2.4.2 Métaconnaissances
Selon Doly (dans Grangeat, 1997), Flavell (1985)
différencie les
métaconnaissances en quatre catégories
(celles portant sur la personne, la tâche, les stratégies
et l'intégration de ces trois) selon les objets sur lesquels
elles portent, notamment :
- sur les personnes et le sujet lui-même : ce
sont les représentations que peut avoir l'individu sur :
· la pensée humaine, sur le sujet connaissant
en général,
· sur d'autres apprenants auxquels le sujet se compare ou
· sur lui-même comme apprenant (connaissance de
soi)
- sur les tâches
- sur les stratégies
- sur l'interaction entre ces trois objets (pp.
20-21).
Ces habiletés métacognitives sont surtout
développées grâce à un apprentissage
dit métacognitif où plusieurs conditions
sont mises en place dans un encadrement pédagogique faisant
appel à la différenciation et à l'autonomisation.
Nous estimions que cette façon de faire permettrait de rejoindre la
population des élèves à risques qui
sont, pour nous, ceux qui ne réussissent pas bien, mais
qui n'attirent pas l'attention et
les ressources du système à cause des cas plus
graves. L'atteinte du but fixé est évaluée selon une
logique de régulation, à plusieurs moments durant
l'exécution de la tâche globale. La métacognition se
trouve sous deux aspects : les métaconnaissances qui concernent
les domaines cités plus haut et le contrôle de l'activité
cognitive par le sujet. Selon Grangeat (1997), puisque ces connaissances
ou ressources sont internes à l'apprenant et sont difficiles
à observer directement, il est nécessaire de les inférer
par des indicateurs, selon les trois axes déjà nommés.
Le tableau suivant regroupe les sept indicateurs
d'inférence de Grangeat (1997), lesquels représentent les
principales pistes d'analyse de notre recherche.
SEPT INDICATEURS POUR INFÉRER LA MÉTACOGNITION
LA PERSONNE L'énonciation : le
sujet explicite ses processus ou ses états
mentaux.
La décentration : le sujet
élabore la prise en compte des processus ou des états
mentaux d'autrui.
LA TÂCHE La perception des
éléments implicites : le sujet précise la
production des inférences ou des coordinations d'opération.
La référenciation : le sujet
établit clairement un lien avec une tâche semblable
rencontrée par ailleurs.
LA STRATÉGIE L'anticipation : le sujet
planifie explicitement des procédures d'effectuation
L'adaptation : Le sujet dit comment il
ajuste les procédures prévues à l'aide des
résultats intermédiaires de l'action.
L'appréciation : le sujet évalue, de
façon justifiée, la pertinence des procédures qu'il
a employées à la lumière des résultats
obtenus.
Encadré 1. Les sept indicateurs
pour inférer la métacognition (Grangeat, 1997, p. 99)
En examinant ces indicateurs, remarquons la relation humaine
qui domine dans l'axe concernant la personne et la coordination en ce qui
touche la tâche, ainsi que la planification, l'ajustement, la
régulation et l'évaluation des procédures, etc. au niveau
de
la stratégie. Or, ce sont tous là, des
éléments clés de la gestion de projet que sont la
formulation de la mission et des objectifs, l'appropriation de ces objectifs
par l'ensemble des acteurs, etc.
La métacognition est le chemin incontournable d'un
apprentissage réflexif, garant
du « apprendre à apprendre » que vise le MEQ
(2003/2004) pour un apprentissage tout
au long de la vie : voilà réussir l'école et
non réussir à l'école comme auparavant. Le but
de notre recherche étant de vérifier le discours
des scripteurs/lecteurs sur le processus d'autonomisation de leur
apprentissage en lien avec l'application des pratiques et techniques de
la gestion de projet, la métacognition est donc un concept
clé à considérer. Voici la description en
détail des sept indicateurs d'inférence de la
métacognition fournis par Grangeat (1997) :
2.4.2.1 Les indicateurs concernant les personnes
Les métaconnaissances relatives aux personnes sont
des connaissances sur
soi et les autres personnes à comparer entre elles et
avec soi (Flavell, 1985). Ce serait alors des représentations que peut
avoir le scripteur/lecteur, sur la pensée humaine ou sur le sujet
connaissant en général, ou encore sur d'autres apprenants,
ou sur lui-même. Elles au nombre de deux :
ce sont l'énonciation et la
décentration. En réalité, ces deux
concepts ne sont pas complètement dissociés,
il y a une progression psychique qui les distingue comme des
phases ou stades.
La décentration étant un des trois
éléments constituants de la stratégie (la
complexité, la volonté de gagner et la
décentration) selon Barbot & Camatarri (1999, p. 86), elle
lie donc les capacités ou ressources personnelles en
métacognition au développement des stratégies du
scripteur/lecteur en situation
de gestion de son projet.
Au stade de l'énonciation, le scripteur/lecteur serait
capable de décrire son expérience, c'est-à-dire ses
propres processus et états mentaux lors de la
réalisation des tâches, et ce, de façon
chronologique et contextualisée. Nous pouvons dire qu'il y a eu
construction du savoir métacognitif par l'explicitation. Comme la
métacognition appartient au domaine de l'abstraction, c'est le niveau
d'abstraction empirique d'après Doly (dans Grangeat, 1997). Quant au
stade de la décentration, le scripteur/lecteur serait capable de se
détacher davantage de ces expériences qu'il décrirait de
façon plus décontextualisée et davantage analytique.
Il y verrait la durée, du début
jusqu'à la fin. C'est la transition entre le niveau
d'abstraction empirique et le début du niveau d'abstraction
réfléchissante selon Doly (dans Grangeat, 1997). Nous y
observerons une progression, d'un niveau descriptif et chronologique des
procédures à un niveau explicatif, logique, en des termes
généralisés (un plan détaillé, un plan avec
des mots-clés, etc.). Le parallèle pourrait se faire ici avec
Piaget sur la nature et le rôle de la prise de conscience dans la
construction de l'intelligence, à travers les trois niveaux
d'abstraction :
empirique (description chronologique),
réfléchissante (analyse logique) et réfléchie
(conceptualisation). À partir du niveau de l'analyse logique, la
représentation implique la tâche et lorsque celle-ci devient
réfléchie, elle couvre les stratégies. Le lien se
ferait donc facilement avec la gestion de projet qui insiste sur le
développement des stratégies.
2.4.2.2 Les indicateurs concernant la tâche
Selon Flavell (1985) (cité par Grangeat
[1997]), les métaconnaissances
relatives aux tâches sont des connaissances sur
les caractéristiques des tâches. Acquises au fur et
à mesure des expériences cognitives et des comparaisons
effectuées, elles permettent de planifier des activités
cognitives. Les caractéristiques ici retenues pour notre analyse
sont plutôt des facteurs qui influencent la réussite des
scripteurs/lecteurs du point de vue des ressources. Elles concernent
les outils, les processus, l'enseignante et les pairs. Ces
métaconnaissances acquises témoigneraint du degré
d'abstraction réfléchissante chez le scripteur/lecteur,
c'est-à-dire de son niveau d'analyse logique. Pour ce faire, nous
allons vérifier, lors de notre analyse, si les scripteurs/lecteurs
étaient capables de se référer à une tâche
antérieure en explicitant les facteurs précités.
Ce sont la référenciation et la perception des
éléments implicites.
· La référenciation
Cet indicateur démontre la capacité de se
référer clairement à une tâche
(caractérisée par les outils de planification et
contrôle de projet utilisés et présentés au
chapitre 2, les processus d'apprentissage, l'enseignante et les pairs)
ou aux actions similaires ayant eu lieu antérieurement.
Il démontrerait la prise de conscience des expériences
métacognitives ponctuelles, localisées dans une tâche
particulière ayant un début, une fin et un
résultat. Dans ce sens, il y aurait construction d'un savoir
métacognitif par l'analyse logique. À ce niveau, une
certaine distance aurait été établie entre le
scripteur/lecteur et son savoir. C'est l'indice d'une
intériorisation des connaissances et des compétences
puisque le scripteur/lecteur serait capable d'en évoquer. Cette
intériorisation aurait eu lieu grâce à la
médiation exercée par l'enseignante qui s'imposerait entre lui et
le savoir (c'est en effet l'indicateur précédent concernant sa
capacité de décentration vis-à-
vis l'enseignante), et ce, pendant l'exécution d'une
tâche précise antérieurement.
Ce rôle de médiateur de l'école que
représente l'enseignante en salle de classe contribuerait ainsi
à faire passer du « non conscient » au « conscient
volontaire », l'accès à la construction des connaissances
métacognitives (Grangeat, 1997). La référenciation
à la performance démontrerait un niveau plus
élevé dans cette
« conscience volontaire ». Non seulement ces
scripteurs/lecteurs seraient capables de se débrouiller seuls, mais
aussi ils seraient capables de performer en s'automotivant grâce aux
outils de planification et contrôle inspirés de la gestion
de projet et utilisés dans cette recherche afin de
les guider dans le processus
d'intériorisation ou transfert des connaissances. Ces
outils seront présentés dans
le chapitre 3 portant sur la méthodologie.
La référenciation révélée
chez les scripteurs/lecteurs quant à ces outils confirmerait leur
impact sur le développement de la métacognition. Le processus
étant aussi un élément clé de l'autonomisation de
l'apprentissage, la référenciation
au processus d'écriture et de lecture
révélerait aussi l'impact des outils de la gestion de
projet sur le développement de la métacognition chez le
scripteur/lecteur tels le fractionnement et l'ordonnancement des
tâches. La médiation qui assume un rôle transformateur
du processus d'intériorisation, tel que déjà
décrit plus haut, touche aussi à la référenciation
vis-à-vis l'enseignante- chercheure et les pairs.
· La perception des éléments implicites
Cette perception concerne l'inférence et la
coordination des actions. Le scripteur/lecteur qui serait capable de
percevoir des éléments implicites tels le lien entre
différentes actions (la coordination) et le but (inférence)
témoignerait de sa capacité d'abstraction au plan de la
conceptualisation. C'est en fait la construction d'un savoir
métacognitif par la conceptualisation. Pour notre analyse, nous
retenons trois éléments: le but, les processus et la
performance des activités d'apprentissage, car ce sont là
les mêmes éléments présents dans la gestion
de projet. La perception du but apporte la valeur à la
tâche, la perception des
processus contribue à bâtir la
contrôlabilité de la tâche grâce à la
conscience des étapes de réalisation et, finalement, la
performance indique les exigences de la tâche.
2.4.2.3 Les indicateurs concernant les
stratégies
Les métaconnaissances relatives aux
stratégies sont des connaissances
permettant le pilotage des stratégies cognitives
(Flavell, 1987). Ce sont des connaissances qui font appel à la
capacité du scripteur/lecteur de mobiliser ses ressources ;
c'est-à-dire, sa capacité d'intégrer les informations dont
il dispose sur l'état présent de son fonctionnement cognitif,
à les confronter à ses connaissances métacognitives
antérieures et aux données issues de la réalité,
afin d'adapter ses stratégies cognitives et de les rendre plus
efficaces. Les métaconnaissances relatives aux stratégies
révèlent le niveau d'abstraction conceptuelle du
scripteur/lecteur. La construction des métaconnaissances à ce
niveau se fait par conceptualisation et s'inscrit dans un processus de
régulation. L'appréciation de soi, des outils de planification
et contrôle de projet, de l'apport de l'enseignante- chercheure et des
pairs représentent un premier niveau métacognitif quant
aux stratégies. Viennent ensuite la capacité de s'adapter et
d'anticiper. À ce stade, le scripteur/lecteur devrait être
capable d'effectuer une planification opératoire vers
la réussite, compte tenu de ses
expériences réfléchissantes antérieures. Il
serait arrivé au niveau d'abstraction où domine le
réfléchi. Ces indicateurs nous livrent des pistes d'analyse
de nos données quant aux stades les plus avancées du
processus d'autonomisation selon Morin & Brief (1995).
2.4.3 Métacognition et dispositifs
pédagogiques
Pour mieux comprendre le concept de la métacognition,
la référence aux travaux
de Piaget (1974) est nécessaire. Il y a formulé
des idées précurseures à partir de la prise
de conscience en montrant que la réflexion sur les
actions cognitives procure au sujet de nouvelles possibilités de
régulation. En effet, en évaluant ses actions cognitives
antérieures, avec du recul, le scripteur/lecteur se trouve
à accroître son pouvoir de coordination, tout en y donnant
plus de signification (Grangeat, 1997). La prise de conscience de son
propre pouvoir de coordination et de la signification des actions, en plus de
l'aspect de contrôle « confère à la
métacognition des caractéristiques totalement compatibles avec
les critères retenus pour spécifier la réussite des
apprentissages et donc pour caractériser l'autonomisation dans
l'activité pédagogique » (Chartrand, 1996). C'est ici
qu'intervient l'application des pratiques et techniques en planification
et contrôle de projet à portée métacognitive sur
l'autonomisation des scripteurs/lecteurs. Or, pousser les scripteurs/lecteurs
à devenir autonomes c'est davantage accentuer leurs différences.
Dans un tel contexte, la différenciation pédagogique
représente un cheminement dont le point de départ
nécessiterait une évaluation diagnostique des besoins des
scripteurs/lecteurs afin de les amener à l'autonomisation.
Develay (1992) propose de « trouver une
procédure pédagogique susceptible d'articuler
l'évaluation diagnostique et la différenciation
pédagogique afin d'accroître l'autonomisation du sujet dans
l'activité pédagogique ». Logiquement, pour jouer un
rôle d'articulation, le dispositif recherché doit posséder
des caractéristiques qui sont à la fois communes aux deux
procédures à articuler (soient l'évaluation
diagnostique et la
différenciation pédagogique) et compatibles
avec l'intention de renforcer
l'autonomisation. Or, celles-ci conduisent l'enseignant
à centrer son attention sur trois domaines principaux : le
scripteur/lecteur, les tâches à accomplir et les
stratégies à mettre en oeuvre pour y parvenir. Il est alors
aisé de constater que ces trois domaines recoupent les trois aspects
concernés par la métacognition. Définie comme une
réflexion sur l'interaction entre les connaissances et le sujet
(Meirieu, 1987/1993), la métacognition semble donc susceptible de
constituer l'articulation voulue.
La métacognition, illustrée par Grangeat
(1997), est donc une articulation entre l'évaluation et la
différenciation comme suit :
ÉVALUATION DIAGNOSTIQUE
Amélioration de
Amélioration
s
MÉTACOGNITION
l'autonomisation de tous les scripteurs/lecteur
DIFFÉRENCIATION PÉDAGOGIQUE
Figure 8. Rôle de la
métacognition dans l'autonomisation (Grangeat, 1997, p. 98)
Dans notre recherche, nous allons également
vérifier le discours des scripteurs/lecteurs sur la
portée métacognitive des pratiques et techniques en
planification et contrôle dans leur cheminement.
Pour ce faire, puisque la métacognition est une
réflexion interne du sujet, elle est inaccessible à l'observateur
dans les conditions habituelles de l'enseignement. Comme toute
activité mentale, elle doit être inférée, soit
à partir de ce qu'en dit le sujet, soit à partir de ce qu'il
fait, en résolvant un problème, par exemple. C'est cette
méthode-ci qui a été retenue pour notre recherche.
Notre analyse sera fondée sur les sept indicateurs fournis par
Grangeat (1997), traduisant l'activité métacognitive et
recouvrant
les trois caractéristiques des métaconnaissances
: la personne, la tâche et les stratégies (figure 4). À
partir de ces indicateurs, il est envisageable de cerner la
pertinence des dispositifs pédagogiques (procédures
métacognitives selon Grangeat, 1997) qui visent à stimuler la
métacognition et à extérioriser une partie de cette
réflexion. Pour que les pratiques et techniques de gestion de
projet soient véritablement des dispositifs pédagogiques, il
faudrait qu'elles fassent partie d'une méthode pédagogique. Or,
pour Meirieu (1985/1990, p. 105), « dès que se trouvent un
formateur, un apprenant et un savoir, il y a une méthode ».
Selon cet auteur, du point de vue du formateur, de celui qui
élabore les dispositifs d'apprentissage, une méthode peut se
présenter comme la composition de deux éléments :
les situations d'apprentissage et les outils d'apprentissage. Les
situations d'apprentissage comprennent les situations impositives
collectives, les situations individualisées et les situations
interactives. Les outils d'apprentissage incluent tous les moyens tels la
parole, l'écriture, les gestes, les images, les technologies, les
matériaux, etc. Dans ce sens, nous constatons que les pratiques et
techniques de gestion de projet,
de l'application de la gestion du processus (objectifs,
tâches orientées vers un but,
gestion des ressources, etc ...) aux différents
outils de planification et contrôle
(diagramme de Gantt, Pert, etc.) constitueraient bel et bien une
méthode pédagogique.
En effet, la gestion de projet aux aspects à la fois
mécaniste et post-moderne selon les termes de Hazebroucq & Badot
(1996) est une méthodologie aux yeux de Raynal (2003).
Appliquée dans le contexte scolaire, elle servirait de levier
dans le développement de la conscience dans l'apprentissage. Une
conscience qui porte autant sur les ressources de l'environnement
externe (les pairs et l'enseignant) du scripteur/lecteur que sur les
ressources en provenance de sa structure interne afin de
lui pourvoir le pouvoir d'apprendre par lui-même.
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