2.1.6 Gestion de projet et psychologie cognitive
Sous l'angle de la psychologie cognitive,
l'apprentissage comme l'enseignement
sont deux activités de traitement d'informations
(Tardif, 1992/1997) dans lesquelles l'apprenant traite des informations
affectives, cognitives et métacognitives tandis que
l'enseignant, lui, traite des informations liées au
contenu disciplinaire, à la gestion de classe ainsi qu'aux
composantes affectives et cognitives concernant l'apprenant.
Ce sont là des processus actifs et constructifs
équivalents au travail d'un gestionnaire au sein de son
organisation, tel qu'a confirmé Mintzberg (1989) : « le
processus d'information est une des clefs de la profession de manager
(p. 36) ». Ce n'est donc pas un pur hasard que le terme « gestion
» fasse maintenant partie du jargon pédagogique. Les connaissances
sont ainsi construites puisque l'apprentissage est fondamentalement un
processus d'acquisition et d'organisation d'un répertoire de
connaissances et de stratégies cognitives et
métacognitives. La planification et le contrôle des processus,
par la mise en oeuvre de diverses stratégies, représentent
alors
les principaux enjeux de la réussite, tant pour le
gestionnaire d'entreprise que pour l'enseignant et le scripteur/lecteur.
Nous croyons que l'utilisation des pratiques et techniques de
planification et de contrôle de projet en classe de
français langue maternelle pourrait offrir aux
scripteurs/lecteurs un encadrement méthodologique et des outils
métacognitifs qui, dans un premier temps, permettraient
l'autonomisation de certaines opérations d'apprentissage en
écriture et en lecture pour, ensuite, soutenir
l'intériorisation des objectifs d'apprentissage en terme de
maîtrise de l'écriture et de la lecture.
Il est ici question d'une démarche
métacognitive faisant appel au raisonnement métacognitif,
grâce à l'utilisation d'un certain type de médiation
instrumentée dont les
outils sont empruntés à la gestion de projet
(tel le diagramme de l'effort inspiré du
Diagramme de Gantt présenté plus loin au chapitre 3
portant sur la méthodologie).
Dans le contexte de changement paradigmatique
déjà mentionné plus haut, nous nous intéressons
également à l'adaptabilité des pratiques et
techniques en gestion de projet dans l'interdisciplinarité des
situations d'apprentissage.
2.1.7 Gestion de projet et situation d'apprentissage
Les habiletés acquises grâce aux pratiques
et techniques en gestion de projet
permettraient une autre différenciation
pédagogique, cette fois-ci au plan du contenu. Meirieu (1985/1990)
affirme que : « l'intégration interdisciplinaire n'est pas une
nouvelle pédagogie mais une façon de concevoir les
programmes et/ou d'organiser les apprentissages ». Cette
intégration interdisciplinaire n'est nulle autre que
l'interdisciplinarité définie par Legendre (1993) comme «
une approche de l'enseignement autour d'un thème ou d'un projet
servant à l'étude de quelques ou plusieurs disciplines
intégrées ». À ses yeux, c'est aussi « une
approche qui favorise la concertation et les intersections entre les objectifs
de différents programmes d'étude ».
Le problème, en effet, n'est pas d'abandonner les
disciplines, dont l'utilité n'est pas remise en cause, mais de les
décloisonner, de les intégrer et de diversifier les
manières
de présenter, bref, de structurer les contenus des
enseignements selon un nouveau
mode d'organisation dans l'acquisition des compétences
d'ordre intra et interdisciplinaire.
Il s'agit ainsi, selon nous, de compétences
disciplinaires et transversales
(exprimées dans le nouveau programme de formation
de l'école québécoise, MEQ,
2003/2004) que nous cherchons à vérifier dans le
discours des scripteurs/lecteurs en écriture et en lecture grâce
à l'application des pratiques et techniques en planification et
contrôle de projet. Ces compétences sont, à nos yeux, des
indices du développement de leur autonomisation.
L'interdisciplinarité est alors exprimée dans le
nouveau programme de formation
de l'école québécoise en termes de «
domaines généraux de formation, de compétences
transversales et de compétences disciplinaires ». Selon le MEQ
(2003/2004, p. 12), ces trois composantes majeures « permettent, par
une multitude de combinaisons, de proposer aux élèves des
situations d'apprentissage complexes et signifiantes, où on peut mettre
à profit des ressources ».
Cette optique de l'approche systémique est, en effet, en
lien direct avec la vision
de gestion de projet qui met l'accent sur un projet
utilisateur de ressources (d'ordre humain, matériel et
temporel) et négociateur avec son environnement, tout en
maintenant un processus de suivi et de contrôle au long de sa
réalisation. Le Project Management Institute (PMI) renforce cette
définition de l'interdiscplinarité comme un mode d'organisation
de ressources en affirmant que la gestion d'un projet est «
l'utilisation d'un savoir, d'habiletés, d'outils et de
techniques dans le cadre des activités d'un projet, en vue de satisfaire
ou de dépasser les exigences et les attentes qu'ont les intervenants
à l'égard d'un projet ». Dans cette optique,
l'application des outils de la gestion de projet satisfait à l'exigence
d'un apprentissage durable, approfondi, dans une visée autonomisante.
L'intégration de ce mode d'organisation au
fonctionnement d'un groupe-classe serait donc possible selon un
parallélisme permettant de visionner l'enseignante- chercheure que
nous étions comme un directeur ou manager de projet, un leader aux yeux
de Briner, Geddes & Hastings (1990), dont les rôles sont comparables,
selon nous,
à ceux énoncés par Mintzberg7,
mais cela, dans le contexte de la gestion de projet.
Dans ce cadre, nous présumons que «
l'enseignant-manager de projet » doit toujours assumer les trois
rôles définis par Mintzberg, non dans un contexte de
management hiérarchique, mais bien dans le contexte de la gestion de
projet.
En fait, nous représentions effectivement une
autorité formelle auprès du groupe- classe. Nous assumions
aussi des rôles liés à l'information concernant
notre matière
7 Selon Mintzberg (1987), les dix rôles du
manager comprennent : Les rôles liés à l'autorité
formelle :
1) Symbole
2) leader
3) agent de liaison
Les rôles liés à l'information
:
4) observateur actif
5) diffuseur
6) porte-parole
Les rôles décisionnels :
7) entrepreneur
8) régulateur
9) répartiteur des ressources
10) négociateur
tout comme des rôles décisionnels. De plus,
comme une des clés du succès des scripteurs/lecteurs,
à court terme mais surtout à long terme, consiste en
l'intégration des matières (MEQ, 2003/2004, Avant-propos), nous
remplissions également un rôle intégrateur afin de leur
assurer une vue d'ensemble de l'apprentissage malgré la
répartition des notions entre différentes matières.
Nous préférons cette comparaison à
la classification de Tardif (1992/1997) concernant les rôles de
l'enseignant stratégique. À nos yeux, les rôles tels
qu'un penseur, un preneur de décision, un motivateur, un modèle,
un médiateur, un entraîneur évoqués par Tardif
(1992/1997) peuvent être facilement mis en parallèle avec
les dix rôles de Mintzberg, mais en moins précis. En fait,
selon nous, le leader doit être en même temps capable de
prendre des décisions, de motiver et de négocier, mais
à l'inverse, un preneur de décision ou un motivateur ou encore un
médiateur n'est pas nécessairement un leader. Or, en salle de
classe, l'enseignant assume plutôt un rôle de leader auprès
de son groupe-classe.
Comme la gestion de projet est en soi une approche en gestion
qui a pour but de maximiser la probabilité d'atteinte d'objectifs
précis, Ménard (1995) précise qu'elle requiert une
structure bien adaptée aux enjeux des activités et de
l'environnement qui lui sont propres. Nous pouvons faire la comparaison avec
la salle de classe, car la réforme
du MEQ (2003/2004) favorise une façon de faire qui se
rapproche énormément de la gestion de projet : l'enseignement
par projets, dans lesquels sont intégrées plusieurs
matières (et qui fait, entre autres appel à la
pédagogie différenciée), ce qui donne lieu à une
équipe de projet multidisciplinarité et
multidépartementale en salle de classe.
De plus, comme dans le monde des affaires, ces projets en salle
de classe auraient besoin, premièrement, d'un rôle
d'intégrateur, celui du gérant de projet, en la personne
de l'enseignant (nous-même en l'occurrence) qui doit
aussi faire face aux groupes dans lesquels le niveau académique comme la
culture personnelle de chacun sont loin d'être homogènes.
Nous-même et notre groupe (qui pourrait avoir sa propre
structure de différentes responsabilités assumées par les
scripteurs/lecteurs) formaient une structure souple, à côté
de la structure hiérarchique de l'école. Cette structure est,
toujours selon Ménard (1995) une structure aplatie, organique et
mouvante. En salle de classe, nous avions l'autorité sur les
scripteurs/lecteurs, mais en même temps, nous nous voyions devoir
veiller à ce que les « distances » ne soient trop
rigides. Nous remplissions en même temps un rôle de guide
auprès de ces jeunes, dans leur apprentissage. Cette structure
était organique et mouvante, car au secondaire, chaque
groupe de scripteurs/lecteurs connaît plusieurs enseignants dans
différentes matières, chaque enseignant ayant son propre
style et même, différentes exigences. À nos yeux, la
structure devait être assez souple afin de permettre ces adaptations.
Finalement, les relations latérales, telles que connues dans le milieu
de la gestion de projet, y sont plus présentes que celles verticales
(scripteurs/lecteurs - enseignante - direction par exemple)
au secondaire. Plus il y a de relations
latérales, plus il y aurait d'interactions d'ordre humain, plus
le scripteur/lecteur va se sentir bien entouré, bien
encadré, donc bien guidé.
Dans le domaine de la gestion de projet, nous devons
également assurer quotidiennement des mécanismes pour
gérer efficacement les interfaces internes et externes
(enseignant-scripteurs/lecteurs et école-parents par exemple). Les
mesures devant être immédiates, la décentralisation
des actions était nécessaire. En tant qu'enseignante, nous
nous devions être capable de prendre des décisions
appropriées et
en assumer les conséquences. Chaque groupe
étant différent, les systèmes et procédures
devraient être adaptés aux besoins spécifiques de
chacun. Du rôle d'une unique dispensatrice de savoir, nous
embrassions celui de régulatrice, de répartitrice de ressources
et de négociateure (tel un gérant de projet).
En adoptant un tel angle, l'application des principes et
techniques en planification
et contrôle de projet permettrait l'orchestration de
la mise en oeuvre de différents dispositifs et approches
pédagogiques connus jusqu'à ce jour; grâce à cette
possibilité
de combiner les points forts et de pallier les points
faibles de plusieurs approches et techniques. L'enseignement, vu comme
l'interface de l'apprentissage, dans le contexte scolaire, pourrait devenir
un encadrement méthodologique qui saurait mettre à profit
les connaissances métacognitives ainsi que les
mécanismes de régulation dans le dosage
et le guidage d'un apprentissage à
visée autonomisante. Un tel encadrement méthodologique
mettant en oeuvre les mécanismes de la métacognition toucherait
donc
à la motivation intrinsèque des
scripteurs/lecteurs en ce qui concerne la valeur et la
contrôlabilité de la tâche tel que
précité dans notre chapitre 1 portant sur la
problématique. Selon nous, ce serait donc, la « véritable
stratégie pédagogique visant la
construction de l'autonomie à travers l'apprentissage
» que mentionnent Barbot & Camatarri (1999).
Afin de faciliter la compréhension de ce
mécanisme, nous présentons ci-après les
éléments clés du domaine de la didactique de
l'écriture et de la lecture permettant l'application des pratiques
et techniques en planification et contrôle de projet.
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