Les chambres régionales des comptespar Jean-Philippe SOL ENS Cachan - DEA Action Publique et Sociétés Contemporaines 2001 |
IntroductionLes chambres régionales des comptes constituent une nouveauté au sein du système politico-administratif français, puisqu'elles participent d'un renouvellement des modalités de contrôle des territoires exercé par l'Etat. Avec la décentralisation et les « droits et libertés » accordés aux différentes collectivités locales, le mode de régulation territoriale de l'action publique a, de ce fait, profondément évolué et a été perçu comme tel par l'ensemble des fonctionnaires territoriaux1(*). La nature proprement politique de la décentralisation a engendré une modification des types d'actions locales engendrées par la démultiplication des territoires politiques. Le modèle de la régulation croisée2(*), qui décrivaient le comportement particulier d'acteurs locaux en quête de ressources pour leurs fiefs dans un schéma vertical et hiérarchique, semble avoir vécu, même si l'Etat reste un acteur important dans la régulation des territoires. « Le passage d'un modèle de régulation croisée à un modèle marqué par l'institutionnalisation de l'action collective interroge sur les modèles de coopération à travers lesquels l'action publique se construit en même temps que sur les transformations de sa nature même. C'est parce qu'on est passé historiquement d'une logique de production d'action publique, fondée sur la fourniture de services, à une logique de construction d'action publique, définie par la mise en cohérence des interventions publiques, que les relations entre les acteurs se sont considérablement »3(*). Il nous semble donc intéressant d'analyser les métamorphoses de ce mode de régulation en étudiant notamment le fonctionnement d'une chambre régionale des comptes, celle de Haute-Normandie, au travers des déclarations de différents acteurs et de rapporter cette situation locale au contexte national. La position des acteurs permettront de nous éclairer les évolutions d'un mode de régulation4(*) particulier : celui du contrôle financier externe des collectivités territoriales par le système administratif périphérique et de l'évolution de l'action publique territoriale. En effet, si le système de la régulation croisée5(*) semble avoir vécu, pour laisser la place à une territorialisation croissante de l'action publique, associée à une redistribution du rôle des acteurs6(*), il reste à s'interroger sur les formes de réorganisation des pouvoirs décisionnels des acteurs, liés au désengagement partiel de l'Etat des circuits de décisions budgétaires et à l'évolution du régime de la tutelle. On s'achemine donc vers une analyse partielle d'un gouvernement local7(*), qui représenterait la totalité des actions publiques déterminées par les collectivités locales au sein d'une juridiction donnée. Quels sont les enjeux, les contraintes ou les marges de manoeuvres propres à chaque acteur dans cette nouvelle donne qui réunit les collectivités territoriales, les chambres régionales des comptes et le Préfet ? Quels sont les lignes de fractures entre ces différents participants au système d'action local ? Et comment s'organisent-ils face aux enjeux déterminant leur participation à la régulation du système d'action local ? Pour accompagner l'apparition de centres de décision politiques indépendants des organes de l'Etat , le législateur à prévu l'existence de Chambres Régionales des Comptes, dont la mission va consister à appliquer localement, sur un territoire donné, les missions de contrôle juridictionnelles et financières normalement et historiquement échues à la Cour des comptes. La majorité des tutelles, administratives, financières ou techniques, pesant sur les institutions publiques locales ont été supprimées, allégées ou assouplies (d'où l'explication, notamment, du titre de la loi : « Droits et libertés des communes, des départements et des régions »). De fait, si les contrôles de légalité, portant par exemple sur les règles budgétaires budgétaire (faisant intervenir représentant de l'Etat et CRC8(*)) peuvent être effectués en amont ; le contrôle de gestion, voire l'évaluation des politiques publiques, sont effectuées à posteriori, ex-post, sur des territoires au sein desquels l'autonomie locale a donc été profondément renforcée. Cependant, si les magistrats financiers des chambres régionales n'ont pas la faculté, eu égard à la légitimité démocratique des élus, d'exercer un contrôle d'opportunité de telle ou telle dépense d'investissement, concept désignant en l'occasion la faculté de jugement subjectif des magistrats financier, la publicité effectuée autour de la gestion des comptes publics concourent à la mutation politique des territoires administratifs et à l'établissement de nouvelles règles de fonctionnement au sein du système d'action local. Car c'est bien là l'un des points central de l'explication du système d'action local. Les élus, disposant, suite aux différentes réformes, de pouvoirs décisionnels importants, notamment en termes d'investissements de structures, n'ont pas forcément goût aux analyses financières formulés par les magistrats, qu'ils prennent pour des prescriptions ni à la publicité faite autour des examens de gestion, lesquels s'insèrent dans l'espace politique local et perturbent ainsi les conditions de réalisation du marché politique local, comme l'obtention des ressources rares. Si le cadre législatif et réglementaire a sensiblement évolué, sous l'impulsion des politiques, depuis les lois de 1982, ce n'est pas le cas du cadre institutionnel qui a conservé une configuration identique. Aussi, devrions-nous peut-être, pour expliquer les modes de coordination et d'intégration des enjeux, nous reporter à d'autres analyses. Nous nous retrouvons ici dans le sillage de P. Le Galès, à la suite de Jessop, « la gouvernance au sens de la sociologie politique est donc définie comme un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux, d'institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains »9(*). Dans ce contexte, l'analyse des types d'acteurs et de leurs ressources procède d'une démarche visant à élucider les mécanismes régulant le système d'action local. Le concept de régulation renvoie ici aux caractéristiques énoncé par Lange et Regini10(*) pour lesquels la régulation se déploie sous trois formes distinctes : le mode de coordination de diverses activités ou de relations entre acteurs, l'allocation de ressources en lien avec ces activités ou ces acteurs, enfin la régulation des conflits. De ce fait le magistrat financier participe de ce mouvement de réorganisation des territoires, modifiant ainsi le métabolisme du système d'action local. Souvent en conflit, de manière légitime, avec les élus ou les représentants des organismes contrôlés, le magistrat financier est devenu progressivement le véritable contrôleur des actes des collectivités territoriales. Sa position, son statut et ses capacités d'interventions font donc l'objet de négociations récurrentes entres les diverses représentants des parties concernées, dont l'élite des magistrats financiers, les membres de la Cour des comptes, et ce, filtrées par la fragmentation politique des territoires et la particularité du système politique français. Dans un premier temps, nous allons nous intéresser au principal sujet de préoccupation des magistrats financiers : les collectivités territoriales. Celles-ci, grâce à la décentralisation, se sont vus accordées une large autonomie fonctionnelle et décisionnelle leur permettant, à l'aide de larges montants financiers, de financer de nombreux d'infrastructures liés à leurs compétences. Les modalités de contrôle par l'Etat de ces collectivités se sont donc modifiés. Dans un deuxième temps, nous allons voir comment les magistrats fonctionnent au sein des chambres, dont le fonctionnement apparaît spécifique au sein du paysage administratif français, au sein d'un corps principalement représenté par les membres de la Cour des comptes. Les magistrats financiers apparaissent conscients des enjeux territoriaux et nationaux liés à l'activité de leur chambre et des chambres régionales des comptes. Enfin, nous nous intéresserons à l'aspect dynamique du système d'action local, au travers de l'étude des conflits, des enjeux ou des cas d'espèces, qui structurent l'opposition entre les élus, décisionnels en matière d'investissement public et les magistrats financiers, responsables de jure de la bonne tenue des comptes publics. Cette partie nous permettra de nous interroger sur le comportement des acteurs en situation d'ajustement des positions. * 1 J.C. Thoenig, « L'innovation institutionnelle », L'Action Publique, Morceaux choisis de la revue politiques et management public (PMP), sous la responsabilité de François Lacasse et Jean-Claude Thoenig, Ed. L'Harmattan, Paris, 1996. * 2 M. Crozier, J.C. Thoenig, «La régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif local », Revue française de sociologie, 16 (1), janvier-mars 1976. * 3 P. Duran, J.C. Thoenig, « L'Etat et la gestion publique territoriale », Revue Française de Sciences Politiques, 4, 1996. * 4 Pour les théories explicatives ou les approches des théories de la régulation : Les métamorphoses de la régulation politique, sous la Direction de Jacques Commaille et Bruno Jobert, Ed. LGDJ, 1998 et notamment : J. C. Thoenig, « L'usage analytique du concept de régulation » ; B. Jobert, « La régulation politique : le point de vue d'un politiste » ; E. Fouilleux, « Le polycentrisme : contrainte et ressource stratégique. Le cas de la politique agricole commune ». * 5 M. Crozier, J.C. Thoenig, « La régulation des systèmes organisés complexes. Le cas du système de décision politico-administratif local en France », Revue française de sociologie, 16 (1), janvier-mars 1976. * 6 P. Duran, J.C Thoenig, « L'Etat et la gestion publique territoriale », Revue Française de Sciences Politiques, 4, 1996. * 7 P. Duran, « Gouvernement local. Du gouvernement local au gouvernement des territoires », cours polycopié, ENS Cachan, 2000/2001. * 8 Chambre Régionale des Comptes * 9 P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », Les métamorphoses de la régulation politique, coll. Droit et société, sous la dir. De Jacques Commaille et B. Jobert, Ed. LGDJ, 1998.. * 10 P. Lange, M. Regini, »State, Market and Social Regulation», Cambridge University Press, Cambridge, 1989. |
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