CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL
Le changement paradigmatique concernant l'apprentissage «
stratégique » fait appel à la capacité du
scripteur/lecteur à gérer l'information et ouvre la voie à
l'application des pratiques
et techniques en planification et contrôle de projet
dans ce domaine. Dans ce traitement de l'information, l'on sait maintenant que
le caractère automatisé et peu conscient de certaines
procédures est essentiel pour libérer l'espace dans la
mémoire de travail (zone de la conscience).
Dans le domaine de l'apprentissage du français langue
maternelle, la mise en pratique de
ces connaissances ainsi acquises nécessite aussi
l'apport d'autres connaissances afin de ne pas emprisonner l'acte
éducatif dans un simple conditionnement, voire un dressage. Donc, pour
élever le processus d'automatisation des procédures
d'Anderson (1983) au niveau d'un processus d'autonomisation (Morin &
Brief, 1995), des connaissances sur la métacognition ainsi que
la contribution de différents travaux de recherche portant sur
la gestion mentale, l'apprentissage de l'abstraction (critères
utilisés au tableau 6) et la neuropédagogie sont aussi requises.
Dans le cadre de la présente recherche, nous ne nous
préoccupons que de la métacognition qui est un
élément crucial dans l'application des outils de planification et
de contrôle de projet, car elle rend possible la
remédiation (Meirieu, 1990) durant toute intervention
pédagogique mettant en vedette le scripteur/lecteur lui-même. En
attribuant un rôle prépondérant au scripteur/lecteur,
le processus d'autonomisation devient un enjeu clé dans le
processus d'apprentissage en écriture et en lecture.
Expliquée par Morin & Brief
(1995), cette évolution interne au scripteur/lecteur est,
dans notre recherche, facilitée par une médiation
instrumentée grâce aux outils de la gestion de projet.
Pour ce faire, les éléments du cadre conceptuel
suivant servent d'assises à l'organisation d'un apprentissage
expérientiel et authentique de la lecture et de l'écriture,
apprentissage ici assuré et encadré par l'application des
pratiques et techniques en planification et contrôle de projet dans
son déroulement. L'interface de cet apprentissage est une
planification pédagogique préparée à partir d'une
décomposition des compétences pour ainsi arriver à une
autononomisation telle que définie par Morin & Brief (1995) comme
étant « une collaboration affective et cognitive dans la prise de
possession corporelle d'une situation qui devient de plus
en plus consciente suivant les actions entreprises (p. 18)
». Cette situation (d'apprentissage) ne deviendrait, effectivement, de
plus en plus « consciente » aux yeux de l'apprenant qu'à
travers des « actions entreprises » grâce à un
enseignement systématique exploitant les différents types
de connaissances selon la psychologie cognitive;
enseignement qui vise à faire apprendre à penser dans le
cadre d'une organisation d'expériences selon les principes de
planification et de contrôle de projet.
Selon nous, un enseignement de cet ordre aurait
besoin d'un encadrement méthodologique qui sera
présenté selon la définition de Raynal (2003)
à la section intitulée
« définition du domaine » du présent
chapitre. Ainsi, ce cadre permet un enseignement/apprentissage explicite
mettant en jeu le développement de la conscience du
scripteur/lecteur par la voie de la métacognition. Afin d'illustrer un
tel cheminement, notre chapitre sur le cadre conceptuel présente les
fondements théoriques de la gestion de projet, du
processus d'écriture et de lecture, de la
psychologie cognitive et de la métacognition, tout comme du
processus d'autonomisation, dans le contexte scolaire.
2.1 LA GESTION DE PROJET
Afin de comprendre le domaine de la gestion de projet, nous
allons d'abord observer le terme « projet ».
Cité par Villemain (1991), il couvre trois domaines.
Premièrement, il s'agit d'une fonction vue comme le pilotage d'un
programme de réalisation (ensemble d'actions). Deuxièmement,
il fait référence au programme de réalisation
lui-même. Finalement, par extension, il porte sur l'objet final de la
réalisation, encore sous sa forme virtuelle. La gestion
de projet appliquée en salle de classe peut toucher
à ces trois dimensions du concept « projet »
en ce qui concerne les deux interfaces
apprentissage/enseignement, surtout par l'aspect de la planification et du
contrôle de projet qui, selon Amghar (2001), est un « processus par
lequel sont programmées les actions à réaliser » (p.
29). « Ces actions programmées » correspondent
à l'idée de l'autononomisation de
l'apprentissage en classe de français, car l'autonomisation suit
la logique du concept piagétien5 que prolongent les
travaux de Morin & Brief (1995), couplée à l'idée
de la construction des connaissances suivant un processus, une suite
d'actions.
Dans les lignes qui suivent, nous allons mettre la gestion de
projet en contexte d'une salle de classe avec tous les éléments
théoriques permettant ce parallélisme.
5 « Continuité entre les formes
d'adaptation biologique les plus élémentaires et les
démarches de pensée les plus élaborées (Crahay,
1999, p. 177) »
2.1.1 Gestion de projet en classe de français langue
maternelle
Ainsi, dans une perspective à long terme, la
suite d'actions qu'entreprend un
scripteur/lecteur du premier cycle du secondaire (qui doit
effectuer le saut conceptuel entre la maîtrise du code linguistique
d'ordre de la phrase à celle d'un outil de pensée,
d'identité et de liberté (MEQ, 2003/2004) part du point où
l'apprentissage consiste en des observations et des imitations, pour
aller vers la formation d'une identité rédactionnelle
et énonciative propre (Guibert, dans Lebrun & Paret,
1993), où s'esquisse une représentation de soi (ou concept de
soi selon Doly, dans Grangeat 1997)
qui influence la motivation intrinsèque, moteur
interne de l'autonomie (Barbot & Catamarri, 1999). En
réalité, ce cheminement requiert du scripteur/lecteur la
capacité
de prendre conscience de chacun des pas de cette construction
des connaissances. Il sera confronté aux conflits socio-affectifs mis
à profit grâce à la métacognition. D'une situation
problème à l'autre, il apprendra à développer
différentes stratégies qui interviennent directement sur les
facteurs de sa motivation intrinsèque, soit son système
de conception et de perception (selon la figure 1), surtout en ce
qui concerne la tâche à réaliser.
Cela dit, pour une formation à visée
autonomisante, cette perspective à long terme doit être prise
en considération. La problématique générale est
d'ordre pratique
et non théorique, car c'est une « gestion »
à long terme qui trouve son compte dans ce cheminement. Devant la
nécessité de changement de cap en éducation, il existe
déjà plusieurs solutions proposées en terme de
théories et de modèles pédagogiques, mais
ces propositions ne sont pas dirigées vers
des applications pratiques d'ordre méthodologique et
métacognitif permettant d'en profiter, le plus possible et en
toute souplesse, vu l'hétérogénéité de
la situation scolaire actuelle, surtout en termes du niveau des acquis
des apprenants en salle de classe.
Autrement dit, des deux axes de préoccupations
pédagogiques, l'action et la réflexion, les nouvelles avenues
pédagogiques disponibles n'ont pas vraiment répondu
au premier, soient les moyens concrets d'action. De la
théorie à la pratique, selon Grangeat (1997), la nouvelle
logique régulatrice d'apprentissage et d'enseignement a maintenant
besoin d'outils ou de dispositifs pédagogiques pour sa mise en
oeuvre puisque « pour apprendre, il faut apprendre comment faire
pour apprendre, qu'il ne suffit pas de faire et de savoir, mais qu'il faut
savoir comment on fait pour savoir et comment on fait pour faire» (p.
19).
Ce besoin est d'autant plus éclairé par la
révélation du profil des bons et mauvais scripteurs/lecteurs.
Depuis 1977, des études comparées menées
auprès de deux populations de scripteurs/lecteurs
opposées, ceux qui échouent et ceux qui
réussissent, tout comme des recherches effectuées sur les
enfants doués et les différences entre novices et experts
(Wong [1985]; Cullen [1985]; Bouffard-Bouchard & al. [1984], dans Grangeat,
1997) rendent compte que l'inefficacité des efforts des
scripteurs/lecteurs en échec tient d'une déficience d'ordre plus
métacognitif que cognitif (Doly [1997] dans Grangeat, 1997). Les
jeunes veulent réussir mais sont démunis. « Ils ont
des
connaissances et des compétences mais ne savent pas les
utiliser ni les transférer.... Ils
ne savent pas ce qu'ils savent (Wong [1985], dans Grangeat, 1997)
». Cette conscience
de ce qu'on sait et de ce qu'on ne sait pas est
d'ailleurs donnée par Rochex ([1994,1995], dans Grangeat, 1997)
comme l'une des caractéristiques des enfants de milieux
défavorisés qui réussissent. Outre la question des
connaissances, tout comme
les mauvais gestionnaires de projet, les scripteurs/lecteurs
en échec ne savent pas non plus mettre en oeuvre les processus de
contrôle afin de guider leurs propres activités vers le but,
de façon autonome et avec plus de chances de réussite. Savoir ce
qu'on sait,
et ce qu'on ne sait pas, ainsi que savoir contrôler son
propre processus d'apprentissage sont là les caractéristiques des
scripteurs/lecteurs en réussite scolaire qui sont à la fois
« autonomes et transféreurs (Grangeat, 1997)
». Ce sont là deux aspects de la métacognition,
concept qui sera traité plus loin. Ce concept est souvent repris par
son fondateur, Flavell ([1985] dans Grangeat, 1997) telle « la
cognition sur la cognition ». Yussen ([1985] dans Grangeat, 1997, p.
18) a été parmi les premiers à la définir par la
suite comme : « une activité mentale pour laquelle les
autres processus mentaux deviennent objet de réflexion ».
Dans cette perspective, les pratiques et techniques en gestion
de projet offrent, selon nous, un cadre méthodologique et
métacognitif dans lequel il sera permis aux scripteurs/lecteurs
d'évoluer tout en apprenant à orchestrer les moyens mis
à leur disposition, donc, développer leur autonomie quant aux
choix à faire afin de réussir. Ce cadre
méthodologique mentionné est possible grâce
à la coexistence de deux
conceptions en management (ou gestion) de projet selon Hazebroucq
& Badot (1996) :
l'approche « mécaniste » où
prédominent les facteurs dits « hard » et
l'approche
« postmoderne » où prédominent les
facteurs dits « soft ». C'est ce que nous allons voir plus loin
dans ce qu'appelle Raynal (2003) une « méthodologie de
résolution de problèmes » où « la clairvoyance
prévoit une place à accorder à la méthode et aux
outils
de résolution de problème » (p. 230). Nous
voyons ici un lien entre l'application de la résolution de
problème tant en écriture (Hayes & Flower, 1980), et en
lecture (Giasson,
1990), qu'en gestion. Comme la résolution de
problème est reconnue par plusieurs auteurs comme une
méthodologie en soi, elle favorise le développement des
démarches intellectuelles afin de contrer la carence d'une trop
grande importance accordée à l'acquisition des connaissances
à l'école. Elle permet aussi une médiation entre
les modes de représentations, de conceptions et de construction du monde
de chacun des apprenants tel que proposée par Grangeat (1997)
selon les principes de la « zone proximale de
développement6 ».
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