C. Un nouveau contexte propice au développement du
transport ferroviaire
La desserte de l'arrière-pays havrais est dominée,
on l'a vu, par le mode routier qui a pris une place prépondérante
dans un contexte logistique de flux tendus sur de courtes et moyennes
distances. Une chose est pourtant certaine, l'option tout route paraît de
moins en moins supportable économiquement, socialement et
écologiquement aux industriels chargeurs, au public et aux politiques.
Après avoir canalisé, compte tenu de sa souplesse et des
retombées économiques immédiates, la plus grande part des
investissements en matière d'infrastructure, l'accroissement des
infrastructures routières n'est plus possible que dans une mesure
limitée, tant pour des raisons de saturation spatiale que pour des
contingences environnementales.
Le transport routier a effectivement été le symbole
de développement de la période de forte croissance
économique d'après guerre (« Trente
Glorieuses ») marquée par un changement des modes de
production industriels : les biens matériels (produits finis et
semi-finis) ont pris la place de l'industrie lourde métallurgique. Les
Etats européens ont largement centré leurs plans
d'aménagement du territoire sur l'utilisation des axes routiers pour
desservir les espaces urbanisés et relier entre eux les grands centres
industriels. En France, la Délégation à
l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale
(DATAR) a longtemps considéré et utilisé le transport
routier comme l'outil privilégié du développement des
territoires régionaux. La politique du « tout
routier » a longtemps été employée. Pendant ce
temps, le transport ferroviaire connaissait une réduction
généralisée de ses réseaux vers les axes les plus
importants et les plus rentables. Aujourd'hui, la route occupe une situation de
monopole sur les transports européens de marchandises qui était
celle des chemins de fer au 19e et au début du 20e
siècle. En 1995, la route a transporté 72% du fret de l'Union
Européenne.
Entre 1970 et 1995, le marché du transport européen
s'est accru de 70%. La part de marché du transport ferroviaire en Europe
est par contre passée de 32% à moins de 16%. C'est la route qui a
bénéficiée en priorité de cette forte croissance.
Selon les instances européennes et si aucune mesure n'était prise
pour enrayer la situation monopolistique du transport routier visant à
rééquilibrer les parts modales des transports européens,
la part du mode ferroviaire passerait de 16 à 9% dans les prochaines
années alors que l'on peut s'attendre à une croissance du fret de
30%.
Après le déclin du mode ferroviaire dans la part
modale des transports en Europe et le protectionnisme des réseaux des
Etats membres, la Commission Européenne a pris plusieurs dispositions
visant à développer le fer au niveau européen, les grandes
potentialités sur longues distances -domaine de prédilection du
fer-, les courtes et moyennes distances étant l'apanage du mode routier.
Les gouvernements donnaient au fer un rôle
prépondérant dans la défense de l'espace national, ces
mêmes espaces nationaux ferroviaires qui provoquaient au niveau
européen de nombreux dysfonctionnements qui ont causé le recul du
rail vis à vis de la route. Les Etats subissent des contraintes
budgétaires qui pèsent de plus en plus lourd et qui, à
terme, rendront la situation des chemins de fer insoutenable. Si rien n'est
fait, cette situation déboucherait à une rationalisation massive
des réseaux, c'est à dire que les réseaux se
réduiraient à quelques grands axes. Il faut, par
conséquent, mettre en place un traitement drastique pour que le rail
renaisse. L'unique solution pour que les chemins de fer renaissent est de
poursuivre la libéralisation entamée par les directives
européennes. Car seule la libéralisation peut sauver le rail. Le
voeu de la Commission Européenne est d'arriver à rendre le mode
ferroviaire aussi intéressant que les autres modes de transport,
à l'échelle européenne. Pour cela, le transport
ferroviaire doit s'ouvrir à la libre concurrence.
Depuis le 1er janvier 1993, les frontières des
Etats membres de l'Union Européenne ont été abolies.
L'Europe est entré dans le marché unique. Désormais donc,
l'échelle des transports est européenne, elle n'est
théoriquement plus tributaire des frontières qui bloquaient un
développement économique homogène grâce aux
transports ? Les échanges internationaux intracommunautaires ont
par conséquent, avec l'ouverture des frontières,
littéralement explosé : les experts prévoient donc
pour les prochaines années une croissance du fret européen de
l'ordre de 30%.
En juin 1993, les Douze membres de l'UE chargèrent le
français J. Delors, le président de la Commission, de
réfléchir sur les politiques à mener afin de sortir de la
crise économique que connaît l'Europe à cette
période. M. Delors présente alors ses réflexions lors du
Conseil Européen de Bruxelles de Décembre 1993 sous la forme d'un
Livre Blanc intitulé « Croissance,
Compétitivité, Emploi. Les défis et les pistes pour entrer
dans le 21e siècle » qui prône la mise en
place d'une politique de grands travaux d'infrastructures dans le secteur des
transports participant au développement économique de
l'Europe.
Suivant les orientations du Livre Blanc, l'Union
Européenne soutient alors, dans le cadre du marché commun, la
libéralisation de l'ensemble des modes de transport afin d'atteindre une
mobilité durable et homogène sur le territoire européen,
et ce, particulièrement au niveau ferroviaire dont les monopoles
nationaux empêchent l'ouverture des réseaux et donc le
développement des échanges intracommunautaires transnationaux par
voie ferroviaire qui présente pourtant de gros potentiels. Pour
déréglementer le transport ferroviaire et proposer une
alternative à la route et atténuer ainsi le
déséquilibre modale européen, la Commission
Européenne a instauré la directive 91/440 qui va dans le sens de
la libéralisation des chemins de fer européens.
Cette directive porte sur deux aspects principaux, à
savoir la gestion des compagnies ferroviaires et l'accès à
l'infrastructure. En résumé, la Directive impose la
séparation comptable entre l'entreprise ferroviaire et le gestionnaire
d'infrastructure. L'entreprise ferroviaire devient un quelconque
opérateur de transport et l'infrastructure est ouverte à la
concurrence pour tout opérateur de transport qui voudrait
l'emprunter.
Les opérateurs ferroviaires, bien souvent nationaux,
doivent être dotés d'un statut d'indépendance vis à
vis de l'Etat, et sont contraints, par conséquent, d'atteindre
l'équilibre financier obligatoire pour le fonctionnement de toute
entreprise (« privée »).
En France, les autorités ont mis en place la stricte
application de la Directive 91/440 : elles ont séparé
l'infrastructure de l'exploitation.
Réseau Ferré de France (RFF) est créé
le 13/12/97 pour gérer le réseau ferroviaire français.
Cependant, ce nouvel établissement public est resté très
lié à la SNCF.
Si la Commission Européenne impose aux Etats membres de
telles résolutions dans le domaine ferroviaire, c'est que ce dernier a
un rôle à jouer prédominant dans le transport en Europe et
apparaît comme un débouché au potentiel énorme dans
l'acheminement des marchandises.
Le transport routier, principal mode employé en Europe
connaît de graves difficultés. La route est d'abord source de
nuisances : pollution atmosphérique, sonore et visuelle qui sont de
moins en moins tolérées par la société. Les grands
axes routiers européens connaissent ensuite aujourd'hui des
problèmes de saturation chroniques, les routes sont sur utilisées
et les abords des grandes agglomérations souvent bloqués, alors
que les potentialités des autres modes de transport comme le chemin de
fer et la voie d'eau sont sous exploités.
C'est pourquoi la Commission Européenne a instauré
la Directive 91/440 afin de « casser » les monopoles
nationaux qui, en gérant et protégeant les trafics
intérieurs nationaux, bloquaient le potentiel ferroviaire
européen.
Car le rail est plus attractif vis à vis de la route pour
les transports massifs sur grandes distances : il peut admettre de grandes
quantités de marchandises sans augmentation proportionnelle des frais.
L'atout majeur du chemin de fer réside effectivement dans le transport
de charges lourdes (jusqu'à 3000 tonnes) sur de longues distances, avec
une consommation énergétique et un coût de transport (si le
trafic est volumineux) modérés.
Le coût du transport est un critère essentiel dans
le choix modal des chargeurs, les propriétaires de la marchandise
transportée. Celui-ci se décompose en deux termes : un fixe,
indépendant de la distance, et un proportionnel à la distance
parcourue. Le mode ferroviaire est caractérisé par un coût
fixe supérieur à la route et un coût kilométrique
inférieur à celui de son concurrent. Il en résulte que le
transport ferroviaire est plus rentable que la route sur les longues distances
et, inversement que le mode routier l'est sur de coutres et moyennes distances.
Le fer est donc facteur d'élargissement du marché.
Il faut aussi que les trafics soient massifs et
équilibrés, c'est à dire qu'ils permettent de remplir
plusieurs trains, dans les deux sens et avec une fréquence suffisante.
Les liaisons ferroviaires s'effectuent donc entre zones économiques
importantes générant beaucoup de fret.
Le mode ferroviaire présente en plus une efficacité
énergétique jusqu'à trois fois plus élevée
que celle du transport par route qui permet de réduire sensiblement les
coûts, surtout sur longues distances.
Un autre des principaux atouts du mode ferroviaire est donc sa
capacité à traiter des trafics importants, sur un même axe
de transport. Le trafic par trains complets est efficace sur des
« segments » bien précis concernant des flux
volumineux peu souhaitables sur la route. Des trains de 1200 ou 1500 tonnes de
charge utile sont courants. Face à la concurrence de la route et de
l'avion, le renouveau du rail passe cependant par l'augmentation de la vitesse
et de la capacité. Du nouveau matériel de circulation et une
coopération entre les réseaux nationaux permettant de
réduire les attentes aux frontières sont ici
nécessaires.
Comme pour les autres modes de transport, la capacité de
transport est étroitement liée à la fluidité du
trafic (nombre de voies, pente, rayons de courbure, mode de traction).
Le rail est également adapté à la tendance
nouvelle de polarisation des territoires et à la concentration des flux
sur des axes de moins en moins nombreux mais de plus en plus lourds. La double
politique du rail qui a pour orientation la suppression des lignes
jugées trop peu rentables et le maintien, voir le renforcement de la
desserte sur les grands axes accompagne cette évolution.
L'essor des échanges intercontinentaux maritimes demande
par ailleurs de nouveaux modes de transport permettant la massification des
acheminements de fret conteneurisés. Cette tendance ouvre de nouveaux
débouchés aux transports ferroviaires car les ports sont
générateurs de fret ferroviaire.
Les professionnels du transport ferroviaire le savent bien,
aujourd'hui les affréteurs pensent en terme d'intermodalité, de
complémentarité lorsqu'il leur faut imaginer l'acheminement de
leur fret. Le transport joue désormais un rôle important dans les
échanges commerciaux mondiaux, il représente les défis du
21e siècle en terme de post-acheminement des marchandises une
fois débarquées à quai et la place que le rail peut et
doit prendre dans ces transports terrestres. Car les ports savent qu'à
l'avenir, les caractéristiques du transport ferroviaire seront
indispensables à l'écoulement des flux de marchandises
massifiés en provenance des super porte conteneurs.
La recherche d'une productivité accrue pour ces grands
équipements conduit alors leurs promoteurs à intégrer
d'emblée l'outil ferroviaire nécessaire à leur
stratégie de massification des pré- et post-acheminements
terrestres des boites.
Mais sur ce marché, la concurrence est devenue et
demeurera féroce entre les divers modes en présence et les
exigences des chargeurs et armateurs exercent tout au niveau du coût
qu'à celui de la qualité de service. Dans ce domaine, la route
reste très compétitive.
Outre le fait que le transport ferroviaire peut être dans
certaines conditions plus compétitif que la route et être
substituable à celle-ci, le rail peut également être le
complément du mode routier : l'augmentation de la
fréquentation des autoroutes ferroviaires avec des volumes importants
peut réduire la congestion des autoroutes routières et optimiser
ainsi pour ce dernier la qualité ce service en réduisant le
transit time et les coûts de transport. Les deux modes de transport
peuvent également fonctionner en synergie : en additionnant les
avantages de l'un et de l'autre, on peut avoir un moyen de transport offrant
des prestations plus intéressantes et compétitives pour les
chargeurs. Le transport combiné rail/route est donc voué à
un avenir prometteur, encadré de plus par la Commission
Européenne.
L'emprise au sol, très importante pour le coût de
l'infrastructure ainsi que la pollution visuelle demeure plus modeste pour le
fer pour des masses transportées potentiellement plus importantes que le
mode routier. L'impact sur la consommation d'espace est ainsi moins fort que la
route, l'emprise au sol est d'environ six hectares par km de ligne ferroviaire
contre dix hectares par km d'autoroute.
Au niveau de la pollution atmosphérique et sonore, le fer
est là aussi plus attractif. La lutte contre la pollution est devenue
une préoccupation majeure pour les pays européens et les
sociétés, la faible consommation énergétique du
fer, sa faible emprise au sol, la réduction des nuisances sonores et des
rejets de polluants et sa grande sécurité font que le transport
de marchandises par voie ferroviaire devient incontournable.
En résumé, le rail s'adapte aux conditions
nouvelles du transport de marchandises face à la route par :
· l'augmentation de la puissance de traction de locomotives
pour l'acheminement de produits pondéreux ou non
· l'utilisation de wagons spécialisés et de
grande capacité
· la souplesse commerciale
· la concentration du trafic lourd sur des
itinéraires spécifiques, de préférence sur les
lignes à faible trafic voyageurs
· l'organisation de trains à charge homogène
(un seul produit) et de trains blocs (trains directs de la gare de formation
à la gare de destination)
· l'organisation de trains rapides et directs de produits
divers
· l'utilisation d'un matériel approprié pour
le transport combiné
Le transport ferroviaire a toutes les chances de jouer l'un des
rôles clés pour le processus d'intégration
européenne. Avec l'augmentation prévue du transport de
marchandises en Europe poussée par la massification du transport
maritime, l'efficacité du transport ferroviaire résidera dans
l'optimisation de la rapidité et de ses capacités de transport
dans un cadre géographique plus large, à l'échelle
continentale et une alternative efficace et plus performante que le mode
routier pourra être ainsi proposée.
Les instances européennes considèrent avec
l'instauration des directives européennes la solution du rail tel un
élément d'intégration à forte capacité.
L'intégration économique européenne allonge les distances
des échanges : dans ces conditions, le fer retrouve des avantages
décisifs sur les autres modes de transport. Ceci est capital, à
condition que l'intégration, l'ouverture des réseaux nationaux se
concrétise à brève échéance et que les
infrastructures soient améliorées.
Pour entraîner cette intégration communautaire, les
communautés portuaires qui misent sur un transport ferroviaire
« libéral » stimulent la mise en oeuvre de services
par navettes sur les principaux centres de production et de consommation d'un
hinterland qu'ils embrassent à l'échelle européenne. Un
arrêté interministériel du 15/03/99 a ainsi autorisé
en France le Port Autonome du Havre à prendre une participation dans le
capital de la société promotionnant la circulation de trains
blocs par liaison directe appelée Le Havre Shuttles (LHS).
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