CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE
RECHERCHE
Comme le terrain de recherche est celui de
l'enseignement/apprentissage de l'écriture et
de la lecture, nous allons d'abord, dans ce chapitre,
exposer la problématique du domaine pour, ensuite, présenter
une solution possible par l'application des pratiques et techniques en
planification et contrôle de projet.
Les problèmes d'enseignement et d'apprentissage
ont fait couler beaucoup d'encre et ont engendré plusieurs travaux
de recherche. Cependant, ceux qui ont retenu notre attention portent
principalement sur le problème de l'exigence en
enseignement, celui de « faire exister de l'autonomie et de
la liberté là où il pourrait n'y avoir que de la
contrainte » selon Develay (préface de Grangeat, 1997). Dans
ce contexte, nous nous demandons comment arriver à une
qualité en apprentissage que qualifie Grangeat
(1997) comme « des apprentissages plus efficaces, plus profonds,
plus durables? » En d'autres mots, une autonomisation de
l'apprentissage. Sur ce point, nous adhérons à la position
de Meirieu, Rouche & 40 enseignants (1987) qui voient en cette
rigueur : « une reconnaissance active d'autrui qui le fait grandir par
l'exigence qu'elle porte et qu'elle lui manifeste. (...) C'est y voir
un homme à faire, quelqu'un capable du meilleur, une
personne susceptible d'accéder à ce que l'humanité a fait
de mieux et, peut-être, de le dépasser (p. 13) ».
En somme, la problématique que nous allons aborder dans
les pages qui suivent consiste
en la marge entre l'exigence et l'autonomisation en milieu
scolaire. Après avoir discuté de ces deux points, nous exposerons
plus particulièrement ces deux facettes de la problématique
dans
le contexte précis de la classe de français
langue maternelle, pour ensuite introduire nos hypothèses quant
à l'utilisation des outils en planification et contrôle de projet.
Les objectifs
de recherche viendront compléter le chapitre 1 de notre
recherche.
1.1 ENTRE L'INFORMATION ET LA FORMATION : L'EXIGENCE
D'une part, l'enseignant praticien se doit d'adopter une
éthique professionnelle de
« reconnaître un sujet », toujours aux
termes de Meirieu & al. (1987), de « voir en lui toute
l'humanité en puissance », d'autre part, nul ne peut nier qu'il est
difficile d'apprendre.
Cette difficulté se manifeste principalement, selon Le
Strat (dans Meirieu & al., 1987, p.
137), dans la confusion entre information et formation :
l'information, « c'est le côté simple, rapide des choses, des
événements, etc., qui se traduit souvent chez les
élèves par : c'est vrai
ou c'est faux, c'est noir ou c'est blanc, dites-nous la
réponse, ça va plus vite », et la formation, pour cette
auteure, c'est : « la capacité de s'interroger, à
interpeller, à sentir la complexité des choses et donc la
nécessité d'acquérir des outils ». Cette
« nécessité » nous a amené à faire
le lien avec la gestion de projet en ce qui concerne
les « outils ». Nous convenons que l'apprentissage est «
ce passage laborieux de l'information à la formation, le
côté dur qui entraîne bien des résistances en salle
de classe, voire le refus ». Il est évident que ce
problème
est étroitement lié aux facteurs de la motivation
scolaire qui a fait l'objet de bien des travaux, notamment ceux de Tardif
(1992/1997).
Cependant, nous avons choisi de nous concentrer, non sur la
motivation scolaire, mais
sur « l'acquisition de ces outils » que mentionne Le
Strat (dans Meirieu et al., 1987) du point de vue des systèmes de
perception, en nous appuyant sur les pistes fournies par Tardif
(1992/1997). Tels que présentés à la figure 1 suivant, ce
sont les facteurs de perception quant aux exigences de la tâche et
à la contrôlabilité de la tâche. Nous avons
établi un parallèle avec
la gestion de projet, d'abord à partir de la notion
portée sur la tâche elle-même puis, en nous basant sur les
éléments tels le développement des
stratégies, les étapes de réalisation (qui rejoignent
l'idée du processus traité plus loin) et les critères de
réussite (but). Cette position repose sur le fait que ces
facteurs sont interreliés dans une construction évolutive
où la responsabilité de l'enseignant est de rendre l'apprenant
conscient de l'écart entre ses capacités réelles et sa
perception de celles-ci (Tardif, 1992/1997)
MOTIVATION SCOLAIRE
Systèmes de conception Systèmes de perception
Buts de l'école Intelligence
Valeur de la tâche
(fonction de la tâche/retombées personnelles,
sociales et professionnelles)
Exigences de la tâche
(connaissances antérieures disponibles/stratégies
requises/étapes de réalisation/critères de
réussite)
Contrôlabilité de la tâche
Figure 1. Facteurs de la motivation scolaire
(adapté de Tardif, 1992/1997, p. 94)
Selon nous, les outils en gestion de projet auraient un impact
sur le scripteur/lecteur par
ses systèmes de perception dont les composants sont la
valeur de la tâche, les exigences de la tâche et la
contrôlabilité de la tâche. Ainsi, selon Tardif
(1992/1997), agir sur la valeur de la tâche, c'est agir sur sa fonction,
sur les retombées personnelles sociales et professionnelles. Il
en est de même sur les exigences de la tâche.
C'est principalement par les éléments tels les connaissances
antérieures disponibles, les stratégies requises, les
étapes de réalisation et les critères de
réussite que nous comptons vérifier l'impact des outils en
gestion de projet sur les exigences telles que déjà
présentées plus haut.
Selon Grangeat (1997), les difficultés d'apprentissage
sont aujourd'hui plus définies sur
le plan des stratégies pour apprendre que sur celui des
connaissances. Les scripteurs/lecteurs
en échec sont aussi caractérisés par un
manque de confiance en eux-mêmes. Ce qui entraîne, selon le
même auteur, le problème de motivation qui est aussi ramené
à un mauvais « concept
de soi ». Non seulement ces jeunes ne se
connaissent pas, mais aussi, ne se font pas confiance; « ils
abandonnent souvent très vite et sont dépendants d'une
prise en charge extérieure, à l'inverse de ceux (en
réussite) qui sont persévérants et autonomes » (Doly
dans Grangeat, 1997, p. 19) . La réussite des scripteurs/lecteurs varie
donc selon l'autonomisation telle que manifestée chez ceux qui
réussissent.
L'on reconnaît que, d'une part, l'autonomisation
à l'école représente nécessairement un enjeu
pédagogique dans une vision éducative à long
terme et que, d'autre part, le scripteur/lecteur doit être
maître de son apprentissage afin de réussir; il a besoin d'outils
et de
moyens efficaces dans sa poursuite de la réussite à
l'école, de façon autonome. Doly (dans
Grangeat, 1997, p. 18) a constaté d'ailleurs que «
ce qui fait particulièrement défaut aux élèves
en échec, ce sont des méthodes de travail
». Pour cette auteure, il est nécessaire plus que jamais
d'inventer d'autres dispositifs pédagogiques qui permettent la
participation active et constructive des jeunes apprenants pour qui
la motivation scolaire n'est pas une préoccupation
immédiate. C'est ce que nous proposons de faire dans cette
recherche.
Depuis nombre d'années, le concept de l'autonomisation
émerge, de façon et explicite
et implicite, dans plusieurs nouvelles approches
pédagogiques telles l'enseignement par projet, l'enseignement
stratégique, l'apprentissage coopératif, etc. D'ailleurs, en
donnant un bref aperçu du programme de sixième
année du primaire afin d'illustrer la continuité des
programmes de français du primaire au secondaire, le MEQ (1995,
p. 16) a exigé qu'en écriture : « les
élèves continuent à appliquer le processus
rédactionnel amorcé au primaire. À
la fin du secondaire, ils et elles doivent l'appliquer de
manière autonome ». Seulement, d'où vient cette
autonomie et comment y arriver? Selon Barbot & Camatarri (1999),
il apparaît clairement qu'en continuité avec la formation
initiale, une véritable stratégie pédagogique visant
l'autonomisation à travers l'apprentissage reste absente.
Le scripteur/lecteur autonome, au sens kantien en ce
qui concerne la dualité de l'homme (en tant qu'être sensible
et en ce qu'il a la faculté de choisir non seulement selon la loi), ne
jouit pas d'une liberté sans limites, mais plutôt partage une
responsabilité solidaire dans sa communauté
d'apprentissage où sa conception des buts de l'école et de sa
propre intelligence
est directement modifiée tout comme sa perception
quant à la valeur, les exigences et la
contrôlabilité des tâches d'apprentissage.
L'autonomisation des scripteurs/lecteurs en classe
de français langue maternelle, en ce sens, passe par
nombre de choix judicieux à faire pendant
la réalisation des tâches d'écriture et de
lecture. Ces gestes conscients sont ainsi des jalons de
la réussite et font l'objet de la
présente recherche : amener les scripteurs/lecteurs vers la
réussite est les amener à avoir de bonnes habitudes
éclairées par un bon jugement, afin de faire de bons choix,
et poser de bons gestes dans la réalisation de leur projet en
écriture et en lecture.
C'est ce qu'appelle Meirieu (1987/1993) une «
médiation par le projet » où, en terme d'information
déjà introduite plus haut, « le maître ne s'y confond
plus avec le savoir. (...) En centrant les élèves sur une
production, l'on introduit un référent qui médiatise leur
relation à l'adulte; ce dernier peut éviter ainsi les
identifications incontrôlées qui assimilent sa personne
au Savoir et entretiennent des situations de dépendance
(pp. 98-99) ». Ce phénomène de la non-motivation vient,
en partie, du problème de l'apprentissage «
institutionnalisé » où se heurtent « le projet
inhérent à chaque individu et le projet que les autres ont
à son sujet », de dire Donnay (dans Depover & Noël 1999,
p. 185).
L'autonomisation du scripteur/lecteur, dans ce
déchirement entre la liberté (de l'être dans son
entité) et la réussite (accès à une
reconnaissance socialement valorisable telle un diplôme),
paraît offrir une solution prometteuse au problème de
résistance à ce travail laborieux qu'est « apprendre
», car elle représente une des aspirations fondamentales de tout
être humain, celle d'être capable d'agir efficacement
seul. Selon Chesnais (1998, p. 11), « dans
le domaine des apprentissages (...), l'autonomie se
caractérise par la faculté de prendre en charge ses
apprentissages, sa formation, c'est-à-dire d'être acteur, de voir
l'utilité de ce qui est
à faire et de mener à bien la tâche
demandée » .
Dans la présente recherche, la réussite
scolaire étant notre première préoccupation
d'enseignante-chercheure, nous avons choisi de travailler sur l'autonomisation
des scripteurs/lecteurs du premier cycle du secondaire, en classe de
français langue maternelle, afin de les amener à
contrôler la gestion de leur tâche quotidienne. L'envie de
réussir et d'être indépendant étant présente
chez chacun, il suffit de les aider à prendre conscience de leurs
réels désirs, de leurs habitudes mentales efficientes et
déficientes et de leur mode de fonctionnement tant mental
qu'affectif afin de leur redonner confiance en leurs propres
capacités (Chesnais, 1998) vers la réussite, d'abord à
l'école, puis l'école par la suite (Brunswic,
1994).
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