L'utilisation des nouvelles technologies dans le procès civil : Vers une procédure civile intégralement informatisée ?par Sophia BINET Université LUMIERE LYON 2 - Master Droit Processuel 2005 |
introduction« Les technologies de l'information et de la communication sont porteuses de promesses dans tous les domaines. Leur vertu est de mettre de la rapidité dans ce qui est lent, de la fluidité dans ce qui est lourd, de l'ouverture dans ce qui est fermé ».1(*) Jean-Pierre RAFFARIN La procédure civile s'est historiquement construite autour du support papier. Traditionnellement en effet, les actes de procédure tels que l'assignation, les actes du palais, les conclusions, les ordonnances sont des actes écrits au sens où ils sont délivrés sur papier. Le Nouveau Code de procédure civile, nommé ainsi en raison de la réforme du 1er janvier 1976 qui a dégagé les nouveaux principes directeurs du procès civil, recèle une pléthore d'hypothèses dans lesquelles l'utilisation de l'écrit implique en pratique un support papier. En effet, certaines dispositions exigent directement et explicitement la présence d'une signature manuscrite comme par exemple l'article 456 alinéa 1er du NCPC qui dispose que « le jugement est signé par le président et le secrétaire » ou l'article 901 du NCPC qui énonce que la déclaration d'appel est signée par l'avoué à peine de nullité. D'autres dispositions impliquent concrètement l'intervention du papier destiné à laisser une trace de l'évolution de la procédure. L'écrit est alors dans ces cas utilisé pour encadrer la procédure en formalisant les accords des parties2(*) ou bien en fixant leurs prétentions3(*). Dans le même sens, les personnes qui concourent à la procédure sont bien souvent tenues de recourir à l'écrit papier. Tel est le cas par exemple des Huissiers de justice qui doivent utiliser le papier et des enveloppes pour signification des actes4(*) ou bien des médiateurs ou conciliateurs qui informent le juge par écrit à l'issue de leurs missions5(*). Les innovations technologiques de ces dernières années viennent bouleverser cette culture du papier comme premier support des relations entre le justiciable et les partenaires de la justice. Avec l'apparition du télégraphe, de la machine à écrire, ou plus récemment du minitel et de la télécopie, les méthodes de travail ancrées autour de la culture de la plume s'en sont nécessairement trouvées modifiées. Mais ces techniques, aujourd'hui intégrées dans le pratique judiciaire, n'ont pas soulevé autant de questions et suscité autant de débats passionnés que l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la sphère procédurale française. Ainsi, la procédure civile entre dans l'ère du numérique, notamment depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 mars 2000 et ses décrets d'application plaçant sur le même pied d'égalité le support papier et le support électronique. Le développement des nouvelles technologies dans la justice a touché en premier lieu le domaine administratif. Il répondait à une volonté politique inscrite dans le cadre plus général de la réforme de l'Etat, exprimée pour la première fois dans un discours prononcé par le premier ministre le 25 août 1997 à Hourtin, dans lequel celui-ci énonçait sa ferme intention de simplifier, d'accélérer et de rendre plus sûre et moins coûteuse la justice par l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Un an plus tard, le Programme d'Action Gouvernementale pour l'entrée de la France dans la société de l'information (P.A.G.S.I) a vu le jour et s'en est suivi de multiples discours, décisions tendant à la modernisation du système administratif. Le vent nouveau de l'usage de ces outils modernes soufflant sur l'administration a alors gagné le domaine judiciaire. Les avantages retirés de l'utilisation de la plupart des produits proposés aux acteurs administratifs ont pu convaincre progressivement les plus réticents de l'utilité pour la justice civile de ne pas méconnaître leurs apports. Sous l'appellation « nouvelles technologies de l'information et de la communication », il convient d'entendre l'ensemble des instruments pourvus d'une technologie moderne utilisés pour traiter, modifier et échanger de l'information, plus spécifiquement des données numérisées. La naissance de ces outils est due notamment à la convergence de l'informatique, des télécommunications et de l'audiovisuel. L'informatique est la science du traitement automatique de l'information par des ordinateurs, le terme « informatique » venant de la contraction des mots « information » et « automatique ». Il a été proposé en 1962 par Philippe Dreyfus et accepté par l'Académie française en 1966. Née avec l'apparition des premiers ordinateurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'informatique a tout d'abord pour mission de pallier les insuffisances humaines. Elle permet aussi de diffuser une information par le biais de réseaux, dont Internet constitue l'exemple le plus marquant. En effet, issu du réseau ARPANET qui a été conçu dans les années soixante pour le département Américain de la Défense, Internet constitue à ce jour le plus grand réseau du monde accessible aux professionnels comme aux particuliers. Il peut donc être considéré comme le seul réseau spécialisé dans l'information. En effet, son but n'est plus, comme à l'origine, de transmettre quelques lignes à partir de messageries, mais d'échanger des documents électroniques, des données informatisées, des informations dématérialisés, etc. D'autres technologies tels que les logiciels, les lieux publics virtuels, les courriers électroniques, les bases de données font parties des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ainsi, ces instruments permettent tout à la fois d'échanger de l'information, de mettre en commun des documents, ou encore de diffuser une donnée à une personne quelque soit l'endroit où elle se trouve. La mise à disposition des informations juridiques sur Internet ou sur cédérom recueille un sérieux succès. En effet, des entreprises privées du marché de l'édition juridique et des concessions de service public ont eu l'ambition de mettre en ligne gratuitement des renseignements juridiques qui existent sur papier sur un support informatique ce qui permet aux justiciables de disposer d'un grand nombre de données rapidement. La création d'un tel corpus documentaire numérique a été concevable par l'application d'un procédé informatique appelé « base de données ». L'article L113-3 Code de Propriété Intellectuelle6(*) définit une base de données comme « un recueil d'oeuvres de données et d'autres éléments indépendants disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessible par des moyens électroniques ou d'une autre manière ». Néanmoins, ces nouvelles technologies concernent le marché de l'édition électronique et non le fonctionnement de la procédure civile en temps que telle. Dès lors, en dépit de leur intérêt fondamental quant à la question de l'accès aux informations juridiques pour les usagers et professionnel du droit, notre développement ne portera pas sur cet aspect. La procédure civile connaît une utilisation progressive de nouvelles technologies de l'information et de la communication alors que les citoyens ne peuvent pourtant pas tous y accéder. Depuis une dizaine d'année en effet, la justice civile est concernée par ce mouvement d'entrée dans l'ère de la technologie. Elle est dotée d'outils tels que des chaînes informatiques dans les tribunaux auprès des magistrats et greffiers, des logiciels performants pour la gestion des dossiers dans les études d'huissiers de justice, notaires et dans les cabinets d'avocats, des courriers électroniques et boites de messagerie utilisés par ces professionnels, des sites Internet, des portails juridiques permettant des échanges dématérialisés entre tous les partenaires de la justice civile. Ces moyens techniques modernes permettent donc un échange entre les protagonistes du procès qui peuvent effectuer nombreuses démarches judiciaires par voie électronique. Notre développement portera exclusivement sur ces instruments qui permettent une communication de l'information entre les différents intervenants au procès civil. Pour davantage d'intelligibilité, il conviendra de les appeler simplement nouvelles technologies. Face à la croissance notable du maniement des nouvelles technologies en matière administrative et pénale, l'utilisation de ces procédés dans la procédure civile reste timide. En effet, les modes de représentation, la présence de l'oral et de l'écrit, le nombre de personnes qui interviennent au procès y sont les plus diverses. L'instauration de procédés techniques dans cette sphère est donc davantage complexe; elle exige une adaptation lente et délicate afin de ne pas bouleverser l'équilibre procédural, les principes directeurs du procès et la sécurité juridique. Le développement des télé-procédures, la création de nouveaux modes de traitement et de transfert des données, la dématérialisation des informations ou encore de la signature électronique soulève donc des interrogations, des difficultés légitimes qu'il paraît opportun d'étudier à un moment où la procédure civile commence à changer de visage. En effet, la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique, enjeu majeur pour la pratique judiciaire, ne semble être qu'une prémisse du passage de la sphère civile procédurale dans le monde de l'électronique. L'actualité est brûlante s'agissant de l'extension de l'usage des nouvelles technologies dans la procédure civile : le rapport « Célérité et qualité de la justice » de Monsieur Jean-Claude Magendie du 15 juin 2004 a été déposé au Garde des sceaux, ministre de la Justice, le 6 septembre 2004 ; le projet de décret d'application de la loi du 13 mars 2000 pris en Conseil d'Etat et relatif à l'adaptation des actes authentiques sur supports électroniques a été évoqué le 14 juin 2005 et sera prochainement publié ; le garde des Sceaux a présenté en Conseil des ministre le 15 juin 2005 une ordonnance prise en application de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique et dans laquelle il projette de modifier certaines dispositions du Code civil ; la norme AFNOR Z 43-400 relative à l'archivage de données électroniques sera homologuée en principe dans le courant du mois de juin 2005. La technique vient modifier la perspective dans laquelle se situe le droit. Dès lors, celui-ci ne peut plus être regardé de la même manière : les relations entre le justiciable et les partenaires de la justice, entre le citoyen et le droit, se modifient ouvrant la voie à une justice nouvelle car électronique. Néanmoins, l'avenir qu'offre l'instauration des nouvelles technologies dans la procédure civile paraît prometteur à condition de contrôler leur impulsion : la sécurité juridique doit être au coeur de la réflexion quant à la question de savoir si la procédure civile pourra un jour être totalement dématérialisée et si elle s'effectuera intégralement en ligne. Les profits suscités par l'utilisation des nouvelles technologies dans la procédure civile mèneront-ils à une société du « tout électronique » ? L'informatisation intégrale de la sphère civile procédurale peut-elle être envisagée en dépit des risques qu'elle génère quant à l'équilibre judiciaire ? Au-delà de cette problématique générale relative aux perspectives d'avenir de l'utilisation des nouvelles technologies dans la procédure civile, de nombreuses interrogations doivent conduire notre réflexion : les atouts procurés par ces outils sont-ils en adéquation avec les principes fondamentaux du procès civil et les règles déontologiques des professions judiciaires ? De quelle manière l'usage des nouvelles technologies peut garantir la confidentialité, l'intégrité et l'authenticité d'un échange électronique ? Les mécanismes techniques de certification assurant la sécurité de transmissions numériques sont-ils fiables et méritent-ils la confiance que certains praticiens du droit leur confèrent ? Comment contourner les difficultés inhérentes à l'utilisation des nouvelles technologies afin de ne pas bouleverser l'organisation judicaire et les garanties fondamentales d'une bonne justice ? L'étude des nouvelles technologies dans la procédure civile implique nécessairement d'aborder des questions techniques tel que le mécanisme de la certification, la cryptographie ou encore les systèmes experts. La compréhension du fonctionnement de ces outils paraît indispensable pour répondre à l'ensemble des interrogations suscitées par un tel sujet. Utiliser les nouvelles technologies dans la procédure civile afin de palier aux difficultés de lenteur et à certaines inefficacités du système judiciaire semble être actuellement une solution profitable pour tous les protagonistes du procès civil. En effet, les modifications des méthodes de travail qu'induit un tel changement profitent aux magistrats, auxiliaires de justice et justiciables. Ils peuvent retirer de l'utilisation de ces procédés des avantages perceptibles en terme d'efficacité, de productivité et de rapidité notamment grâce au mécanisme de la certification qui garantie la sécurité juridique (Partie 1). Néanmoins, l'éclat procuré actuellement par le maniement des nouvelles technologies dans la procédure civile ne doit pas dissimuler certaines réalités. Afin que ces outils modernes offrent aux acteurs du procès civil ainsi qu'aux usagers de la justice ses atouts, un discernement est nécessaire quant aux limites à leur apporter (Partie 2). * 1 Discours du Premier Ministre du 12 novembre 2002 devant l'assemblée Générale de l'electronic business group, in P. HERRISON et B. SIDO, Rapport 345, 2002-2003, Commission des affaires économiques, www.senat.fr * 2 Articles 238, 1443 et 1449 du Nouveau Code de procédure civile * 3 Articles 727, 871, 879 et 946 du Nouveau Code de procédure civile * 4 Articles 653 et suivant du Nouveau Code de procédure civile * 5 Articles 131-11 et 832-7 du Nouveau Code de procédure civile * 6 Directive Européenne du 11 mars 1996 transposée en droit français par la loi du 1er juillet 1998 |
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