Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique( Télécharger le fichier original )par Daniel Iglesias Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004 |
b) La défense de la qualité d'héritier légitime de González PradaDans la consolidation d'un langage idéologique, le poids de l'imaginaire tend parfois à devenir tel, que la revendication d'un penseur politique s'avère comparable à ce qui existe dans l'univers religieux. L'historiographie apriste autour de l'anarchiste péruvien, Gonzalez Prada, répond très bien à ce cas de figure. Tradition née dans les pages de la revue Amauta, ce travail de mythification fut longtemps le seul terrain gardé de l'APRA. Mais, la junte militaire commandée par Velasco Alvarado brisa cet ensemble monolithique303(*) en citant dans de nombreux discours des phrases célèbres de Prada, le rendant ainsi précurseur de la Révolution péruvienne de 1968. Contraint à réagir face à la dépossession de son « père spirituel », le parti se livra dès 1976, à une revalorisation du legs de Prada et de ses liens avec l'APRA. Percy Murillo le premier, commença par exhiber le rôle d'Haya de la Torre et de Luis Alberto Sanchez dans la sauvegarde la pensée de Gonzalez Prada. Il fit de ces deux chefs apristes, les seuls vrais héritiers304(*) de Prada, et balaya tous les prétendants à cet héritage en revendiquant la primauté des expériences apristes où préfigurait un hommage à l'illustre penseur péruvien305(*). Luis Alberto Sanchez quant à lui, poursuivit cette réappropriation en fustigeant les faux fidèles de l'apostol (apôtre), qui niait l'influence de celui-ci dans la consolidation de l'APRA comme organe politique structuré. Il étalait pour cela, l'omniprésence de références intellectuels de Gonzalez Prada dans l'organisation du Parti Apriste Péruvien, comme dans le cas des Jeunesses Apristes, qui s'étaient édifiés en reprenant les conseils moraux et politiques développés par l'anarchiste dans son ouvrage Horas de lucha306(*). Comme le montrait Luis Alberto Sanchez307(*), cette revalorisation de l'interconnexion entre l'APRA ou plutôt Haya, et Gonzalez Prada passait également par un travail d'exhibition de faits historiques, qui puissent prouver la primauté des apristes parmi ceux qui se revendiquaient de Prada. Voilà pourquoi, les compilateurs des OEuvres Complètes de Haya de la Torre inclurent dans ce livre, l'un des textes les plus connus du chef apriste, `'Mes souvenirs Gonzalez Prada'', préalablement publié en 1925 dans la revue argentine Sagitario (Sagitaire). Dans ce texte, Haya de la Torre dépeignait tout un ensemble de souvenirs autour de sa rencontre et son amitié avec l'auteur de Páginas libres (Pages libres). Il y décrivait dans une scénographie politique très détaillée ses rapports avec « une figure qui règne mais ne gouverne pas »308(*), dont la force d'évocation était telle, qu'il lui laissait après chaque discussion, « une impression de fraîcheur, de force, une grande envie de courir, comme après un bain... »309(*). Cette description détaillée du rapport du sage et du disciple, entre un jeune homme enthousiaste et un vieil homme, traduisait l'attirance grandissante du jeune étudiant Haya de la Torre pour la politique et la pensée sociale d'un homme, qui commençait déjà à le fasciner au point qu'il lui donnait envie de se battre pour la justice sociale310(*). Non seulement maître mais également ami311(*) et guide, les qualificatifs employés par Haya de la Torre cherchaient à faire de cette rencontre le point déterminant de son engagement politique. Avant tous les autres, sa filiation avec le penseur était bien plus qu'intellectuelle. Elle était personnelle, et naturelle, un signe émouvant d'une reconstruction imaginaire, où « l'intensité émotionnelle de la dépendance filiale »312(*) faisait de cet instant un rite de passage entre deux hommes qui possédaient en leurs mains la force du changement. Rencontre sourde aux dialogues coupés, la rencontre entre Haya de la Torre et Gonzalez Prada gardait par ses temps morts, et l'observation entre les deux acteurs, un univers symbolique où « les chantres du pouvoirs ont traditionnellement cherché à surmonter cette éventuelle indifférence et à engager chacun dans le mime, dans les langages corporels qui exhiberont les bons sentiments et aussi les inculqueront »313(*). Malgré le peu de dialogues, ce contact tel qu'il fut décrit par Haya, le transposait en héritier, au simple fait que ses entrevues avec Gonzalez Prada lui offrirent la possibilité de s'ouvrir au monde des idées, et de la lutte sociale. Son témoignage restait la seule trace directe d'un dialogue entre le maître et ses disciples présumés, ce qui faisait de Haya, la seule personne pouvant affirmer une paternité dans la longue liste des héritiers. Cette clarification de la condition de « fils spirituel » de Gonzalez Prada, témoignage à la clé, visait de ce fait à rappeler le caractère unique de l'APRA, et surtout, défendre son unicité, au moment même où le parti était confronté à une restructuration idéologique. * 303 « Durant de nombreuses années, l'aprisme défendit solitairement le legs révolutionnaire de Gónzalez Prada aux nouvelles générations. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26 * 304 « On a publié de nombreuses études sur sa pensée philosophique, et on lui a reconnu un place prépondérante dans la littérature péruvienne. Pour cela, il fallut batailler durement, et ceci est le mérite que l'on doit sans contestations attribuer spécialement à Haya de la Torre et à Luis Alberto Sanchez, qui sont les deux écrivains péruviens qui se sont le plus identifiés avec cet illustre précurseur des temps nouveaux. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26-27
* 305 « Son nom fut immortalisé dans les Universités Populaires que fonda Haya de la Torre dans les premières années de la lutte livrée en défense des classes opprimées. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.26 « Et pour s'il existe encore un doute sur la condition de précurseur de l'aprisme qu'a Gonzalez Prada, il suffirait d'indiquer que ce fut lui qui signala le chemin pour la formation du Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels que l'aprisme prit sous son aile afin de maîtriser un puissant mouvement politique qui avait combattu les vices et cicatrices que le maître combattit par le verbe et la plume le siècle passée. », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.27 * 306 « Beaucoup plus tard, on verra reproduite ou reflétée cette influence dans le Code de la Jeunesse Apriste de 1934 (FAJ), dont les premiers préceptes ordonnaient : `'prépare toi pour l'action, non pour le plaisir'' », Murillo Garaycochea Percy, op. cit., p.24
* 307 « Les élèves-ouvriers des Universités Populaires rénovaient leur promesse au Recteur absent : en réalité il le faisait à leur futur leader politique. », Sanchez Luis Alberto, Apuntes para una biógrafia del APRA, Los primeros pasos 1923-1931, Miraflores, , Mosca Azul Editores, 1978, p.24
* 308 Balandier Georges, op.cit. * 309 Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', Obras Completas, op cit., p.224 * 310 « Dans le mois, qui suivit sa mort, je sentis faim pour la première fois, et je commença à comprendre le douleur des autres. », Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', op cit., p.224 * 311 « Combien de fois dans mes amères journées de solitude et de privations, surgissait le souvenir de ce vieil ami, le seul que j'ai eu, sans qu'il le sache peut-être, à une époque dans laquelle il alluma en moi la foi dans une nouvelle vie », Haya de la Torre, `'Recuerdos Gonzalez Prada'', op cit., p.224 * 312 Ansart Pierre, La gestion des passions politiques, op.cit., p.76 * 313 Ansart Pierre, op.cit., p.75 |
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