Sommaire
Partie I
Les initiatives PPTE:
un premier pas nécessaire vers la gestion du
surendettement africain
Chapitre 1
Du surendettement aux Politiques d'ajustement structurel
des responsabiités partagées
I - Insoutenabilité des dettes africaines, entre mythes et
réalités
II - Choix des mythes par les IFI et échec
consécutif de leur politique d'ajustement structurel
Chapitre 2
Les initiatives PPTE, une ultime tentative
pour alléger le fardeau de la dette
I - Initiatives PPTE, entre mea-culpa des PAS et lutte contre la
pauvreté à travers l'allègement de la dette
II - Des résultats renforcés à court terme
par l'IADM
Partie II
Au-delà des insuffisances de l'initiative PPTE:
l'enjeu d'un véritable engagement mutuel à moyen
terme
Chapitre 3
Un bilan de l'initiative traduisant une simple
rénovation marginale à court terme
I - D'une initiative partiale quant au choix des critères
d'allègement...
II - ... A une solution partielle en matière de
résultats
Chapitre 4
L'enjeu à moyen terme : la nécessité
d'un engagement moral plus que financier
I - Un simple « désenrichissement » partiel des
créanciers...
II - ... Indispensable à la modeste survie des
débiteurs
Table des matières
Introduction 11
Partie I. Les initiatives PPTE:
un premier pas nécessaire vers
la gestion du surendettement africain 22
Chapitre 1.
Du surendettement aux Politiques
d'ajustement structurel:
des responsabilités partagées 24
I - L'insoutenabilité des dettes africaines:
entre mythes et réalités 24
A/ Les spécificités historiques
et économiques des pays d'Afrique:
une analyse indispensable et pourtant trop rare 24
1. Généralités sur les PPTE africains,
une histoire propre malgré la subordination 24
2. Les économies d'Afrique,
des économies dépendantes pas comme les autres
27
B/ Les causes de la commotiondes dettes africaines:
un bilan trop longtemps clairsemé 30
1. Les causes endogènes:
une histoire de mauvaise gouvernance 30
2. Les causes exogènes:
une histoire de mauvaise ingérence 32
II - Choix des mythes par les IFI et échecs
consécutifs
de leurs politiques d'ajustement structurel 35
A/ Unique responsabilité des débiteurs
et unique voie théorique empruntable 35
1. Les mesures courantes
de stabilisation théoriquement prioritaires 36
2. Les mesures à caractère plus structurel,
essentielles en théorie 38
B/ « La grande désillusion » 41
1. Des spécificités africaines
invalidant la théorie des PAS 41
2. Des cas concrets d'autant plus éloquents 45
Chapitre 2. Les initiatives PPTE:
une ultime tentative pour alléger
le fardeau de la dett e extérieure 50
I - Initiatives PPTE, entre mea-culpa
des PAS et lutte contre la pauvreté
à travers l'allègement de la dette 50
A/ La prise en compte du poids des ajustements
et de la dette sur la pauvreté, enfin 51
1. Des limites des conditions de Lyon
aux exigences de Cologne:
le renforcement de l'initiative 51
2. L'éligibilité du pays pauvre
surendetté
en tant que PPTE officiel 54
B/ Un programme « en phases»
avec le pays bénéficiaire et sa population:
une démarche très attendue 57
1. Du Document de stratégie de réduction
de lapauvreté aupoint d'achèvement... 57
2. ... Avec un passage obligatoire
par la période intérimaire 60
II - Des résultats renforcés à court
terme
par l'Initiative d'allègement
de la dette multilatérale (IADM) 62
A/ L'IADM, un complément
bienvenu de l'initiative PPTE 63
1. Un allègement supplémentaire
pour les pays ayant att eint le point d'achèvement 63
2. Des implications non négligeables 65
B/ L'ampleur et les impacts
des allègements consentis : un début prometteur
68
1. Les allègements en chiffre:
la présence d'une bonne intention de départ 68
2. Les impacts sur les variableséconomiques et
sociales:
prémices d'un assainissement 70
Partie II. Au-delà des insuffisances
de l'initiative PPTE : l'enjeu d'un véritable
engagement mutuel à moyen terme 74
Chapitre 3. Un bilan de l'initiative traduisant
une simple rénovation marginale à court terme 76
I - D'une initiative partiale
quant au choix des critères d'allègement... 76
A/ La partialité du choix des économies
récipiendaires 76
1. La définition des pays pauvres en question
et les changements occasionnés par son
élargissement 76
2. La solvabilité et la soutenabilité de la
dette:
deux approches conceptuelles différentes... 79
B/...Pesant de tout leur poids sur l'éligibilité
des économies au bénéfice de
l'allègement 81
1. La construction d'un indicateur complémentaire 81
2. ...Démontrant la nécessitéd'un
élargissement
du nombre de bénéficiaires 84
II - ... Aune solution partielle en matière de
résultats 87
A/ Entre exhumation et réelle
immortalité des conditionnalités 87
1. Un processus PPTE semé de conditions 87
2. Un processus participatifde fait biaisé 91
B/... L'insoutenabilité de la dette
comme limite des PAS et de l'Initiative PPTE 94
1. La lenteur de la procédure et l'irréalisme des
projections 94
2. Allègement insuffisant et absence de retour à
la stabilité 97
Chapitre 4. L'enjeu à moyen terme:
la nécessité d'un engagement
moral plus que financier 101
I - Un simple «désenrichissement»
partiel des créanciers :101
A/ Le respect indispensable
de toutes les modalités d'engagement 101
1. L'enjeu crucial de l'additionnalité des aides 101
2. Un engagement à long terme essentiel
de la part de tous les créanciers 105
B/ La nécessité d'un cadre
de négociations désormais équitable 108
1. La réforme des marchés financiers
et la création d'un marché spécifique aux
PED 108
2. L'instauration d'une législation
et d'un Tribunal international de la dett e 111
II -... Indispensable à la modeste survie des
débiteurs 114
A/ L'annulation totale et inconditionnelle
des «dettes odieuses » : un préalable
obligatoire 114
1. Une identification des « dettes odieuses » 115
2. ... Nécessaire àleur annulation 117
B/ Au-delà des mécanismes de restructuration:
quelques pistes pour des politiques
de réendettement soutenable en Afrique 120
1. L'atteinte de la « deficit duration»
et la bonne gouvernance économique 121
2. Vers une bonne gouvernance sociale 124
Conclusion 127
Liste des annexes 134
Annexes 137
Glossaire 179
Bibliographie 191
«C'est vrai qu'il y avait une tendance au FMI, il y a une
dizaine d'années, à croire qu'il y avait une réponse
universelle. Qu'un modèle de développement qui avait bien
fonctionné dans une partie du monde était nécessairement
transposable, tel quel, partout ailleurs. De là découlaient des
programmes qui prêtaient trop peu d'attention aux conséquences
concrètes pour les populations des pays concernés. Il faut le
dire, ils étaient élaborés par des technocrates - souvent
américains - qui se montraient tout à fait indifférents
aux conséquences de leurs plans sur le terrain »1. Or,
«ce que l'on fait pour les autres sans les autres, c'est contre les autres
»2. Pour toute ces raisons, c'est un véritable
procès international qui sera intenté contre le Fonds
monétaire international (FMI) et, dans une moindre mesure, contre la
Banque mondiale durant les années 1990. L'insurrection
générale se fera en outre contre les conséquences sociales
des plans d'ajustement structurel (PAS), menés par les deux institutions
financière internationales (IFI), à la suite de la crise de la
dett e qui débute en 1982.
En 1982 en effet, lorsque le Mexique se déclare
publiquement insolvable, c'est toute la communauté financière
international qui panique, et le poids des IFI qui se décuple.
L'incapacité d'honorer ses dettes pour un pays émergent tel que
le Mexique risque alors de déstabiliser le système financier
international. Or, il appartient justement au FMI, depuis sa création en
1944 à la Conférence de Bretton Woods, de veiller à la
stabilité du système monétaire et financier mondial. Son
influence, en régression constante depuis l'éclatement du
système de Bretton Woods, va alors bénéficier d'un
renforcement considérable, parallèlement à la
réorientation de ses missions. Le système de Bretton Woods avait
en effet instauré un système de changes fixes, appelé le
Gold exchange standard dans la mesure où désormais, seul le
dollar pouvait être convertible en or, tandis que le cours des autres
monnaies était indexé sur lui (et non plus directement sur celui
de l'or). L'or n'est alors plus qu'un étalon indirect, compte tenu du
rôle (prépondérant) d'intermédiaire du dollar.
Néanmoins, les crises économiques et financières à
répétition qui surviennent entre 1950 et 1970 vont rapidement
déstabiliser le cours du dollar car aucun contrôle sur la
quantité de dollars émis n'a été instauré.
De fait, des quantités importantes de la monnaie étalon la plus
demandée errent sur la scène mondiale, suscitant alors une
inflation généralisée. Face à l'irréalisme
des varia-
1 Maystadt P., ancien président du Comité
intérimaire du FMI (aujourd'hui dénommé Comité
monétaire et financier international) de 1993 à 1998, extrait de
Millet D. et Toussaint E., 2002, « 50 Questions 50 Réponses sur la
dette, le FMI et la Banque mondiale », éd. Syllepse, p. 111.
2 Proverbe touareg.
tions du cours du dollar, les Etats-Unis décident donc,
le 15 août 1971, d'abandonner unilatéralement la
convertibilité du dollar en or. Dès 1973, après avoir
tenté de maintenir tant bien que mal les parités fixes, un
système de changes flottants est instauré, puis
entériné par les accords de la Jamaïque (1976). Or, le FMI,
qui devait veiller au respect des parités dans les marges
définies, perd de fait la majeure partie de sa substance.
Mais les instabilités qui prévalaient dans la
fixité ne sont toutefois pas éradiquées par le flottement
des monnaies, et vont même contribuer à la crise la dette. Les
deux chocs pétroliers, en 1973 et 1979, qui se traduisent en
l'occurrence par une forte augmentation des prix des matières
premières (un quadruplement en 1973), accroissent
considérablement les recettes d'exportations pour les pays producteurs
et exportateurs de pétrole. Ces recettes, exprimées à
l'extérieur en pétrodollars, vont être placées dans
des banques occidentales qui vont à leur tour les investir sous forme de
prêts en faveur du Tiers-Monde, à taux d'intérêt
très faibles (l'inflation prévalant toujours). Toutefois, la
bonne humeur des banques occidentales, tout comme celle de la Banque mondiale
d'ailleurs, ne se propage pas sur tous les pays riches. Les Etats-Unis
notamment, mais aussi la plupart des pays du Nord, inquiets vis-à-vis de
l'inflation galopante, opèrent un revirement très libéral,
dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
En effet, lorsque la Réserve fédérale
américaine décide une forte augmentation des taux
d'intérêt, ce sont tous les emprunts contractés en dollars
qui voient leur service grimper d'autant. Et lorsque les chocs
pétroliers provoquent le repli des économies
industrialisées, c'est le cours des matières premières qui
s'effondrent, emportant dans son sillage les exportations dont sont tributaires
les pays du Sud. Les mêmes exportations qui servaient à rembourser
les dettes.
Dans ces conditions, le FMI est alors chargé par ses
actionnaires d'assurer la solvabilité des débiteurs en
défaut de paiement. Et ces débiteurs sont de plus en plus
nombreux. La Banque mondiale, elle aussi, voit sa mission prendre du poids,
mais sans pour autant en changer. Chargée, également depuis 1944,
d'accorder des prêts à taux préférentiels aux
économies, pauvres pour la plupart, en besoin de financement, elle
continue d'assurer ses fonctions auprès d'un nombre croissant de
bénéficiaires. Dans le cadre de l'insoutenabilité des
dettes des pays en développement, c'est l'IDA3 (International
development association) qui vajouer le premier rôle au sein du groupe de
la Banque.
3 Ou AID, Association internationale de développement.
Le nombre de bénéficiaires de ces aides, sous
forme de prêts, augmente car l'Amérique du Sud n'est pas le seul
continent à être touché par l'insolvabilité. En face
en effet, le continent africain, surendetté et très pauvre, est
également affaibli par le fardeau croissant de sa dette
extérieure publique. Les Etats africains, notamment ceux d'Afrique
subsaharienne4 (située en dessous de la frontière du
Sahel, voir carte 1 en annexe p.1 37) qui ont emprunté à
l'extérieur, ne subis sent pas directement la crise de la dette, mais
sont néanmoins très affectés par les causes qui l'ont
induite. Peu susceptibles de fragiliser le système financier
international, ils ne feront donc malheureusement pas l'objet
d'inquiétudes de la part des bailleurs de fonds jusqu'au milieu des
années 1980. Pourtant l'encours total de la dette de l'Afrique
subsaharienne s 'élève à 104, 676 milliards de dollars
entre 1980 et 1989, alors qu'il ne représentait «que » 21, 859
milliards entre 1970 et 1979 (voir tableau 1 annexe p.139), soit un
quintuplement entre les deux périodes. Ce fardeau croissant a en outre
plusieurs causes, toutes interdépendantes.
L'Afrique est spécialisée, depuis le temps des
colonisations, dans les exportations de produits de base. Elle est donc
favorisée par la hausse des prix des matières premières
issue des chocs pétroliers, mais va utiliser les recettes d'exportations
à très mauvais escient. Si bien que lorsque les cours rechutent,
elle n'a alors plus suffisamment de fonds pour rembourser ses prêts en
monnaie étrangère, et ne peut parvenir à relancer ses
exportations pour faire rentrer les dollars nécessaires au
désendettement. Parallèlement, le contexte est à
l'endettement. Tous les pays en développement (PED) sont incités
à s'endetter, auprès des pays riches surtout, car l'endettement
est al-ors considéré comme une source de développement.
Or, dans le cas africain, le seul pilier de développement,
constitué par les ressources en matières premières, est
trop instable. Dès lors, il ne peut l'aider à sortir d'une telle
spirale de la dette, qui devient de plus en plus infernale avec l'augmentation
des taux d'intérêt décidée unilatéralement
par les pays du Nord. La dette triple donc du jour au lendemain. Mais les
mêmes dettes auparavant viables méritent une explication quant
à leur origine. Car l'accès à des fonds de
développement ne constitue qu'une infime raison de l'endettement, dans
le cas africain en l'occurrence. Dans le contexte de la Guerre froide, une
grande partie de
4 Groupe des pays industrialisés les plus influents au
monde, composé des États-Unis, du Japon, de l'Allemagne, du
Royaume-Uni, de la France, de l'Italie et du Canada. La Russie est, depuis
2003, membre à part entière du groupe désormais
appelé G8.
l'endettement est effectivement due aux prêts
accordés pour corrompre les gouvernements, qu'il s'agisse des banques
commerciales du Nord, des Etats alliés des Etats-Unis, ou de la Banque
mondiale. Parallèlement qui plus est, ces gouvernements n'ont pas besoin
d'être corrompus puisqu'à l'époque, une grande partie de la
région évolue soit sous les dictatures, soit sous des
régimes de conflits armés. Les démocraties effectives donc
sont rares, et les détenteurs du pouvoir peuvent endetter leur pays dans
leur seul intérêt personnel, puisque les créanciers se
soucient peu de la destination des fonds prêtés.
Cette réalité de l'histoire sera cependant
troquée contre la seule version d'une mauvaise gestion des fonds publics
conjuguée à l'incapacité des pays à faire face aux
aléas conjoncturels mondiaux. Et en changeant l'intrigue, ce
scénario va aussi changer le dénouement. Car si l'intrigue repose
sur l'unique culpabilité du débiteur, le dénouement
requiert alors réparation, parsemé toutefois d'actes
généreux des créanciers. En effet, ces derniers,
conscients que l'Afrique ne dispose pas des ressources nécessaires pour
honorer ses dettes, vont lui accorder quelques restructurations, sous condition
d'application de programmes d'ajustement structurel (PAS) sous l'égide
des deux IFI.
Les premières tentatives de gestion du surendettement
n'ont donc jamais posé la question d'un gel ou d'annulation des dettes,
mais seulement d'un rééchelonnement puisque les créanciers
estimaient que le problème n'était que passager. Le plan
Brady5, de 1989, entérine la nécessité des
mesures d'assainissement des économies en échange d'une
réduction des dettes commerciales. La plupart des pays pauvres africains
ne pourront en bénéficier, car leur dette est surtout
bilatérale et multilatérale dans la mesure où ils se sont
surtout endettés auprès d'autres Etats et des organismes
multilatéraux, comme la Banque mondiale et le FMI. En revanche, ils
auront droit aux politiques d'ajustement structurelles (PAS).
Or, leur application convenable par le pays conditionne non
seulement le décaissement des crédits et des facilités
d'ajustement structurel (CAS et FAS) de la Banque mondiale et du FMI, mais
aussi la qualité des négociations pour les différents
allègements de dettes. Car les facilités accordées par les
IFI, qui financent les réformes d'assainissement, ne sont
décaissées qu'en fonction de l'état d'avancement des PAS.
De même, le Club de Paris, qui réunit les grands créanciers
publics bilatéraux restructurant leurs créances, ne
procède à des allègements que
5 Du nom du secrétaire américain au Trésor
de l'époque.
si le FMI émet une opinion favorable sur le
débiteur. Pendant la grande période des PAS, de 1980 à
1996, c'est le Groupe des 76 (G7) qui définissait les termes
des allègements dont pouvaient bénéficier les pays. Et au
fur et à mesure des sommets du G7, les allègements deviennent de
plus en plus conséquents (voir tableau 2 en annexe p.140). Car il faut
dire que parallèlement, les pays endettés devaient emprunter touj
ours plus pour rembourser les premiers crédits. Malheureusement, une
telle spirale a rendu l'encours total des dettes souveraines (dites aussi
dettes extérieures publiques) bien supérieure aux
allègements concédés, même dans les meilleurs
conditions.
Pourtant, les PAS étaient supposés permettre le
retour à la stabilité de la dette grâce à des
politiques économiques rigoureuses et aux forces du marché. Les
dix grandes conditionnalités des PAS, qui précisent les types de
politiques à mettre en oeuvre, résultent en l'occurrence du
fameux Consensus de Washington. La célèbre expression,
utilisée en 1989 par John Williamson pour définir les mesures
prônées par les deux IFI basées à Washington,
résume alors, en dix points, comment l'Etat doit abandonner correctement
ses prérogatives à un secteur privé plus apte à les
prendre en charge.
Le but de telles politiques est en effet de freiner les
dépenses des Etats et d'augmenter leurs recettes afin d'honorer leurs
dettes. La rigueur budgétaire et monétaire servait alors à
réduire les dépenses, pendant que le développement du
marché devait se charger de ramener les recettes.
Ce qui parait simple en théorie peut en fait
s'avérer très compliqué à mettre en oeuvre et peut,
qui plus est, échouer. Ce fut le cas, surtout parce qu'aucune de ces
mesures n'a été correctement adaptée au contexte
prévalant dans le pays bénéficiaire. Elles devaient toutes
être appliquées en bloc, en tout lieu et en tout temps, quel que
soit le stade de développement ou les moyens de l'économie. Une
telle abstraction des spécificités a naturellement donné
lieu à des résultats mitigés, voire catastrophiques
puisque, en moyenne, huit cas sur dix ont constitué un échec. Et
cet envasement a malheureusement prévalu à tous les niveaux.
Les PAS ont surtout suscité des émeutes
sociales, tant la pauvreté s'accroissait dans des pays où elle
aurait dû diminuer. Et pour cause, le marché n'a pas
été capable de remplir son rôle de moteur de
6 Groupe des pays industrialisés les plus influents au
monde, composé des États-Unis, du Japon, de l'Allemagne, du
Royaume-Uni, de la France, de l'Italie et du Canada. La Russie est, depuis
2003, membre à part entière du groupe désormais
appelé G8.
croissance dans des économies aussi peu attractives
pour les investisseurs étrangers. La seule promotion du secteur
privé ne pouvait suffire à les attirer, en l'absence d'un cadre
institutionnel cohérent. De l'autre côté, le seul secours,
que représentait l'Etat, était dépossédé de
ses prérogatives essentielles. Par conséquent, de manière
générale, la rigueur budgétaire a freiné le rythme
de dépenses sociales, déjà bien maigres, pendant que la
libéralisation financière permettait aux capitaux de s'enfuir
dans des banques du Nord bien plus rémunératrices. Les
gouvernements «résiduels » n'ont alors eu d'autres choix, face
à la stagnation économique, à la régression sociale
et au manque de financements, que de continuer à s'endetter
auprès des créanciers bilatéraux et multilatéraux.
La dette souveraine a donc continué à augmenter, tout en devenant
majoritairement multilatérale et bilatérale.
De fait, sans marché, sans Etat, sans croissance, et
avec un tel encours de dette, la situation était devenue très
grave. Tellement grave que la société civile internationale s'est
emparée de l'affaire pour faire pression sur les institutions
multilatérales. Sa colère a porté ses fruits puisque le
G7, lors du sommet de Lyon en 1996, a lancé l'initiative en faveur des
pays pauvres très endettés (IPPTE). Après l'aval des IFI,
l'initiative a été saluée dans la mesure où elle
constituait un aveu implicite de l'échec des plans d'ajustement et, plus
largement des conseils des institutions.
Pour la première fois, l'allègement de la dette
est au coeur des préoccupations, et donc d'autant plus
conséquent. Mais ce n'est pas, à proprement parler, la dette qui
inquiète tant, mais l'accroissement de la pauvreté en Afrique
subsaharienne, dans la lignée de la montée des
inégalités sur la scène mondiale. Car, bien
évidemment, la plupart des PPTE identifiés se trouve en Afrique
subsaharienne (voir carte 2 annexe p.13 8). C'est dans cette même optique
que l'initiative est réformée trois ans plus tard, au sommet de
Cologne. Le nouveau dispositif, appelé Initiative PPTE renforcée,
adoucit les critères d'admissibilité et renforce le montant des
allègements afin d'identifier davantage de pays pauvres très
endettés, d'améliorer l'efficacité des remises de dette et
de lutter plus activement contre la pauvreté. Dans cette dernière
ambition, l'allègement est directement tributaire de la capacité
du pays à combattre ce phénomène, grâce aux
nouvelles conditionnalités et aux nouvelles aides financières.
Les noms des instruments sont alors modernisés. Le Document cadre de
politique économique (DCPE), qui prévalait au temps des PAS, est
remplacé par le Document stratégique de réduction de la
pauvreté (DSRP). De même, les facilités d'ajustement
structurel (FAS), devenues en 1987 la facilité d'ajustement structurel
renforcée
(FASR), troquent leur nom contre celui de Facilité pour
la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). La
lutte contre la pauvreté est donc au coeur du débat. Et pour
cause, la seconde initiative s'inscrit dans l'ambition des Objectifs du
Millénaire pour le développement (OMD), publiquement
définis en 2000. En effet, ces huit objectifs doivent notamment
permettre de réduire l'extrême pauvreté de moitié
d'ici 2015. Les IFI, dans leur vision financière de la pauvreté,
mettent naturellement en avant l'allègement de la dette pour atteindre
ce but. Or, comme une part importante des dettes est constituée par des
créances multilatérales, celles-ci rentrent en exclusivité
dans le processus d'allègement. Car les créanciers
multilatéraux (notamment la Banque mondiale, le FMI et la Banque
africaine de développement7) n'avaient jamais consenti
à réduire leurs créances dans la me sure où le
remboursement des prêts en permet justement d'autres. L'effort financier
est donc bien présent et constitue, peut-être aussi, une forme de
reconnaissance du partage de la responsabilité dans le processus
d'endettement.
Il s'agit donc, pour les institutions financières
multilatérales et leurs actionnaires, de lutter activement contre la
pauvreté en renversant l'affectation des dépenses publiques.
Celles-ci doivent en effet se concentrer sur les dépenses sociales, et
non plus sur le service de la dette. Et si les PAS demeurent, leur but doit
être réorientée. De fait, les pays admissibles doivent touj
ours traverser une période, dite intérimaire, de mise en oeuvre
de conditionnalités pour bénéficier d'un allègement
de leur dett e au titre de l'initiative PPTE. Mais les conditionnalités
changent. Il s'agit désormais de savoir si l'économie est apte
à absorber convenablement les fonds dégagés par
l'allègement, et non plus de confier leur développement au seul
marché. Par conséquent, seul le service de la dette
(composé du principal et des intérêt) est réduit
pendant la mise en oeuvre des conditions, tandis que le stock (le montant
total) doit attendre le point d'achèvement de l'initiative. Ce point
symbolise en outre la réussite du programme, et ouvre droit à
l'allègement défini préalablement.
Outre l'effort relatif aux montants diminués, les IFI
accordent pour la première fois aux récipiendaires le droit de
lister eux-mêmes lesdites conditions. Il s'agit d'une avancée
importante puisque désormais, l'Etat est réhabilité en
tant que décideur politique, et les populations sont elles aussi
impliquées. Le processus participatifpermet ainsi de définir un
cadre de négociations multilatérales. Les IFI se contentent
7BAD.
de conseiller et d'entériner le DSRP , mais celui-ci
est maintenant rédigé démocratiquement.
Les impacts de l'initiative seront alors importants, mais pas
suffisants. Dans ces conditions, le G8 décide, au sommet de Gleneagles
en 2005, d'annuler immédiatement les créances
multilatérales dès l'atteinte du point d'achèvement. Le
dispositif afférant, l'Initiative d'allègement de la dette
multilatérale (IADM), a beaucoup surpris les plus pessimistes. Car
celle-ci ne suspend l'allègement à aucune conditionnalité.
L'absence de procédure rend l'addition des allègements
simultanée et donc d'autant plus importante pour le pays
bénéficiaire.
Car il est vrai que l'impact de tout cet arsenal s'est fait
rapidement sentir. Les ratios d'endettement, mesurant le poids de la dette sur
une variable clé de l'économie (comme les recettes d'exportations
ou les finances publiques), ont tous chuté pendant que les
dépenses en faveur de la lutt e contre la pauvreté (notamment
celles relatives à l'éducation et à la santé)
prenaient effectivement le contre-pied des dépenses affectées au
service de la dette. Les prémices de la réussite ne se sont
cependant pas éternisées. Les bilans ont malheureusement
montré que la dette ne restait pas suffisamment soutenable pour
atteindre les OMD à temps. L'initiative PPTE ne peut donc
concrétiser l'idée d'une dette supportable qu'à court
terme. En pour cause, les limites qui lui sont connues depuis dix, en termes
quantitatifs comme qualitatifs, sont demeurées présentes. Il est
vrai que l'initiative PPTE, qui conditionne également l'annulation de la
dette multilatérale au titre de l'IADM, n'inclut pas suffisamment de
pays pauvres très endettés. Les critères
d'admissibilité, tenant à la pauvreté comme à la
dette insoutenable, sont trop en effet restrictifs.
Pour les PPTE identifiés, la phase intérimaire,
dans laquelle les programmes d'assainissement des finances publiques et de
lutte contre la pauvreté sont appliqués, est souvent trop longue
en raison de la rigueur des conditionnalités. Car celles-ci doivent
suivre un plan tout de même établi à l'avance, du moins
implicitement, par le FMI et la Banque. La difficulté de mise en oeuvre
qui prévalait au temps des PAS, tout comme la supervision
omniprésente des IFI, se reconnaissent encore dans l'initiative. De
fait, non seulement la participation des populations n'est pas effective, mais
beaucoup de pays restent bloqués dans la phase intermédiaire, ce
qui retarde d'autant plus les allègements, parfois urgents.
Cette rigueur n'est toutefois pas autant ressentie dans les
projections des IFI, permettant d'estimer l'avenir économique des pays
pour définir le montant des allègements nécessaires. Elle
est également ab-
sente de la définition pertinente d'une dette
soutenable. Car mesurer une dett e en valeur actuelle nette (VAN) ne fait
qu'actualiser le montant des annuités (intérêts et
principal remboursés chaque année) restant à payer au taux
de marché des annuités en vigueur à la date de
l'actualisation. Or, un tel critère ne prend pas en compte la
décote d'une créance sur le marché de la dette. Car, cette
décote traduit en outre la valeur de la dette par rapport à sa
possibilité de paiement. Et dans le cas des PPTE, les
possibilités de paiements sont faibles, et le marché le sait. Par
conséquent, la valeur de marché, souvent bien inférieure
à la VAN, traduit la véritable valeur du titre. Une dette
surestimée vaut un allègement réel d'autant moins
important. La VAN ne fait donc qu'actualiser une situation de fait en
permettant d'alléger des créances dans tous les cas
irrécouvrables. Enfin, l'avenir économique des PPTE est un peu
trop «rose » selon les pronostics des IFI, de sorte que les
allègements opérés sont bien en-deça de ce qu'ils
devraient être. Si les IFI pensent qu'un pays s'apprête à
connaître une forte croissance (du PIB8 ou des exportations)
sur les dix prochaines années, elles considèrent alors que ce
pays pourra sans trop de problèmes rembourser une partie d'autant plus
importante de sa dette. Dans ces conditions, le montant de la remise de dette
est réduit, au prorata de l'optimisme des projections. La
réalité étant tout autre, les niveaux d'endettement
redeviennent insoutenables à moyen, voire même à court
terme.
L'initiative connaît en outre d'autres problèmes
plus compliqués à résoudre que par le seul fait
d'augmenter les montants d'allègement ou le nombre de PPTE
déclarés, ou encore de laisser effectivement les populations
avoir le dernier mot quant aux conditionnalités à appliquer. Elle
relance effectivement la question de l'établissement d'un cadre de
négociation équitable pour la restructuration de la dette
souveraine des PPTE. Déjà, un tel cadre ne peut être
construit sans l'additionnalité des allègements aux autres formes
d'aides plus traditionnelles, comme l'aide publique au développement
(APD), notamment. Car des allègements comptabilisés en APD se
traduisent par une réduction des montants d'APD au prorata de ceux des
allègements. Or, c'est là la pratique comptable de quelques pays,
dans une certaine mesure. De plus, si la plupart des PPTE africains subit les
effets d'une dette à long terme avant tout bilatérale et
multilatérale, certains doivent encore rembourser des montants
très élevés à des créanciers commerciaux.
Or, malgré les demandes répétées des IFI,
très peu parmi ces derniers participent
8Produit intérieur brut.
à l'initiative, tandis que beaucoup attendent les
allègements pour réclamer leur dû. Le dilemme se pose donc
en matière d'engagements à long terme pour les participants, et
d'engagement «tout court» pour les non-participants.
Mais au-delà, le dilemme reste entier quant à
une option de désendettement soutenable puis de réendettement
viable en Afrique subsaharienne. L'initiative a voulu poser la première
pierre d'un cadre de négociation plus favorable au débiteur que
celui qui prévalait par le passé. Elle n'est cependant pas
allée au bout de sa logique puisque l'édifice n'est même
pas encore en travaux. Or, de nombreuses propositions pertinentes en la
matière tentent de se faire entendre depuis des années. La plus
ancienne et en même temps la plus actuelle est celle demandant que les
marchés financiers soient davantage réglementés. Cela
permettrait aux PPTE y ayant accès de se financer prudemment. Pour les
autres, un marché financier beaucoup sûr serait
créé. Certains titres seraient donc proscrits et la transparence
serait davantage de mise. Les solutions relatives à un tel
contrôle ne manquent pourtant pas. D'une réglementation
prudentielle pour les banques commerciales, à la création d'un
Tribunal international de la dette, en passant par une coopération
active des Etats, dont la finalité serait l'instauration d'une taxe sur
les transactions monétaires, les acteurs n'ont que l'embarras du choix.
Or s'il est vrai qu'une taxe de type Tobin9 pose le problème
de la nécessaire unanimité des Etats, afin que les monnaies ne
puissent se réfugier dans les territoires non taxés,
l'idée de l'institutionnalisation d'un Tribunal mondial de la dette ne
requiert pas autant d'efforts. Même si certains Etats refusent
d'être soumis à la législation internationale
afférente, celle-ci s'applique au moins pour ceux qui l'ont
acceptée. Les pays pauvres sauraient de fait à quel
créancier s'adresser.
Par ailleurs, le caractère rétroactif de ladite
loi pourrait largement contribuer au désendettement soutenable et
mérité de certaines populations. Car les «dettes
odieuses» en l'occurrence font parfois l'objet d'annulations tout aussi
«odieuses» compte tenu de leur caractère arbitraire. Si la
notion correspond à des dettes contractées aux seuls fins de
régimes totalitaires, et donc illégitimes, au détriment
des populations qui en subissent le remboursement aux dépens de leur
survie, alors il est aberrant que seuls quelques pays, comme l'Irak en 2003,
aient eu droit à une annulation. Pour tous les pays qui honorent la
mégalomanie de leurs anciens dictateurs depuis des années aux
dépens de
9 La taxe Tobin, suggérée en 1972 par le
lauréat du «prix Nobel d'économie » James Tobin,
consiste en une taxation des transactions monétaires internationales
afin de décourager la spéculation. Le taux choisi serait faible,
de 0,05 % à 1 %.
leur développement, en Afrique subsaharienne notamment,
la «dett e odieuse » doit être annulée.
Il semble à l'heure actuelle que les Etats ne soient
pas disposés à rendre justice à ces pays. Il est dans ces
conditions nécessaire de la faire appliquer par une instance impartiale,
tel que le Tribunal international de la dette. Car dans tous les cas, les
négociations sur quelconque allègement de dette ne peuvent
être menées unilatéralement par les créanciers. Et
le FMI tout comme la Banque mondiale sont des créanciers. Faire appel
à une instance instaurée à cet effet, comme le Conseil
économique et social de l'Organisation des Nations Unies (ONU),
constituerait là, en outre, une véritable politique de
désendettement soutenable et une véritable volonté de
donner les chances d'un réendettement soutenable afin d'espérer
atteindre les OMD. Car 2015 approche à grands pas, et peu de promesses
ont pour l'instant été effectives.
Mais pour eux et pour tous les autres pays d'Afrique
subsaharienne, les difficultés ne s'arrêteront pas là. Il
sera temps, et délicat, d'emprunter enfin un chemin de croissance
propre. Si les IFI tiennent à leur rôle de conseillers en
politiques économiques et sociales, il faudra qu'elles l'honorent
différemment. Les PPTE africains ont malheureusement davantage besoin de
consommer et de pratiquer le droit démocratique que d'exporter
massivement. La relance de la croissance par le biais d'une politique favorable
à la demande doit enfin précéder la promotion du secteur
privé. Les modalités d'application doivent être
laissées au libre arbitre des Etats souverains, et de leurs populations.
Car le processus participatif constitue la base de tout développement.
L'initiative PPTE semble l'avoir oublié. Il doit donc être
favorisé afin que toutes les décisions importantes, y compris
celles relatives à l'endettement, soient approuvées
démocratiquement. C'est là leur seule chance de
concrétiser les effets escomptés. Personne, mieux que l'Etat et
sa population, ne peut connaître les meilleures stratégies
à adopter en la matière. Les auteurs de l'initiative en faveur
des pays pauvres très endettés (IPPTE) et de l'initiative en
faveur de l'allègement de la dette multilatérale (IADM), doivent
le réaliser.
Au terme de cet historique et de ses projections, il s'agit de
savoir si l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés
(PPTE) est capable de combler les déficiences ayant mené à
l'échec des premières tentatives de gestion du surendettement
extérieur public en Afrique subsaharienne?
Car si l'initiative PPTE a symbolisé un premier pas
nécessaire et non négligeable vers une meilleure gestion du
surendettement africain (partie I), ses insuffisances récurrentes
démontrent la nécessité d'aller au-delà, afin de
construire un cadre institutionnel propice à un engagement mutuel
à moyen terme, au moins (partie II).
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