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Planification et controle de projet, une aide méthodologique et métacognitive dans le processus d'autonomisation de certains lecteurs/scripteurs

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par Hiên-Minh Lê (Thi)
Université du Québec en Outaouais - Maîtrise en gestion de projet 2005
  

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2.5.2 Le processus d'autonomisation et l'automatisation

L'autonomisation des opérations d'apprentissage, telle que présentée par Grégoire

(dans Depover, & Noël, 1999) tire son origine de deux aspects importants de la théorie

de la représentation des connaissances présentée par Anderson8 : celui de la procéduralisation et celui de l'enchâssement des connaissances déclaratives dans les règles de production de niveau général ou spécifique (les règles de production spécifiques sont appelées habiletés9) selon les situations. Grâce à la psychologie cognitive, l'on sait que le caractère automatisé et peu conscient de certaines procédures

est essentiel pour libérer l'espace dans la mémoire de travail (zone de la conscience).

D'une part, plus les procédures sont automatisées, plus il y a de l'espace dans la conscience pour les procédures de haut niveau relatives au raisonnement et à la prise de décision. D'autre part, les règles de production générales supposent une prise de conscience chez l'apprenant et lui permettent de s'adapter aux nouvelles situations. Les règles de production spécifiques étant propres à des situations spécifiques, elles sont alors très stéréotypées et demandent peu de conscience de la part du sujet. Celles-ci peuvent être déclenchées de manière quasi automatique. Ce sont là deux niveaux de conscience où sont déployées les stratégies dites respectivement indirectes (métacognitives) ou directes (cognitives). Ceux sont ces mêmes stratégies que notre recherche vise à vérifier à travers le discours des scripteurs/lecteurs dans le pilotage de leur projet d'écriture ou de lecture. Nous allons vérifier dans notre analyse si ces stratégies les avaient rendus autonomes dans leurs choix à faire tout au long de la réalisation des tâches.

8 La théorie ACT (Contrôle Adaptatif de la Pensée), de l'anglais Adaptative Control of Thought au début des années 80

9 Traduction de l'anglais « skills ».

Toutefois, les procédures spécifiques ou règles de production spécifiques (habiletés) ne sont pas immédiatement automatisées. Selon Anderson (1983), ces habiletés sont acquises seulement à un troisième stade, le stade autonome. À ce niveau,

le contrôle conscient sur le comportement disparaît presque totalement comme dans le cas d'un expert qui a de la difficulté à expliquer à autrui comment faire. C'est par exemple ce que nous constatons lors de la lecture des mots par un lecteur expert. « Le décodage échappe en grande partie à la conscience, au point de ne pouvoir être inhibé :

le lecteur expert ne peut s'empêcher de lire les mots qui lui sont présentés (Depover & Noël, 1999, p. 27) ». Les pratiques et techniques en gestion des ressources une fois à ce point maîtrisées pouraient libérerer de l'espace pour l'assimiliation du contenu de façon ordonnée. Elles permettraient ainsi ce qu'appelle Tardif (1992/1997) « l'encodage des connaissances dans la mémoire » grâce à son aspect de « procéduralisation » qui mettrait

à profit les étapes des processus d'écriture et de lecture, tel que nous l'avons expliqué à

la section 2.2. C'est le cas de l'outil que nous avons créé intitulé Le processus d'écriture que représente la figure 10.

Le tableau ci-dessous résume l'automatisation des habiletés et présente le lien entre les comportements du scripteur/lecteur avec les trois stades expliqués par Anderson (1983). L'on y constate l'absence de la représentation du Moi dans ce cheminement, donc une impasse à l'autonomie intégrale.

STADE

FONCTIONNEMENT DE L'APPRENANT

NIVEAU D'APPRENTISSAGE

COGNITIF

Pas encore de règles de production

Traduction des nouvelles connaissances déclaratives en représentations de conditions et d'actions.

Contrôle conscient de l'action

Le scripteur/lecteur dépense

beaucoup d'énergie et d'effort

(ressources cognitives) pour réussir

Ex : Apprendre à lire les lettres et les mots

Apprendre à tracer les lettres

ASSOCIATIF

Procéduralisation (séquence d'actions conscientes de plus en plus automatiques, c-

à-d. de moins en moins conscientes

Performance

Amélioration de la performance

Le scripteur/lecteur dépense moins d'énergie et d'effort pour effectuer la tâche

Ex : Lecteur novice

Scripteur novice

AUTONOME

Aboutissement du stade précédent

Habiletés sur pilote automatique

Rapidité et précision dans l'exécution de la tâche

Niveau expert

Ex : Lecteur expert

Scripteur expert

Tableau 1. Les trois stades dans l'apprentissage des habiletés d'Anderson (Depover & Noël,

1999, p. 27)

Selon ce tableau, un scripteur/lecteur entraîné à la Anderson accèderait difficilement aux sauts conceptuels lui donnant accès aux processus de haut niveau, tels

les processus d'élaboration et métacognitifs en lecture ainsi qu'à la pensée créative en écriture. En effet, le stade le plus avancé d'Anderson laisse voir un scripteur/lecteur

« expert » qui aurait libéré de l'espace dans sa mémoire sans être outillé pour accéder aux fonctions plus sophistiquées dont son cerveau est capable.

L'automatisation des règles (procédures) de production est en fait un processus mettant en jeu le degré de procéduralisation des habiletés spécifiques, en plusieurs phases, sans une visée autonomisante, c'est-à-dire sans une évolution du Moi du scripteur/lecteur ainsi impliqué dans la tâche, vers les trois nouvelles postures de réussite pour ainsi dire globales. Ce qui représente, pour le scripteur/lecteur, aux yeux

de Grangeat (1997, p. 96), un manque de :

1- La capacité d'appliquer, de réinvestir, de transférer dans des contextes variés une connaissance acquise par ailleurs (Develay, 1992; Tardif, 1992).

2- La capacité d'user de son intelligence en dehors de la présence de son éducateur (Hameline & al., 1995).

3- La capacité de se détacher de l'habitus, des cadres de pensée implicites, de tout ce qui semble aller de soi (Perrenoud, 1994).

En revanche, l'autonomisation, comprise comme un processus visant l'autonomie intégrale selon Morin & Brief (1995), répond aux nouvelles exigences de réussite justement parce qu'elle vise cette évolution interne du Moi du scripteur/lecteur à chaque confrontation avec une situation nouvelle : « L'autonomie, vue dans son ensemble, n'est (...) pas une étape dans le développement intellectuel et social de l'individu, mais un processus continu de prise en charge au sein du milieu qui l'anime »

(p. 181). Du moment où le scripteur/lecteur devient conscient de son objectif d'apprentissage (niveau plus global que les habiletés spécifiques), le processus d'autonomisation évolue respectivement de la phase d'auto-initiation à celle de l'auto- régulation puis l'autoréalisation pour atteindre l'autonomie affective intégrale (Morin &

Brief, 1995). À cette étape, le scripteur/lecteur est autonome fonctionnellement

(niveau corporel), cognitivement (niveau gestuel10) et socialement (niveau de l'identité

du Moi). Ces phases, comparées aux stades d'apprentissage des habiletés d'Anderson ajoutent davantage le rôle d'acteur conscient de celui-ci. En fait, au tableau 1, le « stade autonome » d'Anderson équivaut à la « phase de l'autoréalisation » de Morin & Brief (1995). Le processus d'autonomisation, contrairement à celui de l'automatisation, tiendrait en considération la conscience identitaire du Moi du scripteur/lecteur, soit la dimension sociale et affective de l'acte d'apprendre, deux versants de la pyramide de la confiance en soi.

Le tableau suivant illustre la différence fondamentale entre la théorie d'automatisation d'Anderson et celle portée sur le processus d'autonomisation de Morin

& Brief (1995) : le stade final d'Anderson ne représente qu'un début chez Morin & Brief. Dans ce contexte, l'utilisation à portée métacognitive des pratiques et techniques

en planification et contrôle de projet faciliterait ainsi l'autonomisation et non l'automatisation. Elle ferait appel à la conscience du scripteur/lecteur tout au long de

la réalisation des tâches en ce que l'on peut parler de pilotage vers l'objectif fixé.

10 Selon Brief (1983), il est possible de distinguer 10 phases progressives qui vont de l'émergence de la conscience à l'aboutissement de l'acte intentionnel. Elles sont caractérisées par des types de comportement reflétant une conscientisation

graduelle de l'action.

L'AUTOMATISATION

selon Anderson (1983)

PROCESSUS D'AUTONOMISATION

selon Morin, J. & Brief, J.-C (1995)

But visé : l'autonomie intégrale (ou affective)

Stades

Phases

Caractéristiques

COGNITIF

Phase de l'auto- initiation (p.169)

· Aucune prise de conscience de ses besoins ni de ses désirs

· Expression de soi sans limite ni contrôle

(accomplir les choses impulsivement)

· Désorganisation

· Pas de structuration mentale pour distinguer le Moi du non-Moi

ASSOCIATIF

Phase de l'auto- intégration (p. 173)

· Prise de conscience du Moi

· Volonté de faire les choses SEUL

· Différenciation avec autrui

· Contrôle

AUTONOME

Phase de l'auto- réalisation (p. 175)

· Utilisation des ressources personnelles pour établir des relations avec les autres

· Tenir compte de l'autre, échanger

· Ajustement progressif (adaptation), développer l'écoute

· Oriente son projet en élaborant certaines stratégies

 

Phase de l'autonomie intégrale (p. 180)

· Capable de se débrouiller, de défendre ses idées, de se donner des règles de vie

· Capable d'analyser son vécu

· Dimension affective: s'engager avec conviction, se disposer à, se risquer,

ressentir ses liens avec autrui, se remettre en question

· Dimension cognitive: s'engager avec pleine conscience, prendre position, peut s'expliquer et se justifier

· Dimension sociale : s'engager avec responsabilité et détermination, se mettre à la disposition des autres, travailler avec les autres, donner son point de vue et tenir compte des idées des autres

Tableau 2. Les quatre phases du processus d'autonomisation (selon Morin & Brief, 1995)

L'application de ces outils dans cette visée autonomisante pose d'autres conditions concernant la connaissance de la manière d'apprendre du scripteur/lecteur telles les méthodes devancées par De La Garanderie (1974) en ce qui concerne les

gestes mentaux, l'apprentissage de l'abstraction selon Barth (1987) et les apports de la neuropédagogie présentés par Trocmé-Fabre (1987). L'apprentissage scolaire, dans son cadre institutionnel, est en soi un type d'apprentissage particulier. Dans ce cadre, apprendre à écrire et à lire à l'école ne signifie pas écrire et lire pour le plaisir, mais bien dans un but spécifique, par exemple, réussir les examens prescrits et répondre à des normes établies. Selon nous, c'est ainsi que la fixation de l'objectif d'apprentissage serait plus pertinente dans le contexte de planification et contrôle du projet de réussite. Dans notre recherche, le scripteur/lecteur serait lui-même un gestionnaire ayant pour projet (et objectif) de réussir à l'école et l'enseignant, un gestionnaire ayant pour projet

(et objectif) d'aider et de soutenir l'entreprise de l'élève. Le projet de réussite du scripteur/lecteur est, selon nous, l'interface du projet d'aide de l'enseignant. La notion

de gestion de projet entrerait ici en ligne avec l'enseignement et l'apprentissage, d'où l'initiative d'emprunter des pratiques et techniques de planification et de contrôle de projet dans la formation des scripteurs/lecteurs en classe de français langue maternelle.

Le processus d'autonomisation de Morin & Brief (1995), tel que présenté dans le tableau 2, prend en considération le Moi de l'apprenant. Ce cheminement donne un rôle primordial au scripteur/lecteur dans son propre cheminement, son propre processus d'apprentissage. C'est l'aboutissement « d'un long processus d'autonomisation où chaque étape du développement affectif, social et intellectuel de l'individu représente autant de couches enrichissantes qui lui permettent de se prendre

en charge dans son milieu ambiant » (p. 184). L'évolution de ce « long processus »

pourrait être observée d'après Grangeat (1997, p. 97) selon trois critères d'autonomisation présentés dans l'ordre progressif comme suit :

« SE DISTANCIER : C'est établir un espace entre soi et l'activité

pédagogique.

Réinvestir, transférer, dans des contextes plus ou moins éloignés, une connaissance acquise par ailleurs. Afin d'attribuer aux savoirs scolaires un sens suffisant pour les considérer comme des objets intellectuels répondant à une classe problèmes.

S'ÉMANCIPER : C'est utiliser son intelligence en dehors de la présence

de son éducateur. Se libérer de l'emprise directe de l'enseignant, afin de conduire soi-même son activité intellectuelle.

Afin d'exercer un contrôle, une régulation sur l'extension de sa propre intelligence intellectuelle du monde.

SE DÉTACHER : C'est quitter ses routines, ses cadres de pensée habituels, tout ce qui semble aller de soi. Il s'agit, pour

le sujet de modifier ses propres inclinations spontanées »

La réussite des apprentissages, c'est toujours améliorer l'autonomisation

Encadré 2. Trois critères d'autonomisation (Grangeat, 1997, p. 97)

Comme l'autonomisation et l'automatisation sont fondées sur le développement

du savoir-faire, les processus d'écriture et de lecture tels que déjà présentés par le programme d'études en classe de françcais langue maternelle (MEQ, 1995) sont un ensemble de compétences à développer. Le développement de ces compétences suivrait

un processus où l'organisation en séquences (telles planifier la lecture du texte, construire le sens du texte, réagir au texte et finalement, évaluer sa démarche de lecture)

peut être considérée comme des étapes en planification et contrôle de projet. Leur acquisition serait aussi brisée en tâches successives en termes de contenus d'apprentissage (par exemple, pour la lecture de textes littéraires, MEQ, 1995, pp. 14-21) L'application des pratiques et techniques de planification et contrôle de projet suggère ainsi un encadrement méthodologique dans l'esprit d'opérationnaliser les tâches et de les automatiser selon un but, laquelle pourrait alors amener le scripteur/lecteur à devenir autonome. C'est ce que nous tenterons de démontrer dans notre analyse des données à travers le discours des scripteurs/lecteurs.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery