2 L'instauration d'une législation et d'un Tribunal
international de la dette (TID).
Dans la mesure où tous les mécanismes de gestion
de la dette extérieure publique qui ont été mis en place
par les créanciers depuis des décennies se sont
avérés partiels et inefficaces (y compris l'IPPTE), il convient
d'instaurer un dispositif plus équitable. L'impasse dans laquelle s'est
trouvée l'Argentine met en évidence les problèmes
posés par l'absence d'un mécanisme international de gestion de la
dette extérieure publique (y compris celle liée à la
garantie de l'Etat des emprunts privés). Ce type de juridiction
internationale a surtout été proposé pour les pays
émergents faisant largement appel aux capitaux privés pour se
financer mais attirant par là même les capitaux spéculatifs
et les prises de risque excessives. Toutefois, il serait tout aussi judicieux
de créer une législation internationale sur la dette souveraine
(LIDS) accompagné, dans son application, d'un Tribunal international de
la dette (TID17) pour les pays pauvres, notamment les
«très endettés ». Un tel organisme s'inscrit dans la
lignée d'une autre lecture de la soutenabilité; celle qui tient
compte des intérêts et des responsabilités des
créanciers, comme de ceux des débiteurs. Il a de plus le grand
avantage de pouvoir contraindre les créanciers commerciaux, initialement
réfractaires, à participer aux négociations de
restructurations et d'allègements de dettes.
La mise en place d'un mécanisme formel de
restructuration de la dette souveraine18 doit s'inscrire dans un
cadre de justice et de transparence (contrairement aux négociations dans
le cadre du Club de Paris, dont les modalités sont souvent très
opaques et au sein desquelles le débiteur est seul face à tous
ses créanciers organisés). Un tel mécanisme pourrait
s'inspirer du code de la faillite américain, qui conjugue les
intérêts et la responsabilité du débiteur et ceux de
créancier.
17 Les abréviations sont « inventées »
par l'auteur dans la mesure où elles ne sont pas apparues dans les
documents utilisés.
18 Dette des Etats souverains.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte86.png)
Le FMI s'est récemment déclaré favorable
à une telle instauration. Et certains éléments de sa
proposition paraissent séduisants. En outre, le Fonds adhère au
caractère préventif d'une telle législation, qui viserait
à responsabiliser non seulement le débiteur mais également
le créancier. Selon lui, les pays débiteurs seraient alors les
initiateurs d'une «mise en faillite provisoire » puisqu'ils
déclareraient un moratoire sur leurs remboursements pour
déclencher la procédure. Dans ces conditions, la procédure
prendrait en compte les spécificités du pays
«redevable» (comme l'article 9 du code de la faillite
américain), mais elle devrait également tenir compte du
degré de responsabilité du créancier (FMI compris).
Ensuite, le FMI se dit favorable au contrôle temporaire des flux de
capitaux dans le pays débiteur, ce qui constitue une avancée
compte tenu de sa dévotion traditionnelle pour une libéralisation
totale. Il envisage même la mise en place dune « entité
internationale qui pourrait arbitrer les désaccords et superviser les
négociations »19.
Néanmoins, le FMI n'a pu s'empêcher de se
réserver une place de choix dans la procédure. En effet, si
beaucoup d'auteurs à ce sujet estiment que la procédure doit
relever d'une instance neutre et impartiale, le FMI se déclare quant
à lui compétent pour jouer un rôle d'approbation ex ante.
Pourtant, le FMI n'est ni neutre ni impartiale puisque non seulement il est
lui-même créancier mais il est également dans son ensemble
gouverné par les pays riches, notamment par les Etats-Unis20.
Surtout que le Fonds insiste sur son statut prioritaire dans le cadre de sa
fonction de prêteur en dernier ressort. D'autre part, le FMI se focalise
toujours sur l'aspect financier de l'analyse de l'endettement. C'est son droit
puisqu'il s'agit d'une institution financière. Mais il doit dans ces
conditions, puisqu'une dette insoutenable englobe aussi des aspects tels que
ceux liés à la réalisation des OMD, laisser laplace
à une institution apte fournir une analyse globale. Qui plus est, le FMI
reste touj ours muet au sujet de la nécessaire transparence de la
procédure et de la participation de la société civile,
pourtant toutes deux indispensables.
Le compromis décelé au sein du G721
en 2002 est donc insuffisant dans la mesure où il constitue un «
mixage » de la position américaine et de celle du FMI. En effet,
bien que favorables à la proposition du FMI dans un premier temps, les
Etats-Unis s'en sont très vite
19Ajaltouni N. et al., sous la direction de Merckaert
J., 2004, Rapport 2003 de la plate-forme Dette et Développement, op.
cit., p.51.
20 Les Etats-Unis étant le seul pays à disposer
d'un droit de veto dans le cadre de certaines décisions compte tenu du
fait qu'ils versent la quote-part la plus élevée.
21 La Russie n'y étantpas incluse à cette
époque, le groupe n'était encore pas dénommé G8.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte87.png)
éloignés car ils refusaient de renforcer le
rôle de l'institution. Ils ont alors proposé «une approche de
régulation par le marché »22.
L'idée s'éloigne donc totalement de l'instauration d'un
mécanisme et d'une institution formels pour procéder à de
telles restructurations. Par ailleurs, en préconisant simplement
l'établissement de nouvelles clauses dans les futurs contrats de
prêts, permettant la facilitation des négociations en cas de
défaut, l'idée ne permet pas de résoudre les
problèmes tenant aux prêts antérieurs. De fait, le
consensus du G7 vise seulement à appliquer la proposition
américaine avec un FMI dans le rôle de gendarme «en dernier
ressort ». Or, le problème de l'asymétrie entre
débiteur et créancier n'est alors pas réglé.
L'idée ici prônée s'inspire des quatre
principes préconisés par J. E. Stiglitz [2006] dans le cadre de
la systématisation de « l'opération de
restructuration/effacement de la dett e »23.
D'abord, l'effacement éventuel de la dette doit être assez
conséquent pour permettre un niveau soutenable à moyen terme au
moins (cinq ans selon Stiglitz). Les IFI doivent donc baser leurs estimations
sur des projections réalistes, du moins beaucoup davantage
qu'aujourd'hui. Deuxièmement, les détenteurs étrangers
n'étant pas les seuls créanciers, une priorité doit
être réservée, dans la mesure du possible, aux
créanciers domestiques que représentent les populations dans le
besoin (devoir d'éducation et d'apport de soins de santé pour les
Etats). Troisièmement, «la restructuration doit être rapide
et favorable au débiteur. Tout délai a un coût prodigieux
»24, comme le montrent les retards pris en phase
intérimaire de l'IPPTE. Le chapitre 11 du code américain des
faillites peut inspirer les mesures à prendre à cet égard.
Enfin, et c'est le plus important, la procédure, quelle qu'elle soit, ne
doit pas être déterminée par les créanciers, FMI
compris, ces derniers ne pouvant par définition être
impartiaux.
Pour conclure, «je suis convaincu[e] que la mise en place
d'une organisation des faillites internationales finira par s'imposer ».
(...) Mais, à court terme, il pourrait être utile de créer
un service de médiation internationale pour établir des normes
»25. Une telle organisation a l'avantage de ne pas
nécessiter une création ex nihilo dans la mesure où une
institution qui peut la prendre en charge existe déjà. En effet,
«un groupe de travail élargi sur la dette au sein du programme
«financement
22 Ajaltouni N. etal., sous la direction de Merckaert J., 2004,
op. cit., p. 52.
23 J. E. Stiglitz, 2006, «Un autre monde », éd.
Fayard, p. 327.
24Id.,p. 328.
25 Id. p. 329.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte88.png)
du développement » des Nations Unies [pourrait
être crée], impliquant délégués
gouvernementaux, IFI, experts et sociétés civiles du Nord et
du Sud »26.
Ce même groupe de travail pourrait tout aussi bien avoir
pour tâche d'identifier et d'annuler les dettes dites «odieuses
», avant de réorienter les politiques dites «de bonne
gouvernance » des PPTE. Ce n'est que dans ces conditions qu'une dette peut
effectivement s'avérer soutenable à moyen/long terme.
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