Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique( Télécharger le fichier original )par Daniel Iglesias Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004 |
c) Le raffermissement de la culture de la singularitéAucun parti politique ne peut échapper à la nécessité de produire et de diffuser des messages afin de fidéliser ses adhérents, et de peser de tout son poids social. Ainsi construits, ces messages forment un univers partisan qui offre des réponses spécifiques aux questions éventuelles qui peuvent naître autour du parti. L'efficacité politique de cette matérialisation de tous les éléments relatifs au parti repose alors sur son aptitude « à maintenir l'intensité des croyances »314(*) en fidélisant autour de caractéristiques majeures. La revendication du caractère singulier de l'APRA tant au niveau doctrinaire et qu'historique correspondait parfaitement à ce cas de figure. Cette prétention à l'originalité absolue a d'ailleurs toujours joué un rôle très important dans le travail pédagogique du parti d'Haya de la Torre. Poursuivant une tradition née dans les années 1920, l'historiographie apriste prétendait créer une persistance dans le temps de la pensée apriste, et celle de son leader, Víctor Raúl Haya de la Torre. Elle s'appuyait pour cela sur l'originalité doctrinaire de l'aprisme, et sa condition unique dans la constellation des pensées politiques des différentes gauches. Andres Townsend, dans sa préface du livre de Percy Murillo mettait en évidence la rupture que reflétait l'aprisme aux yeux du marxisme doctrinaire, qui selon lui s'était trompé car « l'expérience de notre temps donnait tort au prophète »315(*) mais qui trouvait son salut avec Haya de la Torre, car celui-ci « écrivit le chapitre que Marx oublia d'écrire, et que le socialiste hindu, Asoka Metha signalait comme la grande absente du philosophe du Capital : la théorie révolutionnaire pour les pays en voie de développement»316(*). Il corroborait de ce fait le caractère authentique de l'aprisme en soutenant son caractère purement latino-américain317(*), surtout dans sa dimension anti-impérialiste, désigné comme « un schéma de transition, à travers lequel les pays se libèrent comme nations et les classes exploitées rompent le cycle de leur exploitation »318(*). Célébré comme « le premier penseur politique d'Amérique latine qui formula une interprétation philosophique du continent »319(*), Haya de la Torre personnifiait la force d'anticipation d'un mouvement politique qui, le premier selon Townsend, devança de plusieurs années l'orientation idéologique prise par la sociale-démocratie européenne320(*). Se basant sur la portée des travaux sur l'unité économique du continent de Haya, Townsend voyait même en lui le pionnier de l'idée d'intégration régionale. Il le décrivait en père d'un « unionisme scientifique »321(*), qui bien avant les autres, avait défendu la nécessité d'une intégration économique et politique pour l'Amérique latine afin de se prémunir contre la menace impérialiste. Faisant appel à la précocité de la pensée d'un autre apriste, Antenor Orrego, il concluait sur le caractère singulier de l'APRA, en montrant que le terme de « peuple-continent » d'Orrego de 1939, devançait de bien des années, les analyses du CEPAL des années cinquante sur les perspectives en Amérique latine322(*). Cette prétention à l'unicité véhiculait aussi l'idée que l'APRA demeurait le seul parti politique péruvien avec un esprit de sacrifice que légitimait la dimension héroïque des luttes passées323(*). Ce courage cachait dès lors d'autres qualités morales324(*) et physiques qui caractérisaient les apristes, expressions fragmentés d'une virilité à toute épreuves qui contrastait avec « l'efféminement, l'inconstance et la mollesse des autres Péruviens»325(*) . La singularité de l'aprisme telle qu'elle était exposée par l'historiographie apriste, marquait la volonté d'exalter un passé, qui en faisait sa spécificité. Transmettant l'originalité doctrinaire et psychologiques de ses fondateurs, les apristes reprenait une vieille formulation qui depuis, reste comme un des symboles du parti : « Apriste, sois orgueilleux de ton parti ». Ils rendaient ainsi leur passé plus accessible, car plus facile à appréhender, puisque porteurs de réalités palpables. Conçu à la base comme devoir326(*), cette volonté de se faire respecter traduisait l'une des caractéristiques majeurs de l'aprisme : sa nécessité de cultiver son image social. Née de la pensée philosophique d'Haya de la Torre, négateur et continuateur de Marx pour Townsend, ce choix de répéter sans cesse l'originalité de l'APRA, montrait enfin que le parti, ne possédant ni bilan d'exercice du pouvoir, ni expérience dirigeante, ne pouvait se priver d'une exaltation de ses origines et de sa singularité. Car, elle lui conférait le statut d'organe bénéfique dans l'histoire péruvienne et latino-américaine de par ses réalisations. Voilà pourquoi, les apristes développèrent avec autant de zèle, le bilan politique et historique de leur leader. * 314 Ansart Pierre, op.cit., p.115 * 315 Townsend Andres, In Murillo Percy, Historia del APRA 1919-1945, op.cit., p.10 * 316 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10 * 317 « L'aprisme est le premier effort pour donner une réponse latino-américaine aux problèmes latino-américain », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11
* 318 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10 * 319 Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.9 * 320 « Non moins significative, pour confirmer l'anticipation apriste, a été la nouvelle direction prise para la social-démocratie européenne de l'après seconde guerre mondiale. En particulier lorsque lors du Congrès de Frankfort et du Programme de Bad-Godesberg, les partis socialistes européens se définissent comme `'partis du peuple'' et cessent d'être des `'partis de classe'', comme ils l'avaient été depuis leur fondation. », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.10 * 321 « ...un unionisme `'scientifique'' fondé sur une réalité économique, une politique anti-impérialiste, et un dénominateur commun démocratique, sont les apports de l'aprisme », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11 * 322 « Au schéma primordial de Víctor Raúl, il faudrait ajouter la perspicacité d'Antenor Orrego qui, forgea le terme majeur de `'peuple-continent''. Dans ce livre de 1939 que porte ce nom, Orrego, découvrit, quatorze ans avant le CEPAL, un terme qui concluait en disant que, que qu'à peine finit le processus de désintégration, commencera en Amérique latine, un processus corrélatif d'intégration. », Townsend Andres, In Murillo Percy, op. cit., p.11 * 323 « Nous autres, les apristes, qui avons su résister sans nous laisser intimider, sans demande de faveur, sans nous plaindre, nous sommes les seuls qui, par notre entourage, donnons un démenti à ces affirmations. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', Obras Completas, op. cit.. * 324 « L'aprisme est une école d'éducation de la volonté, et un grand redresseur pour les individus inconsistants. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit..
* 325 Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit.. * 326 « Notre devoir est de nous faire respecter où que nous nous trouvions. », Haya de la Torre, `'Carta a los prisioneros apristas'', op. cit.. |
|