Les mécanismes internationaux de protection et l'effectivité des droits de l'hommepar Kiliya Dominique KAMWANGA Université D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droit de la personne et de la démocratie 2005 |
SECTION 1 : Garantie des droits sous la Charte des Nations Unies : LaCommission des Droits de l'HommeL'article 68 de la Charte de l'ONU donne mandat au « Conseil Economique et Social »40(*) d'instituer « des commissions [...] pour le progrès des droits de l'homme »41(*) y compris « la Commission des droits de l'homme » (CDH)42(*). Instituée par la résolution 5 (I) du 16 février 1946, la Commission des Droits de l'homme est le principal organe des Nations Unies pour la promotion et la protection de ces droits. Son mandat très large en fait l'organe pivot que Mary ROBINSON, ancienne Haut Commissaire des Droits de l'Homme, n'hésite pas à qualifier de « principal architecte de l'action des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme ». Il est important de noter que la Commission est un organe politique composé de représentants des Etats qui agissent sur leurs instructions. Elle compte actuellement 53 Etats membres choisis pour trois ans en fonction de subtils équilibres régionaux pour donner une image fidèle de la communauté internationale43(*). C'est en vertu de cela qu'il est qualifié de mécanisme extra-conventionnel. Et Olivier de FROUVILLE préfère parler, carrément, d'organe intergouvernemental qu'il ne faut pas confondre avec son organe subsidiaire, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités44(*) devenue Sous-Commission des droits de l'homme. Depuis sa création, la Commission constitue un forum d'expression unique sur les droits humains. Elle attire régulièrement des hauts responsables gouvernementaux ainsi que des victimes, des institutions nationales de défense des droits humains, d'autres organes des Nations Unies et des Organisations Non Gouvernementales qui lui fournissent des informations sur la situation des droits humains dans toutes les régions du monde et lui apportent leurs compétence sur les thèmes inscrits à l'ordre du jour de ses sessions.45(*) L'instauration d'un espace de dialogue a ainsi permis la mise en place d'un système solide de protection des droits humains : l'élaboration des traités et autres normes juridiquement contraignants. Son mandat se trouve élargi à tous les droits - civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, y compris le droit au développement -46(*). L'ensemble des procédures et mécanismes de la Commission des droits de l'Homme forme les « procédures spéciales » dont le caractère « ad hoc » permet de répondre de façon plus souple aux graves violations des droits de l'Homme. Les mandats y relatifs consistent à examiner et à surveiller la situation des droits de l'homme dans un pays ou un territoire donné ou les violations majeures des droits de l'homme à l'échelle mondiale. Dans le premier cas, on parle de mécanismes ou mandats par pays (paragraphe 1) tandis que dans le second cas il s'agit des mécanismes ou mandats par thèmes (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Les mécanismes géographiques : mandats par paysEn guise de rappel, l'une des premières missions de la CDH consistait à l'élaboration des projets de déclarations ou de conventions sur les droits de l'homme. C'est en son sein qu'ont même été rédigée la DUDH du 10 décembre 1948 et les deux pactes de 1966. On peut dire que de 1947 à 1966, la mission de la CDH consistait principalement en l'élaboration d'une Charte Internationale des droits de l'homme47(*). Sur cette activité de codification vint se greffer en 1967 la mission de s'occuper des violations des droits de l'homme à travers le monde qui l'amena à mettre en place les mécanismes élaborés de contrôle du respect dont la compétence de supervision n'est pas liée à la question de savoir si le pays en cause a ratifié telle ou telle convention sur les droits de l'homme. Il suffit plutôt que le pays en cause soit membre des Nation Unies pour que cette procédure soit activée. Les rapporteurs des mandats sur les pays surveillent en général la situation complexe en matière des droits de l'homme dans les régions où des violations massives se seraient produites, souvent à la suite de violences ou de conflits à vaste échelle. L'examen des Communications et des situations des violations est fait soit par la procédure publique (A), soit dans le cadre des procédures confidentielles (B). A- La procédure publique : « Résolution 1235 »Créée par la résolution 1235 (XLII) du 6 juin 1967 de l'ECOSOC, la procédure publique permet à la Commission et à sa Sous-Commission de s'autosaisir pour examiner les situations qui révèlent des violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme48(*). La situation a été adoptée au moment où était menée la politique d'apartheid en Afrique du sud et en Rhodésie du Sud (Zimbabwe). Elle est dite publique parce qu'elle donne lieu à la publication d'un rapport. Par cette résolution, la Commission et la Sous-Commission peuvent dans certains cas, prendre des mesures au sujet des plaintes relatives aux droits de l'homme. La Commission peut en autre, s'il y lieu, et après avoir examiné attentivement les renseignements reçus, entreprendre une étude approfondie des situations qui relèvent de constantes et systématiques violations des droits de l'homme et présenter un rapport et des recommandations à ce sujet au Conseil49(*). Il s'agit, à travers cette procédure d'exercer une pression diplomatique sur l'Etat mis en cause. En effet, le fait que d'autres Etats et ONG soient tenus informés des violations des droits de l'homme peut contraindre le pays dont la responsabilité a été établie à faire cesser cette situation. La Commission a ainsi mis en chantier une étude des modalités qui permettent la réception de nombreuses communications émanant des particulières ou d'organisations non gouvernementales50(*). Elle peut être initiée par un Etat, par un groupe d'Etats ou à l'initiative de la Sous-Commission et donne lieu chaque année à un lobbying intensif des ONG et des Etats concernés. Les uns s'employant à ce que la procédure débouche sur une résolution de la CDH prononçant une condamnation publique de l'Etat en cause, celui-ci et ses alliés cherchant le résultat contraire51(*). La procédure publique permet à la Commission d'examiner sans restriction toute situation révélant des violations des droits de l'homme dans certains pays en séances publiques. La première situation examinée fut celle qui régnait au Chili depuis le renversement par la violence, en 1973, du gouvernement constitutionnel du Président Salvador ALLENDE. Par la suite, la Commission a généralisé sur la base de l'exemple chilien, la mise en place de procédures concernant certaines situations. De nombreux « rapporteurs spéciaux, groupes de travail »52(*) et « représentants du Secrétaire Général »53(*) vont être progressivement nommés et vont déployer une activité énergique dans le but d'éliminer les violations les plus manifestes des droits de l'homme. Ils procèdent à la rédaction de rapports en utilisant tous les moyens mis à leur disposition54(*). Parmi les groupes de travail constitués dans le cadre de la « procédure 1235 », le professeur Rusen ERGEC mentionne celui qui fut constitué pour l'Afrique du Sud et le Comité spécial, toujours actif, pour l'investigation des pratiques israéliennes affectant les droits de l'homme du peuple palestinien et d'autres territoires occupés. Un autre cas significatif est la nomination du professeur ERMACORA comme rapporteur spécial à la suite de l'invasion de l'Afghanistan par l'Union Soviétique qui se livra à une enquête approfondie dans les pays limitrophes et dénonça de nombreuses violations des droits de l'homme dans son rapport. Les autres exemples de rapporteurs spéciaux nommés par la CDH sont ceux pour les pays suivants : Burundi, Cuba, Guinée Equatoriale, Iraq, Myanmar, République Démocratique du Congo, Rwanda, Palestine occupée, Soudan, Bosnie Herzégovine, République de Croatie, République Fédérale de Yougoslavie. Quant à ce qui concerne les mandats confiés au Secrétaire Général de l'ONU, il faut citer la situation des droits de l'homme à Chypre, en Eutonie et Lettonie (les minorités linguistiques), le Kosovo et le Timor oriental. Comme les Etats n'aiment pas être stigmatisés publiquement comme auteurs de violations graves et systématiques des droits de l'homme, l'action de la CDH au titre de la « procédure 1235 » est salutaire car elle débouche, le plus souvent, sur une condamnation publique, laquelle a une haute portée morale. Il s'est alors avéré très difficile d'obtenir la mise en oeuvre de cette procédure qualifiée, par la plupart d'Etats, de plus contraignante et plus gênante. Ainsi, ayant constaté cette difficulté, la Sous-Commission a élaboré un projet de résolution sur les règles relatives à l'examen des Communications parvenues au Secrétaire Général au titre de la « Résolution 728 F »55(*). Il s'agit de la procédure confidentielle entérinée dans la résolution 1503 (XLVII) dont l'analyse est faite dans les lignes qui suivent. * 40 Aux termes de l'article 62 de la Charte de l'ONU, le Conseil Economique et Social peut « faire des recommandations en vue d'assurer le respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous ». * 41 PELLET (Alain) et COT (Jean-Pierre), la Charte des Nations Unies Commentaire article par article, Paris/ Bruxelles, Economica/ Brusfort, 1985, pp 1009-1026. * 42 La commission des Droits de l'Homme est l'une des six commissions techniques du Conseil Economique et sociales notamment les commissions de la statistique, de la population, du développement social, de la condition de la femme et des stupéfiants. * 43 ERGEC (Rusen), Protection européenne et internationale des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, p59. * 44 DE FOURVILLE (Olivier), Les procédures thématiques : une contribution efficace des Nations Unies à la protection des Droits de l'homme, Paris, Pédone, 1996, p16. * 45 Réunie pour la première fois en 1947, la Commission organise chaque année (en mars et avril) une session ordinaire à Genève.Ses travaux sont régis par les dispositions du règlement intérieur des Sous-Commissions techniques du Conseil économique et social. Seuls ses membres ont le droit de vote. Elle peut toutefois inviter tout Etat à participer à la discussion de toute question qui, à son avis, intéresse particulièrement cet Etat. Elle peut aussi inviter tout mouvement de libération nationale reconnu par l'Assemblée générale ou en vertu des résolutions adoptées par cette dernière à participer à la discussion de toute question qui intéresse particulièrement ce mouvement. Par ailleurs, les institutions spécialisées et certaines autres organisations intergouvernementales peuvent participer aux délibérations concernant les questions qui les intéressent ainsi que des organisations non-gouvernementales dotées du statut consultatif qui peuvent désigner leurs observateurs afin de prendre part aux séances publiques. Voir Nations Unies, Mécanismes des droits de l'homme, Fiche d'information N°1, Genève, Centre pour les droits de l'homme, mai 1993, p 7. * 46 Amnesty International, « de la Commission des droits de l'Homme au Conseil des Droits de l'Homme. Le défi d'une transformation », Londres, EFAI, Index AI : IOR 40/008/2005, Avril 2005, p 4. * 47 La sous-commission est un organe subsidiaire créé par la CHD en 1947, aujourd'hui Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Elle prépare les rapports et les recommandations qui sont ensuite soumis à la CDH * 48 Organisation des Nations Unies, « Descriptif de la Commission des Droits de l'Homme. Présentation générale », 30 octobre 2001. ( www.unhchr.ch , www.unog.ch) * 49 BOKATOLA OMANGA (Isse), « Le droit international des droits de l'homme : Conception-Elaboration-Aboutissement » ( www.cip-cifedhop.org/publications/boka/boka5.html). * 50 Organisation des Nations Unies, Op.Cit. * 51 ERGEC (Rusen), op.cit, p63. * 52 Les rapporteurs spéciaux sont des experts indépendants chargés des mandats spéciaux d'enquêter sur les droits de l'homme. Lorsqu'un mandat est confié à plusieurs experts, on parle de Groupe de travail. Lire Nations-Unies, les droits de l'homme aujourd'hui, Op.Cit, p73. * 53 La CDH peut demander au Secrétaire Général d'intervenir ou d'envoyer un expert pour examiner ou empêcher une situation de violation des droits de l'homme dans le cadre de ses bons offices et de la diplomatie discrète à titre confidentiel auprès des Etats membres. Voir Nations Unies, ABC des Nations Unies, Op.Cit, p256 * 54 Nations Unies, les Nations Unies et les Droits de Homme : 1945-1995, New York, Département de l'information, 1995, p 70. * 55 La Résolution Générale 728 (XXVIII) du 30 juillet 1959 de l'ECOSOC invite le Secrétaire Général à dresser une liste de Communications émanant d'individus ou d'ONG se plaignant d'atteintes aux droits de l'homme. Elle maintient l'anonymat de leur auteur, informe l'Etat intéressé de ces communications et les soumet à un comité spécial de la CDH. |
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