1.3 SITUATION PARTICULIÈRE DE LA CLASSE DE
FRANÇAIS LANGUE MATERNELLE
Dans notre classe, outre les scripteurs/lecteurs de la 2e
secondaire, nous avons reçu des jeunes scripteurs/lecteurs de la
1re secondaire qui arrivaient du primaire. Nous avons
constaté
que la plupart des jeunes avaient déjà de
mauvaises habitudes très difficiles à changer en
écriture et en lecture. En fait, en tant que scripteurs/lecteurs, les
jeunes avaient l'habitude de
se jeter à la tâche sans recul, sans anticipation,
sans effort de planification. Ils géraient leur tâche au hasard et
abandonnaient très vite devant l'échec ou les exigences du
travail. De plus,
ils étaient très dépendants de
l'aide extérieure (Grangeat, 1997). Selon ces observations,
plusieurs concevaient les buts de l'école en terme
d'évaluation et non d'apprentissage : peu importe ce qui a
été fait, seule LA note portée au bulletin comptait.
D'ailleurs, la question la plus fréquente devant les tâches
proposées était : « Est-ce que ça compte? ».
À leurs yeux, une tâche qui « comptait » était
celle qui générait une note au bulletin; cela veut dire
le résultat d'environ un ou deux travaux par étape. Le reste du
temps, ils ne voyaient pas la nécessité de travailler, de faire
des efforts. Toujours selon nous, qui étions l'enseignante-chercheure,
ce type de comportement renforçait leur conception de
l'intelligence : il n'y avait donc pas de construction ni du savoir, ni
du savoir-faire (tel que l'exige l'école et le marché du
travail), ni
du savoir-être. Pour eux, il n'y avait rien à
faire, « le français est difficile, « plate » et
même inutile », de plus, être bons ou « poches
» en français, pour ces jeunes, était un fait qui
persistait depuis longtemps et ne pouvait être changé.
Devant de telles situations, une «
déprogrammation » ou « déconditionnement »
selon Barbot & Camatarri (1999) est nécessaire. La prise de
conscience est à ce stade cruciale, car c'est l'élément
déclencheur de tout changement chez l'apprenant, « plus une
règle de production est générale, plus elle suppose une
prise de conscience du sujet pour permettre son adaptation aux conditions
nouvelles de l'environnement » (Depover & Noël, 1999, p. 26).
Selon Grangeat (1997), la prise de conscience est « un processus
qui intervient après coup,
pour opérer une reformulation conceptualisante des
procédures mises en oeuvre pour atteindre un but (p. 26) ».
Afin d'amener les jeunes à prendre conscience de leur propre état
d'apprentissage en agissant sur leur perception quant à la
valeur, les exigences et la contrôlabilité des tâches
proposées (facteurs de la motivation scolaire selon
Tardif (1992/1997), nous avons dû mettre en branle tout un
système coordonné de méthodes et d'outils
pédagogiques (que nous développons dans notre chapitre de
méthodologie) dans un cadre méthodologique permettant un
espace-problème qui respecte la zone proximale de
développement1 (Vygotsky, 1985, cité dans
Grangeat, 1997) des scripteurs/lecteurs, et ce, inscrit dans une logique
de régulation. Le recours à la métacognition facilite
cette action de soi
sur soi : amener le scripteur/lecteur à
réfléchir et à savoir comment mener ses activités
dans la construction du Savoir. Un cheminement dont la priorité
est exactement à l'inverse de l'ancienne logique (de
contrôle externe) que résume Vaideanu ([1987] cité
dans Brunswic,
1994, p. 59) comme suit :
Triade classique Triade nouvelle
1.
|
Connaissances
|
1.
|
Attitudes et compétences
|
2.
|
Savoir-faire
|
2.
|
Savoir-faire
|
3.
|
Attitudes et compétences
|
3.
|
Connaissances
|
En effet, ce renversement des priorités n'est
possible qu'avec une prise de conscience
des scripteurs/lecteurs quant à leur propre processus
d'apprentissage, car ils ont été formés
(conditionnés,programmés) selon l'esprit de la
triade classique d'où l'affirmation de Barbot &
1 Cette zone représente ce que l'apprenant
n'est capable de faire qu'en étant guidé par une personne plus
compétente tout en ayant les connaissances et les habiletés de
base sur lesquelles il doit s'appuyer.
Camatarri (1999, p.51) : « L'assimilation qui se produit
dans l'apprentissage est un processus
de construction et non de reproduction». La
nouvelle triade illustre le point de départ du cheminement de
l'apprentissage : le scripteur/lecteur lui-même. L'acte
pédagogique connu selon l'ancienne logique de contrôle
(conformité des connaissances acquises aux objectifs
préétablis) doit céder sa place à la
séquence évaluation diagnostique différenciation
pédagogique médiation différée (Depover &
Noël, 1999). C'est ainsi que le MEQ (2003/2004) dans le cadre
d'une réforme majeure de son système éducatif,
suscite « une réussite à la mesure de chacun
», une formation centrée sur le développement
des compétences, et surtout, un système d'évaluation au
service de l'apprentissage et non évaluer pour évaluer comme
auparavant. En d'autres mots, une telle souplesse nécessite un
enseignement différencié qui a besoin d'une méthodologie
à la fois universelle et adaptable.
Or, ce sont là deux caractéristiques
déjà mentionnées de la gestion de projet dont les
pratiques
et techniques serviront de cadre méthodologique et
métacognitif à l'apprentissage des scripteurs/lecteurs.
En classe de français, peu importe
l'efficacité éprouvée des différentes
méthodes de lecture, celles-ci ne peuvent rien opérer chez le
scripteur/lecteur si ce dernier n'a pas le goût
de la lecture (Giasson, 1990). Agir d'abord sur les facteurs de
sa motivation intrinsèque (tels
les buts de l'école, l'intelligence et les
systèmes de perception selon Tardif, 1992/1997), sur son attitude afin
de l'engager dans la tâche, revient à la mise en place
d'une situation d'apprentissage significative. Avec toutes les nouvelles
méthodes et démarches proposées pour le milieu
telles l'enseignement stratégique, l'enseignement par projets,
l'apprentissage coopératif, etc., la mise en place d'outils
méthodologiques en vue de leur mise en oeuvre serait
possible grâce à l'application de la gestion de
projet en salle de classe. Cette nouvelle façon de faire en gestion
permettrait la coordination et l'orchestration de toutes ces nouveautés,
donc
de maximiser les moyens afin de rendre les tâches
d'apprentissage plus accessibles et intelligibles aux yeux des
scripteurs/lecteurs du premier cycle au secondaire.
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