Le défi du désendettement soutenable en Afrique Subsaharienne: Au-delà de l'Initiative PPTE.( Télécharger le fichier original )par Claire Barraud Université Pierre Mendès France, Grenoble II - M2 recherche Politiques économiques et sociales 2006 |
B/ La nécessité d'un cadre de négociations désormais équitable.L'instauration d'un cadre de négociation équitable peut se dérouler en deux temps, ou simultanément, selon la volonté des pays riches. D'abord, il s'agit de réformer les marchés financiers afin d'éviter le phénomène du «passager clandestin ». Il est ensuite nécessaire de mettre en oeuvre une proposition qui de toute évidence fait l'unanimité des économistes travaillant sur le surendettement. En effet, de nombreux auteurs demandent la création d'un tribunal international de la dett e accompagné d'un droit international relatif à la dette souveraine insoutenable. 1 La réforme des marchés financiers et la création d'un marché spécifique aux PED.Le FMI et la Banque mondiale sont très inquiets quant au phénomène du «passager clandestin ». En effet, le nombre croissant de fonds vautours intentant des actions en justice contre les PPTE pèse fortement sur l'efficacité de l'initiative PPTE. Comment revenir à un endettement soutenable si des pays sont harcelés et lésés politiquement et financièrement dès qu'ils achèvent les négociations relatives à un 10 Id. allègement de leur dett e ? Il existe toutefois plusieurs moyens de lutter contre ce fléau. Dans l'hypothèse de l'inefficacité des actions internationales, l'Assemblée nationale française propose un recours à des mesures intérieures. Car, il est vrai que beaucoup de procès, donnant en outre gain de cause aux créanciers, se déroulent à Paris. L'Assemblée française s'est ainsi émue de «l'inefficacité partielle» des actions menées par le Club de Paris face à «l'existence des spéculateurs refusant de s'y associer », et qui parviennent à réaliser des «plus-values considérables »11. La République du Congo en a fait les frais, en devant céder une créance de 1,8 millions de USD au fonds Kensington, lequel prétend aujourd'hui en tirer 300 millions. «Le fonds FG Hémisphères espère quant à lui faire payer à 100% aux banques finançant le Congo ou aux compagnies pétrolières exploitant son sous-sol, les créances qu'il a acquises à un prix qu'il tient soigneusement dissimulé ». Les Etats ainsi harcelés et lésés doivent être protégés. La proposition de loi vise donc à s'inspirer du dispositif français de retrait de droits litigieux (article 1699 du Code civil) ou de la notion anglo-saxonne de champarty (« trafic usuraire d'actions en justice »12). Ces mécanismes permettent aux juges de ne donner raison au créancier qu'en fonction de l'aide consentie par la collectivité publique, des efforts des autres créanciers, et, surtout, de la situation économique du débiteur. Or, un tel mécanisme en France ne néces site aucune contestation de la créance cédée de la part du débiteur. De plus, «il s'agit (...) d'une mesure de morale et de cohérence dans l'aide aux pays amis, notamment enAfrique, tant il serait absurde que l'Exécutif efface d'une main nos créances pour que le pouvoir judiciaire accorde de l'autre les sommes rendues disponibles aux usuriers »13. Car nous pensons en effet que, compte tenu du contexte dans lequel s'est effectuée la décolonisation (abandon quasi-total), les PPTE africains doivent prioritairement être protégés par leurs anciens colons. Cela vaut donc également pour des pays tels que le Royaume-Uni (de nombreux procès se déroulant aussi à Londres) et, de manière général, pour l'Union européenne. A l'échelle internationale, des solutions sont depuis longtemps proposées. La plus connue est bien entendue celle de la réglementation des marchés financiers, avec la «traçabilité» des opérations (provenance, destination, but), celle du contrôle des mouvements de capitaux 11 Le Fur M., 2006, proposition de loi, «Lutte contre des fonds financiers dits « fonds vautours », http:// www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion3214.asp 12Id.,p. 2. 13 Id.,p. 3. afin de les réguler, ou encore la suppression des «paradis fiscaux ». Il s'agit surtout dans ces cas de contrer le phénomène de fuite des capitaux, manifeste dans les PPTE et qui ont conduit à un manque à gagner considérable en termes de recettes publiques. D'autres propositions ont également émergé. A titre d'exemple, des auteurs comme Eric Toussaint [2004], proposent de ne justifier l'endettement extérieur protégé que s'il est décidé démocratiquement. Ce qui suppose deux conditions et une conséquence. D'une part, dans le cadre d'une «conditionnalité à l'envers », des charges de remboursement consenties à taux d'intérêt inférieurs à ceux du marché doit se justifier dans le cas d'un emprunt permettant «une création de richesses suffisante ». La deuxième condition relève de l'approbation populaire quant à un emprunt extérieur (voie parlementaire ou référendaire). Consécutivement, «une protection forte et efficace des pays débiteurs devra être organisée en faveur des pays en développement à l'échelle internationale, de telle sorte que ces pays puissent se défendre contre toute forme d'abus et de spoliation par les banques, les investisseurs privés internationaux et les institutions financières internationales »14 (cf. partie suivante). Deux autres pistes très intéressantes peuvent enfin être explorées en profondeur. La première consisterait pour le FMI à exercer un droit de préemption sur les créances privées et dangereuses contractées par les PPTE identifiés lors des vingt dernières années. Seul le pays débiteur pourrait alors contester cette propriété. La seconde est la création d'un marché financier spécifique aux PPTE. Dans la mesure où il est admis que les PPTE doivent pouvoir se financer par d'autres moyens que les emprunts publics bilatéraux et multilatéraux, un marché leur étant dédié pourrait être réglementé par le FMI, par exemple. En outre, des règles strictes seraient imposées, telles que des taux d'intérêt contrôlés par l'institution (agissant par là même sur le service de la dette), ou l'interdiction d'émission de produits dérivés (options, swaps...)15. Et pour davantage encore de sécurité, les emprunts en monnaies nation-ales devraient être favorisés16. Ces règles régiraient donc les fonds de financement émis par diverses banques commerciales et fonds en tout genre pour préserver les PED d'un retour de l'endettement excessif et non contrôlé. 14 Toussaint E., 2004, in « Un financement du développement non générateur de dettes et une nouvelle architecture financière internationale », p. 17, harribey.u-bordeaux4.fr/colloques/toussaint.pdf. Et Toussaint E. et Zacharie A., 2002, in « Sortir de l'impasse dette et ajustement », éd. Syllepse, p. 184. 15 Accoce J.-V., 2006, in « L'inefficacité des mesures d'allègement et d'annulation de la dette publique externe des pays en développement: le cas de la république du Congo », p. 14, beagle.u-bordeaux4. fr/jourdev/Papers/Accoce.pdf. 16 Stiglitz J. E., 2006, «Un autre monde », éd. Fayard, p. 326. En outre, ce type de mesures équitables, qui protègent les débiteurs tout en les responsabilisant et qui ne porte pas nécessairement préjudice aux pays riches, apaiserait aussi les relations Nord-Sud. En cas de litige toutefois, touj ours dans l'optique de prévenir l'endettement insoutenable et incontrôlé, un tribunal international de la dett e devrait urgemment être créé dans le droit chemin d'une législation internationale du surendettement. |
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