2 Un engagement à long terme essentiel de la part de
tous les créanciers.
Il ne s'agit pas d'annuler, de façon inconditionnelle
et immédiate, toutes les dettes insoutenables, mais de tenir parole au
moins dans le cadre de l'initiative PPTE et d'allègement de la dett e
multilatérale (IADM). En d'autres termes, deux promesses doivent
être tenues. D'une part, les échéances étant, pour
certains pays, très longues, les allègements doivent être
impérativement financés sur le long terme. D'autre part, les
créanciers étant divers, la participation des prêteurs
impliqués doit être assurée au prorata de leurs
créances. Or, aucun de ces impératifs n'est garanti aujourd'hui.
Et la courbe de Laffer de prévenir que si les ratios d'endettement
demeurent insoutenables, les créanciers verront baisser leurs chances
d'être remboursés.
Du côté des échéances, certaines
sont effectivement très longues. Des pays comme la Sierra Leone (2036),
Sao Tomé-&-Principe (2038) ou comme le Burundi (2043), ne verront
effectivement leur dernier allègement de dette que très tard. Le
plus ironique est sans doute le fait que le problème soulevé par
un tel engagement n'est pas tant financier que politique. Le FMI l'admet
lui-même. Les IFI ont donc les moyens de financer une telle promesse
« sur leurs fonds propres, sans que cela porte préjudice à
leur fonction de prêteur en dernier ressort »4. Mais ce
n'est pas tant les institutions de Bretton Woods qu'il faut incriminer que les
créanciers non engagés dans les initiatives d'allègement.
Car approximativement, d'après les données de 2006, l'ensemble
des coûts relatifs aux allègement de dette des 40 PPTE
déclarés comme tels se partage entre les créanciers
multilatéraux (46%, dont 20% pour l'IDA, 9% pour le FMI et 7% pour la
BAD), 36% pour les créanciers bilatéraux membres du Club de
Paris, 13% pour les créanciers bilatéraux non membres, et 5% pour
les créanciers commerciaux (voir tableau 24 et graphique 16 en annexe
p.163 et p.178). L'IDA connaît un déficit au niveau du financement
de l'IADM, mais est renflouée régulièrement par ses
actionnaires. Le FMI n'ayant pas constitué assez de provisions pour
financer l'assistance fournie au titre de l'IPPTE, pour les pays en situation
d'arriérés prolongés ainsi que pour les nouveaux PPTE
identifiés, il doit trouver les ressources financières
nécessaires avant que ces derniers ne parviennent au point de
décision. Le Fonds africain de
4Ajaltouni N. et al., sous la direction de Merckaert
J., 2004, Rapport 2003 de la plate-forme Dette et Développement, op.
cit., p. 30.
développement (FAfD), compris dans la BAD, sera
opérationnel pour le financement de l'IADM lorsque les garanties de
financement nécessaires auront été obtenues.
La difficile contribution de tous les bailleurs se situe alors
au niveau multilatéral, bilatéral mais surtout commercial.
Au niveau multilatéral, «sur les 31
créanciers considérés, [seulement] 23 ont indiqué
leur intention de participer à l'initiative PPTE» en
20065. Les huit réfractaires constituent 0,5% du coût
total. C'est peut-être peu au regard de la totalité, mais beaucoup
pour certains débiteurs.
Les créanciers du Club de Paris supportent au total,
pour les 40 PPTE identifiés, la somme de 15,2 milliards de dollars en
VAN à la fin 2005, sans compter quelques allègements
supplémentaires6. La quasitotalité des 19 membres
participe.
Pour les pays non membres du Club mais détenteurs de
dettes, la situation est déjà plus contrastée. «Le
caractère facultatif de l'Initiative PPTE explique en partie la faible
participation des créanciers bilatéraux publics non membres du
Club de Paris »7. Il n'existe en effet aucune base juridique
contraignant les créanciers concernés à participer aux
initiatives. Ainsi, sur les 56 créanciers «impliqués»
à ce titre, 13 représentent environ 85% des allègement
accordés. Les services de la Banque et du Fonds ont donc adressé
des demandes de participation à neufs créanciers importants
(Algérie, Bulgarie, Chine, Émirats arabes unis, Honduras,
Koweït, Libye, Arabie Saoudite et Venezuela).
Tous ont répondu favorablement, mais a priori
seulement, et chacun selon ses propres critères d'allègement. Six
créanciers bilatéraux non membres du Club ont consenti à
un allègement total (comme la Jamaïque ou la République de
Corée), ce qui représente 1,4% du total des allègements.
D'autres ont accepté un allègement partiel (la Chine, la Libye ou
encore la Pologne). Un autre créancier important s'est
déclaré participant, les Emirats Arabes Unis, ce qui se traduira
par un allègement plus important au total.
Quant à la Libye et la Chine, elles ont fait savoir
qu'elles accorderaient des allègements de leur propre chef, sans donner
d'autres détails (sur les montants et les conditions notamment).
Malheureusement au total, «les données d'information disponibles
tendent à in-
5 Comité du Développement, 2006, Initiative en
faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et Initiative
d'allègement de la dette multilatérale (IADM), Etat d'avancement,
p. 21.
6 Certains dès le point de décision, d'autres au
point d'achèvement et d'autres encore pour les 10 PPTE en phase
intérimaire (dont les données n'étaient pas disponibles en
2005).
7 Comité du Développement, 2006, op. cit., p.
28.
diquer que les allègements consentis aux PPTE par les
créanciers bilatéraux publics non membres du Club de Paris sont
faibles, même sur la base d'hypothèses optimistes
»8. Sans compter qu'un créancier bilatéral
public, la Libye, a carrément engagé une action en justice pour
être remboursée par le Nicaragua, un des PPTE ayant franchi le
point d'achèvement.
Au niveau commercial enfin, la situation est plus
préoccupante, même si la part commerciale dans les
allègements de dette au titre de l'initiative PPTE ne cesse d'augmenter.
Si la part des créances commerciales reste largement inférieure
à celle des autres types de créances, elle est loin d'être
négligeable pour certains PPTE (notamment la République du Congo,
où elle représente 35%, la Côte d'Ivoire, le Libéria
où elle s'élève à 20% ou encore au Soudan,
où elle compte pour 13% de l'endettement total). En outre, très
peu de créanciers commerciaux ont accordé un allègement de
dette aux PPTE, puisque leur allègement ne représente que 5,5% de
montant qu'il devrait représenter avec une participation pleine et
entière aux 29 PPTE ayant franchi le point de décision. Parmi ces
19 PPTE, 13 ont donc été obligés, depuis 1989, d'utiliser
le Fonds de désendettement des pays exclusivement IDA9 pour
payer une partie de leur dette commerciale. Mais le plus grave, c'est qu'un
nombre croissant de créanciers commerciaux et de fonds vautours (ces
fonds d'investissements spécialisés qui rachètent les
dettes d'entreprises en difficulté afin d'en prendre le contrôle
et de les restructurer, sont 44 au total) intentent des actions en justices
contre les PPTE (voir tableau 20 en annexe p.159).
Les plus grandes victimes sont la RDC, le Guyana et l'Ouganda.
Ces créanciers sont dispersés un peu partout dans le monde, mais
la plupart se concentrent au Royaume-Uni, aux îles vierges britanniques
et aux Etats-Unis. La plupart des procès se déroulent dans les
grandes villes des Etats-Unis, à Paris et à Londres). Or, la
majorité des procès intentés ont donné raison aux
créanciers (26 sur 44 pour 7 PPTE). Et les sommes à payer ne sont
pas non plus pas négligeables ; 30 milliards de dollars pour la Sierra
Leone, l'Ouganda et la Zambie dans le passé, par exemple. La somme
totale des créances qui, selon les indications données, font
l'objet d'une action en justice s'élève à peu près
à 1,9 milliard de dollars, soit un montant supérieur de 22 %
environ au montant de l'allègement de dette accordé par les
créanciers commerciaux au titre de l'Initiative PPTE. Les poursuites
engagées contre le Cameroun
8Id,p. 30.
9 Ce fonds octroie des dons aux pays qui remplissent les
conditions voulues pour préparer et exécuter des
opérations de rachat de dettes. Pour en savoir plus, voir Comité
du Développement, 2006, op. cit., p. 36.
et le Nicaragua par exemple ont débouché sur des
dommages-intérêts représentant respectivement plus de la
moitié et quatre fois les allègements de dette qui auraient
dû être consentis par les créanciers commerciaux à
ces pays10. La faible participation des créanciers
commerciaux pose un autre problème dans le cadre du principe d'un
partage équitable de la charge de l'allègement pour les
créanciers. Or, ce dilemme du «passager clandestin », qui
consiste pour les créanciers non engagés à profiter du
retour à la solvabilité de leurs débiteurs grâce aux
allègements de dette consentis par les créanciers
impliqués, aura du mal à être résolu par les IFI. En
effet, celles-ci ne disposent pas de moyens pour les inciter à
participer à l'initiative.
Dans ces conditions, il appartient aux Etats accueillant ces
détenteurs de dette, aussi bien que leurs procès, de les
encourager à faire un effort, quitte à employer des mesures
coercitives. Une autre option pour l'avenir, plus générale,
consisterait à créer un cadre de négociation de la dette
plus équitable que celui qui prévaut encore aujourd'hui.
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