C. Le projet de GCP dans le cadre des corridors de fret
Le traitement d'un itinéraire ferroviaire à
priorité fret ne constitue pour la communauté portuaire havraise
qu'une réponse partielle à la question de l'amélioration
de la desserte ferroviaire du port. Les mesures de libéralisation du
transport ferroviaire sont un autre point sur lequel Le Havre doit porter son
intérêt pour développer son hinterland.
En juillet 1996, le Livre Blanc de N. Kinnock «Une
stratégie pour revitaliser les chemins de fer communautaires »
souligne la nécessité d'introduire dans l'environnement
ferroviaire des mécanismes de marché et de tirer parti de
l'ouverture des frontières intracommunautaires. Ce document, mettant en
exergue des vitesses commerciales de trains souvent inférieures à
20 km/h compte tenu des arrêts techniques en frontières,
suggère la création de « freeways » dont le
double objectif vise, d'une part, à assurer la liberté
d'accès à tous les opérateurs ferroviaires, et d'autre
part, de faciliter et simplifier l'usage de l'infrastructure ferroviaire,
notamment pour le transport de fret transfrontalier. La libéralisation
de l'Europe ferroviaire, en application de la Directive Européenne
91/440, prévoit, outre le libre accès aux réseaux
nationaux pour tout opérateur implanté dans l'Union
Européenne et la séparation de l'exploitant d'avec la gestion de
l'infrastructure, la mise en place de structures de coopération entre
les réseaux pour simplifier l'exploitation du transport de fret
transfrontalier. Ce dernier objectif a donné lieu à la
définition d'itinéraires ferroviaires dédiés
à l'acheminement du fret, initialement appelés
« freeways » puis TERFF (Trans European Rail Freight
Freeways), couloirs réservés aux circulations de fret, ouverts
à la concurrence et régulés par une autorité
supranationale. Les TERFF doivent présenter selon le respect de la
législation européenne (Directives 91/440 et 95/18-19) quelques
caractéristiques :
· l'accès aux couloirs doit être
accordé sur la base de critères non discriminatoires à
tous les opérateurs
· les couloirs doivent être ouverts au cabotage et au
trafic international
· les terminaux de fret doivent être ouverts à
tous les opérateurs ferroviaires
· les horaires des sillons doivent être
coordonnés entre pays participants pour donner une meilleure
fluidité au passage des frontières
· la commercialisation de l'usage et la gestion du trafic
des freeways doivent être opérées par le biais d'un guichet
unique dit « one stop shop » qui assurera l'exploitation
commerciale et notamment la réservation des capacités de
transport pour chaque client en fonction des disponibilités
Le guichet unique est la structure commerciale
représentant tous les gestionnaires d'infrastructure concernés
par le corridor transeuropéen créé, chargée
d'octroyer les droits d'accès, de tracer la circulation des trains et de
percevoir les redevances d'utilisation pour l'emprunt du corridor. C'est
l'unique interlocuteur pour le client chargé de la coordination entre
les différents gestionnaires nationaux d'infrastructure.
La tarification s'effectue par l'addition des redevances
nationales. Des grilles tarifaires sont ainsi mises en place. Mais de
nombreuses différences dans les péages entre pays membres
créent de nouveau des difficultés car certains se sentent, comme
la France, lésés.
Les exploitants des chemins de fer nationaux ne percevront que
des péages.
L'impact sur les prix de transport pourrait atteindre près
de 25% de réduction. La nouvelle entente européenne devrait
réduire les temps de parcours de 20% et générer du
même coup un trafic supplémentaire de deux à trois millions
de tonnes par an.
Dans l'esprit de la Commission Européenne, les freeways ne
sont que des solutions à court terme pour renverser la situation
actuelle et marquer des points dans la bataille contre la route, en attendant
la mise en place définitive de la libéralisation.
La mise en place des premiers freeways ferroviaires a
été officiellement annoncée en 1997 par la Commission
Européenne. Trois tracés, tous orientés nord-sud ont
été définis. Ils partent respectivement de Rotterdam et de
Hambourg/Bremerhaven pour rejoindre selon le cas, l'Italie ou l'Europe Centrale
dont un vers Sopron en Hongrie. Leur mise en place se fera sur la base
d'accords de coopération entre les entreprises gestionnaires. Les
réseaux sont reliés entre eux et échangent ainsi des
trafics : ces systèmes supposent alors une normalisation technique
(écartement des voies, gabarit du véhicule, système
d'attelage et de freinage), opérationnelle (composition des
tracés et circulation du matériel), commerciale, tarifaire,
juridique et informatique...pour faire un pas en avant vers
l'interopérabilité de la circulation des trains. Les
délais d'acheminement pourront être réduits grâce
à l'amélioration technique des possibilités de transit
international en Europe et rendront le chemin de fer plus compétitif. La
vitesse commerciale des corridors pourraient s'élever de 50 à 70
km/h au lieu de 16 km/h actuellement, grâce à des
réductions d'attente aux frontières (changement d'engin de
traction et de personnel de conduite) allant jusqu'à 80%.
Ressource essentielle du transport ferroviaire, la traction
revêt une importance plus aiguë encore dans la mise en oeuvre des
corridors de fret. Apanage des entreprises ferroviaires -au sens de la
Directive Européenne-, la traction nécessite une adaptation aux
différences de courants, de signalisations existant en Europe conduisent
à imaginer pour ces axes des machines poly courant, seul passe partout
face aux frontières techniques des réseaux qui rallongent les
délais d'acheminement et baissent le niveau de
compétitivité. Comme la 36000 Aristide qui pourrait aller, en
considérant le seul captage du courant, de Belgique en Italie via la
France.
D'autres itinéraires sont également prévus
et notamment un corridor entre le Royaume-Uni et la Hongrie.
On peut remarquer que les premières applications des
freeways sont au service des grands ports européens étant
donné l'enjeu qu'ils représentent pour l'économie
européenne qu'ils alimentent par la distribution terrestre des
marchandises. Dans le contexte actuel, la massification des flux des ports vers
leurs arrière-pays sont donc une obène pour le transport
ferroviaire.
Par ailleurs, la mise en place des premiers freeways
européens suscite les réserves voire les réticences des
acteurs français, qu'il s'agisse des pouvoirs politiques ou des
opérateurs car les premiers corridors définis par Bruxelles sont
prioritairement orientés nord-sud, servant ainsi l'approfondissement des
arrière-pays hanséatiques et scaldéens et évitent
remarquablement la France. Car les projets soutenus par la Commission
Européenne contournent les pays réticents à une plus
grande libéralisation. Ainsi, la Belgique la France et l'Espagne sont
absents des projets de Bruxelles. Or, la France, du fait de l'importance de ses
flux de transit, ne peut pas rester à l'écart et voir ainsi des
trafics lui échapper. Les ports français veulent eux aussi rester
dans la course des ports européens et ont donc fait pression sur le
gouvernement français et la SNCF afin de mettre en place des corridors
de fret sur le territoire français. Il en résulte que la SNCF a
proposé sa propre vision des couloirs de fret et a lancé son
projet de « freightway ». Ce vocable a été
choisi pour montrer que ce concept diffère de celui de la Commission
Européenne. La France et ses voisins insistent plus
particulièrement sur la notion de coopération entre les
réseaux et les entreprises nationales ferroviaires offrant la même
qualité de service que les corridors européens, avec des
coûts tout aussi compétitifs. Seules les entreprises ferroviaires
et les regroupements internationaux autorisés par les gestionnaires
concernés peuvent y circuler. La différence s'exprime
également dans la conception du guichet unique : les gestionnaires
d'infrastructure de chaque Etat peuvent garder un contrôle, et restent
libres de donner ou non mandat au guichet unique en ce qui concerne les accords
techniques, administratifs et financiers définissant les conditions
d'accès à l'infrastructure. Les gestionnaires d'infrastructure
conservent un droit national (pour les besoins nationaux).
Ainsi s'annonce un combat juridique et commercial entre deux
courants : l'un prônant la voie de la coopération sur un
traitement technique des itinéraires, l'autre vers la
libéralisation et l'ouverture totales des réseaux, les deux ayant
tout de même en commun l'émancipation des mécanismes de
marché des contraintes de franchissement des frontières. Le
gouvernement français et la SNCF ne veulent pas d'une
libéralisation « sauvage », qui les priverait des
trafics les plus rentables.
En réaction à la publication de la première
carte des TERFF établie par Bruxelles, la SNCF, associée aux
chemins de fer luxembourgeois et belges, a annoncé en 1998 la
création d'un corridor ferroviaire pour le fret entre Muizen, noeud
ferroviaire desservant Anvers, et Lyon/Sibelin/Vénissieux. Ce corridor
devrait être prolongé vers l'Italie et l'Espagne.
On peut comprendre alors l'irritation du port du Havre quand il a
découvert la carte des corridors européens d'une part, la
création du freightway entre Anvers, concurrent sérieux du Havre,
et le coeur de l'hinterland du port havrais d'autre part.
Les revendications françaises concernant notamment le
dégagement d'un corridor entre Le Havre et Strasbourg et son
prolongement jusqu'à Sopron ont longtemps été
rejetées par Bruxelles du fait de l'opposition allemande. L'approche
française du corridor ferroviaire se heurte à la conception
très libérale de Bruxelles, soutenue par les allemands et les
hollandais, qui incluent le cabotage. Il semble toutefois que la copie ait
été revue et que la carte ferroviaire européenne
s'enrichira en particulier d'un corridor reliant Le Havre avec l'est. En effet,
afin de développer la part de marché du trafic fret entre la
Grande Bretagne, les ports du Havre et de Dunkerque et le centre de l'Europe,
la DB AG, Eurotunnel, les ÖBB, les RoeEE AG, Railtrack, RFF et la SNCF
sont convenus de créer un corridor de fret entre les zones de
concentration des trafics de Glasgow, de Liverpool, Manchester, Birmingham,
Londres, Dunkerque, Le Havre, Metz, Strasbourg, Francfort, Wurzburg, Nuremberg,
Passau, Wels, Linz, Vienne, Sopron.
L'accord cadre signé à Vienne le 3/3/1999 est la
concrétisation des contacts établis entre ces compagnies
ferroviaires qui avaient abouti le 3/7/1999 à la signature d'une lettre
d'intention pour la mise en place d'un corridor entre l'ouest et le centre de
l'Europe. La mise en place de ce corridor se fait en application de la
réglementation européenne, sur la base d'accords de
coopération entre les entreprises gestionnaires d'infrastructure. Quatre
sillons internationaux ont été établis et permettent de
relier quotidiennement Sopron, à Mossend près de Glasgow ou au
Havre. Le guichet unique, situé en Autriche coordonne les processus de
planification des sillons et leur attribution aux entreprises ferroviaires ou
aux regroupements internationaux respectant les dispositions des directives
91/440, 95/18-19 qui en font la demande. Cependant ce corridor n'est que
théorique et n'existe que sur un plan juridique, aucun service n'a
été commercialisé pour l'instant, les premiers trains ne
pouvant être assurés qu'après le règlement de
nombreux problèmes techniques qui rendent le parcours beaucoup trop
cher.
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