucis d'arranger l'image de leur structure, nous
ont empêché d'avoir accès à des informations qui
seraient d'une utilité certaine dans notre travail. Des animateurs ont
opposé un refus à l'enregistrement sur support audio de
l'entretien que nous avons eu avec eux en avançant quelques alibis
d'ordre professionnel. Les ONG craignaient de laisser à la portée
d'une personne étrangère à leur structure des documents
dits confidentiels tels que les fiches de contrôle ou cahier de
l'animateur.
Malgré ces imperfections, les résultats auxquels
nous sommes parvenus dépeignent la réalité de
l'exécution des programmes d'alphabétisation et
d'éducation des adultes.
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