2.5.3 Le processus d'autonomisation et la
métacognition
La relation fonctionnelle entre l'autonomie de l'apprenant
et ses connaissances sur
les procédures (task knowledge) a
été établie surtout dans l'apprentissage des langues
(Wenden, 1995). Selon Barbot & Camatarri (1999, p. 23), la priorité
donnée à la tâche, dans les pays anglo-saxons, met
l'accent sur une approche métacognitive. « Il faut distinguer
la tâche ou objectif visé (target task) des tâches
pédagogiques (pedagogical target) qui sont des sous-objectifs :
l'apprenant se trouve face à une situation de problème qu'il doit
résoudre en utilisant des stratégies ».
L'objectif visé (target task), dans les
classes des scripteurs/lecteurs ayant participé à notre
recherche, est l'autonomisation du scripteur/lecteur à travers un
encadrement dont l'importance n'est pas d'avoir une méthode
prédéterminée, mais de tenir compte
de chacun des scripteurs/lecteurs et de trouver les
moyens qui favoriseraient son développement vers l'autonomie
affective, gardant à l'esprit le processus par étapes qui
le caractérise (Morin & Brief, 1995). Les
tâches pédagogiques (pedagogical target) font partie
d'un ensemble d'expériences à faire vivre, lesquelles sont
organisées grâce aux techniques empruntées à
la planification et contrôle de projet. La mise en oeuvre et
l'aboutissement du projet aux résultats voulus sollicitent
l'autonomisation qui, selon Morin & Brief (1995), passe par une
évolution psychique par enrichissement composée
de quatre phases : l'auto-initiation,
l'auto-intégration, l'autoréalisation et l'autonomie
intégrale. Le lien avec la gestion de projet se fait ici au constat de
la présence d'un début, d'une fin, d'un objectif, d'une
intention, d'un processus, etc.
Dans le tableau qui suit, nous avons pu établir,
à la première colonne, le lien entre ces concepts clés
à partir du discours de chacun des scripteurs/lecteurs grâce aux
trois dimensions fournies par Grangeat (1997) que sont la personne, la
tâche et les stratégies.
La deuxième colonne représente le lien
avec les sept indicateurs d'inférence de la métacognition
fournis par le même auteur. La troisième colonne traduit
les quatre phases du processus d'autonomisation de Morin & Brief (1995) et
ensuite, la quatrième colonne présente le lien avec la gestion de
projet.
CONCEPTS Métacognition
(Grangeat, 1997) Processus
d'autonomisation
AXES INDICATEURS Le scripteur/lecteur est (Morin
& Brief, 1995)
D'ANALYSE CONSCIENT: Évolution psychique
par
|
Gestion de
projet
|
Lien avec
Gestion de projet
|
PERSONNE
|
ÉNONCIATION
|
des procédures de façon chronologique (description
chronologique - niveau empirique)
|
Auto- initiation
|
Prédisposition
Orientée
|
OBJECTIF
GESTION DES RESSOURCES
RÉGULATION
ÉVALUATION
PLANIFICATION CONTRÔLE
|
DÉCENTRATION
|
du savoir comme objet (le
soi vis-à-vis le savoir)
|
Auto-intégration
|
Durée
+ début
|
de l'apport de l'enseignante
|
de l'apport des pairs
|
TÂCHE
|
RÉFÉRENCIATION
|
Outils (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
+ fin
+ résultat
|
Processus (pendant
l'exécution d'une tâche antérieure)
|
Ens. (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
Pairs (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
PERCEPTION DES ÉLÉMENTS IMPLICITES
|
Buts
|
Auto-réalisation
|
+ But
+ Visée
|
Processus
|
Performance
|
STRATÉGIES
|
APPRÉCIATION (évaluation)
|
Soi (pouvoir d'apprendre)
+/-
|
+ Effet
|
Outils
|
Ens.
|
Pairs
|
ADAPTATION
|
(régulation/contrôle)
|
+ Objectif
|
ANTICIPATION
|
Planification opératoire
|
Autonomie
|
+ Intention
+ Dessein
|
enrichissement
Tableau 3. Lien entre les indicateurs
détaillés de la métacognition et la gestion, à
travers
intégrale
l'autonomisation
Au premier stade, celui de l'énonciation, nous constatons
que le scripteur/lecteur
a des comportements qui correspondraient à la
description de l'auto-initiation selon Morin & Brief (1995). En effet,
« Dans l'auto-initiation, on se situe dans le domaine du hasard,
c'est-à-dire dans un réel sans cadre réfléchi.
L'enfant prend contact avec tout ce
qui est à portée de sa main et de façon
indistincte. [...] Tout se passe dans l'instantané,
l'indistinct (Morin & Brief, 1995, p. 171)
». À ces mots, nous revoyons le scripteur/lecteur qui,
aux yeux de Grangeat (1997) « ne sait pas ce qu'il sait » et
gère sa tâche « au hasard ».
De cette prédisposition orientée, il
évoluera vers la phase suivante, vers la décentration de
sa personne. Une évolution se manisfesterait ensuite par une
sorte d'auto-organisation caractérisée par une durée et
un début, l'équivalent du stade de la décentration de la
personne selon Grangeat (1997). Le scripteur/lecteur, à nos
yeux, s'auto-organiserait dans le monde de l'écriture et de la lecture
et amorcerait une auto- structuration.
Commence une autre phase où prédomine la
conscience d'une fin et d'un résultat : la
référenciation. Une fois détaché de sa
personne, le scripteur/lecteur apprendrait à se centrer sur la
tâche. Il « sent son Moi s'affirmer et établit ses
limites (Morin & Brief, 1995, p. 173) », entre autres, avec le savoir
et les autres acteurs
de ce milieu tels les pairs et l'enseignant. Toujours selon ces
auteurs, dans l'évolution
de ce stade, « la personne s'inscrit son Moi au
monde, elle se prend en main dans le moment présent [...] et se
singularise ». Nous reconnaissons dans ce développement
l'équivalent de la l'auto-intégration de Morin
& Brief (1995). Il établirait une relation avec son environnement
et d'expérience, il saurait s'y référer en termes
d'outils à se procurer ou d'aides à solliciter comme les
pairs et l'enseignant. En parallèle, nous pouvons aussi rapprocher
ce stade à la conscience des ressources qui va donner
naissance à une gestion plus habile plus tard. Le
scripteur/lecteur en action serait capable de percevoir des
éléments implicites dans différentes situations
d'apprentissage. Devenu habile à reconnaître les effets et
à en évaluer, il commencerait à bien maîtriser le
monde qui l'entoure. Selon notre recherche, celui-ci deviendrait en
quelque sorte un gérant de projet dans ses tâches quotidiennes
de pilotage dont parle Amghar (2001).
Au stade de la perception des éléments
implicites, nous pouvons supposer qu'avec l'évolution psychique, le
scripteur/lecteur serait capable d'établir un objectif qui serait plus
personnel qu'un but ou une visée. De là, il entrerait dans le
développement des stratégies touchant aux but, aux processus
et à la performance. Ceux sont là les
caractéristiques du stade de l'auto-réalisation de Morin
& Brief (1995). Nous y entrevoyons un scripteur/lecteur assez habile
qui serait capable de gérer les tâches d'écriture
et de lecture avec assez de recul. Expérimenté, il
apprendrait à être
« stratégique » et construirait une panoplie
de stratégies par lesquelles, il acquerrait une souplesse qui lui
permettrait de s'ajuster, de s'auto-réguler, de s'adapter. Ce sont
là nos pistes d'analyse afin de vérifier si le
scripteur/lecteur avait atteint les stades de l'appréciation et
de l'adaptation, l'équivalence de la phase de
l'auto-réalisation selon Morin & Brief (1995).
Enfin, au stade de l'anticipation, le scripteur/lecteur serait
capable de se donner
un dessein. L'intention d'action lui serait propre, car il
serait capable d'anticiper et de se donner une planification opératoire
vers la réussite. À ce moment, selon Morin & Brief (1995),
la personne est capable de se débrouiller, de défendre ses
idées, de se donner des règles de vie, en l'occurrence
d'analyser son vécu en se projetant sur l'avenir par les
interactions créées avec le milieu. De plus, ces auteurs
affirment que cette personne pourrait « entreprendre un projet et
négocier avec les autres en coopérant. » C'est à ce
stade que s'opérerait un amalgame des trois dimensions affective,
sociale et cognitive. C'est ce que nous voulons ultérieurement
vérifier auprès de chacun des scripteurs/lecteurs dans notre
recherche.
Ainsi, les indicateurs de Grangeat (1997), tel que
montrés au tableau 3, permettaient d'établir un lien
entre les concepts clés de notre recherche : la
métacognition (Grangeat, 1997) et l'autonomisation (Morin & Brief,
1995). Il s'agit, en effet, d'un mécanisme constructif, où
ces éléments sont étroitement liés les uns
aux autres dans un processus continuel. Dès qu'il y a
métacognition, il y a apprentissage réflexif. Un
scripteur/lecteur capable de réfléchir sur ce qu'il fait, de
« com-prendre» -
de prendre avec soi - des connaissances de tout
ordre, serait apte à, graduellement, devenir un «
système qui a en soi, ou établit pour lui-même sa
propre validité ou les règles de sa propre action »
aux yeux de Barbot & Camatarri (1999, p. 25). Celui-ci serait
aussi capable de gérer son apprentissage comme son propre projet et non
celui de l'enseignant. Selon Meirieu & al. (1987, p. 14) «
c'est le moment où le projet de l'enseignant et celui de le
scripteur/lecteur se rencontrent, où ils construisent un projet
commun auquel ils oeuvrent ensemble, qui leur permet
de donner du sens aux matériaux hétéroclites que
proposent les programmes en articulant ce qui devient
véritablement, alors, des connaissances ».
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