D. Les navettes
L'optimisation technique et commerciale de l'offre ferroviaire
apparaît comme une priorité pour les havrais qui juge que l'offre
ferroviaire au Havre n'est pas suffisante de la part des opérateurs
présents.
Ainsi, Port Autonome du Havre oeuvre pour la mise en place de
lignes dédiées fret afin d'optimiser l'offre et proposer un
produit qui est dans la concurrence, en prix, fiabilité et temps, le
leitmotiv étant toujours le même : massifier. Pour
répondre à la demande croissante de desserte terrestre et
notamment de transport ferroviaire de la clientèle havraise, il faut
stimuler la concurrence entre les opérateurs ferroviaires afin de faire
baisser les prix du transport des pre- ou post-acheminements terrestres.
Le PAH propose ainsi de remplacer progressivement et pour des
relations pertinentes par leur volume de trafic, les trains dirigés
systématiquement vers le point nodal par un système de navettes
cadencées dès lors que le volume de trafic
généré par une région donnée justifie une
circulation directe.
Les ports d'Anvers et Rotterdam ont largement fondé la
desserte ferroviaire de leur hinterland sur la mise en place de telles
navettes.
La demande du marché est d'obtenir un enlèvement
quotidien à un coût compétitif. La réponse de
l'offre est de proposer un service quotidien et une massification de
l'acheminement.
La technique du point nodal qui n'est pas spécifiquement
ferroviaire, est la consolidation des trafics via une plate-forme centrale.
La technique de la navette est le plein emploi de deux rames de
matériels en aller/retour entre deux points.
Le passage par le point nodal implique que les horaires des
trains soient tributaires de la phase de consolidation qui dure tout de
même quelques heures et génère des coûts de
fonctionnement. La mise en oeuvre d'une navette implique que chaque jour la
relation fournisse dans les deux sens l'alimentation nécessaire à
l'équilibre financier.
Ces deux modes opératoires sont différents mais ils
ne sont pas opposés. Les deux sont des instruments de distribution, l'un
prenant appui sur l'économie générale, l'autre prenant
appui sur l'économie d'un seul axe. Ils sont parfois même
complémentaires car pas mal de navettes sont à destination de
points nodaux ou plutôt de centres de correspondance.
Le PAH, en partenariat avec les opérateurs CNC, ICF ou
Novatrans souhaite approfondir son hinterland par la multiplication de telles
navettes, dédiées aux conteneurs entre Le Havre et quelques
destinations choisies, notamment en direction de l'est et du sud-est de la
France.
La réponse de la place du Havre a pour nom « Le
Havre Shuttles » (LHS), une société anonyme à
statut de commissionnaire, (sorte de coopérative d'achat qui
achète de la capacité à la CNC), commercialisant du
transport ferroviaire, en ayant acheté au préalable des navettes
ferroviaires opérant sur grandes distances ou plus simplement des
« slots ». Les services seront ensuite revendus directement
par LHS aux clients.
L'UMEP est actuellement le principal actionnaire de LHS. Les
syndicats professionnels ont été sollicités de même
que les entreprises privées. Dans le tour de table apparaît
également le PAH pour 34% du capital.
Le PAH a déjà mis en place de tels services en
supportant le risque financier durant le temps de la montée en charge
des services :
· une navette Le Havre/Lille
· une navette Le Havre/Lyon-Vénissieux
· une navette Le Havre/Strasbourg-Cronenbourg
Navette Le Havre/Lille
Pour desservir le Nord-Pas de Calais et mettre en place un
réseau de trafics interrégionaux, Le Havre et le port fluvial de
Lille (ce dernier est commissionnaire) sont reliés en direct par un
train bloc ICF, avec une rotation par semaine.
A titre indicatif, le prix du transport ferroviaire dans chaque
sens (hors manutention) pour un conteneur plein ou vide est de 650 francs pour
un 20', de 800 francs pour un 40'. Il s'agît là de conditions
à priori attractives, mais la distance est trop courte pour permettre au
fer de jouer vraiment son rôle. D'autant plus que les prix de production
semblent plus intéressants au-delà de la frontière, c'est
à dire sur le réseau belge et ses prolongements.
Cependant, la région lilloise proche du port du Havre, est
la 2e région import-export de France après l'Ile de
France. L'enjeu est donc de taille. Le PAH souhaite ainsi, grâce à
cette ligne, faire basculer les trafics d'Anvers vers Le Havre en mettant en
valeur la situation géographique du port normand de 1er port
touché à l'import et dernier à l'export. Le Havre cherche
ainsi à conquérir de nouveaux marchés en
concurrençant les prestations du port belge sur son hinterland.
L'autre facteur majeur d'attraction des trafics est bien
évidemment le coût de transport. Les navettes ont pour but de
minimiser les coûts et les temps de transport, de rendre plus
compétitive l'offre vis à vis des ports concurrents et
générer par conséquent des volumes plus importants et
conquérir des parts de marché.
La navette Le Havre/Lille a ainsi pour but de concurrencer
l'offre de transport fluvial et fluvio-maritime au départ du port
fluvial de Lille et orientée vers Anvers et Rotterdam. Le coût de
transport d'un conteneur sur cet axe (650 francs) est néanmoins encore
trop élevé pour pouvoir rivaliser avec les prestations des ports
du nord.
Navette Le Havre/Lyon-Vénissieux
Créée en partenariat avec la CNC sous la forme d'un
service trihebdomadaire depuis 1996, en réaction à un projet de
mise en place d'une navette Lyon/Rotterdam par l'opérateur privé
européen European Rail Shuttles (ERS), la navette ferroviaire directe
entre les terminaux du port et la plate-forme de la CNC à
Vénissieux connectée aux principaux centres économiques du
sud-est de l'Europe, a permis de réduire les délais de livraison
d'environ 20 heures.
Cette navette connaît un réel succès :
50 000 EVP ont été transportés depuis son lancement. La
CNC jouant le jeu de la massification, les prix ont pu être sensiblement
baissés (jusqu'à 30%).
Navette Le Havre/Strasbourg-Cronenbourg
Strasbourg et sa région constituent un autre gisement de
trafic convoité par les havrais, mais cependant dominé par
l'offre des ports d'Anvers et de Rotterdam.
Depuis janvier 1998, une navette d'une capacité de 80 EVP
circule avec trois aller/retour par semaine entre les terminaux havrais et le
chantier ferroviaire de la CNC à Cronenbourg, connecté aux
principaux centres économiques de l'est européen. Concurrence
oblige, les prix pratiqués sont plus ou moins alignés sur ceux du
Rhin. Même s'il subsiste une légère différence,
cette navette séduit par un transit time plus court.
Le produit monte en puissance avec 600 EVP par mois, ce qui est
d'autant plus apprécié sur la place havraise qu'elle avait subie
de plein fouet la concurrence des services conteneurisés du Rhin.
LHS entend exploiter ultérieurement en propre la navette
sur Strasbourg, en mettant en concurrence CNC et ICF afin de minimiser encore
des coûts et devenir encore plus compétitif sur l'offre de
transport terrestre.
Fort du succès de ces premières expériences,
et particulièrement de la navette sur Lyon, le PAH souhaite
développer ce type de desserte et offrir une palette élargie de
destinations à travers l'Europe par trains navettes.
Il propose la mise en place de quatre nouvelles
navettes :
· Le Havre/Liège via Bruxelles
· Le Havre/Vesoul-Mulhouse
· Le Havre/Vienne-Sopron
· Le Havre/Milan
L'organisation de ces navettes et leur commercialisation seront
le fait d'une structure opérationnelle, en cours de constitution
à l'instigation de PAH, et dans laquelle le port serait majoritaire.
Statut de commissionnaire de transport pour cette opération, la
structure négocierait l'achat de trains auprès des exploitants
ferroviaires, en assurerait la commercialisation et la facturation
auprès des transitaires et armements.
A long terme, et compte tenu du nombre de trains directs que le
port estime générer, PAH revendique l'aménagement
d'itinéraires ferroviaires dédiés au fret et notamment
vers l'est.
Il s'agît en évitant la région parisienne
dont les réseaux sont saturés, d'aménager les voies
existantes entre Le Havre, Amiens, Reims, Chalons en Champagne et Metz.
Le dégagement d'un tel itinéraire suppose des
travaux d'infrastructures et des études d'exploitation.
Le choix du mode de transport ferroviaire dans la desserte de
l'hinterland paraît donc à l'heure actuelle indéniable
étant donné les potentialités existantes de ce mode de
transport et la volonté des politiques de développer cette
alternative. C'est dans cette perspective et dans ce contexte que le port du
Havre souhaite éminemment être desservi par une ligne ferroviaire
pour profiter de ces potentialités, à l'instar de ses concurrents
européens. Sur l'initiative du port du Havre, un projet a
été fondé pour répondre à cette attente et
offrir ainsi au premier port français la possibilité de
conquérir de nouveaux marchés et d'envisager, avec l'appui du
projet « Port 2000 », un avenir plus prospère.
Quel est la nature de ce projet ? Quelles sont les
conditions pour qu'il se réalise et pour qu'il soit
réellement efficace et rentable ?
III. LE PROJET DE CONTOURNEMENT FERROVIAIRE DU BASSIN
PARISIEN DANS LE CADRE DES CORRIDORS DE FRET EUROPEENS
C'est donc sur le rail que se porte l'essentiel de la
compétition pour desservir l'hinterland national et international. Le
développement du Havre nécessitera des infrastructures
performantes de liaisons avec l'est de la France ainsi que l'Europe Centrale et
du sud, permettant d'éviter une région parisienne
déjà bien engorgée. Sachant que la compétition
entre les ports maritimes va se jouer sur leurs capacités de desservir
l'hinterland européen sur des axes ouest-est, l'objectif du port du
Havre est la création d'un axe puissant vers l'est.
Le marché du transport de conteneurs est, comme nous
l'avons vu, en voie d'extension et d'intégration. La desserte de
l'hinterland se conçoit désormais à l'échelle
continentale, européenne et les ports se doivent de développer
leurs dessertes terrestres afin d'atteindre les grandes zones industrielles et
les zones de distribution et d'y conquérir des parts de
marché.
La carte des flux de conteneurs en Europe permet de
visualiser les itinéraires des flux de distribution des conteneurs par
voie maritime ou terrestre. Elle fait apparaître plusieurs zones
géographiques de diverses importances en fonction de la densité
des relations. On peut voir que le champ de compétition des grands ports
européens se situent dans la traditionnelle « banane
bleue » (Bénélux, Allemagne ex RFA, Suisse, Autriche,
Italie du nord) qui symbolise une forte concentration des régions
industrielles dynamiques de l'Europe fortement tournées vers le commerce
international.
La « banane bleue » est un lieu
privilégié pour les importations et les exportations faisant
largement appel aux infrastructures portuaires et aux dessertes terrestres pour
l'acheminement du fret. Cet ensemble forme un champ clos où s'affrontent
les ports majors du nord, Anvers, Hambourg et Rotterdam. Le principal handicap
du Havre par rapport à ses concurrents de la mer du Nord est son relatif
éloignement vis à vis de cet ensemble économique et son
proche hinterland relativement désert. Si la route est
compétitive jusqu'à 500 km, au-delà, rien ne vaut le fer
pour combler ce handicap géographique et jouer dans la même cour
que les « grands ».
Plus de 220 millions d'habitants résident dans un espace
de 1000 km de rayon autour du Havre contre 240 millions pour Rotterdam. Le port
normand, avec le développement de l'outil ferroviaire, a donc toutes ses
chances.
S'il est bon que le port soit connecté à une ligne
dédiée au fret qui le branche, au-delà de Strasbourg, sur
la « banane bleue », cette zone prospère de l'Europe
qui s'étend de Londres à Milan, en passant par Rotterdam et
Hambourg, encore faut-il que les installations terminales sur le port assurent
un tri efficace et le chargement rapide des trains et que ceux-ci dispose d'une
infrastructure suffisamment performante.
Dans un contexte ultra concurrentiel, la France a pris du retard
par rapport aux actions engagées au niveau terrestre en Europe du nord,
étant donné que les choix des grands armements dépendent
désormais, en grande partie, des dessertes ferroviaires, celles
notamment qui permettent d'innerver le centre de l'Europe.
Réaliste, A. Graillot admet que « le Rhin
crée une zone de basse pression » drainant sur Rotterdam et
Anvers un paquet substantiel de boites en provenance ou à destination de
la Suisse, de la France Rhénane et du sud de l'Allemagne. Mais
au-delà du Rhin, en allant plus à l'est, en Autriche ou en
Hongrie par exemple, le port peut de nouveau être compétitif.
Car le champ de compétition ne se restreint plus à
la traditionnelle « banane bleue », un nouvel espace qui
lui est fortement lié, apparaît, constitué de la
République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie,
la Croatie, la Pologne...les PECO (Pays d'Europe Centrale et Orientale) ouverts
récemment à l'Europe de l'ouest et qui sont très
demandeurs de transport et de fret. Les flux devraient ainsi se concentrer de
plus en plus entre les ports et les plates-formes terminales de transbordement
à proximité de ces pays dont le parcours s'effectuera
instinctivement par voie ferrée.
L'intégration économique progressive des PECO
à l'Europe Occidentale sont et seront le principal facteur de la
nouvelle organisation des flux en Europe. C'est sous la pression des
marchés que se construits l'Europe et sous l'influence de
l'évolution des transports.
Sous l'égide de la Commission Européenne, le groupe
TINA (Transport Infrastructure Needs Assesment group) vient de faire des
propositions pour le choix des axes et points nodaux à mettre à
niveau ou à créer dans les pays d'Europe Centrale et Orientale
afin d'assurer la continuité des réseaux transeuropéens de
transport. Ces propositions confortent concrètement l'émergence
d'un vaste espace économique en voie d'intégration rapide
à l'Union Européenne. Les ports maritimes voient donc là
un nouveau débouché apte à renforcer la dimension de leur
hinterland. Le Havre voit là une formidable opportunité pour
développer son hinterland sur un espace encore épargné par
la concurrence portuaire terrestre. Cependant, il faudra aller vite car les
autres ports ne resteront pas longtemps l'arme au pied.
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