Les mécanismes internationaux de protection et l'effectivité des droits de l'hommepar Kiliya Dominique KAMWANGA Université D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droit de la personne et de la démocratie 2005 |
Paragraphe 2 : Une autorité incontestablement renforcée des arrêtsOutre les effets liés à l'obligation d'exécuter les arrêts de la Cour et de leur reconnaître l'autorité de la chose jugée qui, dans l'ensemble, cadre bien avec le droit international général, ces arrêts son susceptibles de déployer d'autres effets plus spécifiques, lesquels ont beaucoup animé la doctrine. Il est question de l'interprétation uniforme de la Convention (A) et de la mise en compatibilité du droit interne avec le droit européen jurisprudentiel des droits de l'homme (B). A- Une interprétation uniforme de la conventionBien que les juges de Strasbourg n'aient développé une doctrine sur l'applicabilité directe ou la primauté du droit européen des droits de l'homme, l'examen des résolution du Comité des ministres montre que les autorités nationales sont enclines à se ranger à la jurisprudence de la Cour européenne. Ceci conduit à accorder crédit à la doctrine de la « chose interprétée » qui est « l'autorité propre de la jurisprudence de la Cour en tant que celle-ci interprète les dispositions de la Convention »260(*). L'autorité de la chose interprétée déborde les limites du cas d'espèce et se manifeste à l'égard des Etats contractants en raison de deux facteurs. D'une part, les juridictions nationales sont conscientes que la Cour apparaît particulièrement qualifiée pour dégager le sens et la portée des notions qu'utilise la Convention, notions qui , le plus souvent, sont autonomes, ne pouvant s'interpréter en fonction d'un système juridique quelconque de droit interne. D'autre part, les mêmes juridictions réalisent que la méconnaissance de l'autorité de la chose interprétée par la Cour comporte divers risques dont certains, s'ils se réalisent, entraîneraient fort probablement, sinon inévitablement, des sanctions juridiques sur le plan international. Parmi ces risques, il y a d'abord, l'affaiblissement de l'application de la Convention qu'engendreraient, en effet, les conflits jurisprudentiels entre la Cour et les juridictions nationales. Ensuite, il y a risque pour les Etats qui ont incorporé le droit de la Convention dans leur ordre juridique interne et qui ont reconnu le principe de la primauté des règles du droit international conventionnel sur les normes du droit interne d'énerver la valeur de ce principe voire de le rendre inopérant. Enfin et surtout, le risque grave d'entraîner la responsabilité internationale de l'Etat car une jurisprudence nationale allant à l'encontre de celle interprétative de la Cour risque de constituer une violation des dispositions de la Convention et, partant, un acte internationalement illicite engageant la responsabilité de l'Etat261(*). La doctrine de l'autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne engendre, ainsi que l'affirme le professeur Alphonse SPIELMANN, « une prise en compte, d'abord dans les Etats concernés, en suite dans les autres Etats membres qui suivent de près, de la jurisprudence de Strasbourg »262(*). Et au professeur Rusen ERGEC de renchérir : « en vertu de cette doctrine, le juge interne applique désormais les clauses de la Convention telles que celles-ci viennent d'être interprétées par l'arrêt de la Cour Strasbourg »263(*). Ainsi s'affirme la vocation de la jurisprudence européenne à être un instrument d'harmonisation des régimes juridiques des droits de l'homme dans les Etats contractants. Aux yeux mêmes de la Cour, « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention, et à contribuer de la sorte au respect, par les Etats, des engagements qu'ils ont assurés en leur qualité de parties contractantes ». Par ces méthodes d'interprétation de la Cour, on assiste donc à une « européanisation » de sa jurisprudence qui lui donne sa cohérence et son autorité faisant preuve de l'existence d'un « droit commun européen »264(*). Dans l'affaire Irlande c/ Royaume-Uni, la Cour a montré en quoi des obligations de ce genre ont un caractère « objectif » valable erga omnes. C'est pourquoi tous les Etats ont le devoir d'aménager l'ordre interne de façon à parvenir à « l'application effective » de toutes les dispositions de cette Convention selon les termes de l'article 57265(*). D'autres exemples pratiques illustrent l'importance de cette construction jurisprudentielle. Dans l'arrêt Lamy du 30 mars 1989, la Belgique fut condamnée du fait que sa législation ne prévoyait pas le droit d'accès au dossier de l'instruction d'une personne en détention préventive lors de sa première comparution. Dès lors, les juges belges ont appliqué la Convention conformément à l'interprétation faite par la Cour de Strasbourg et eu égard à la primauté de la Convention sur la loi interne. Un autre jugement, plus récent celui-là, du Tribunal correctionnel de Nivelles du 6 mai 1999 a fait une application fidèle de la doctrine de la chose interprétée en décidant, à la lumière de l'arrêt Van Ghysegem c. Belgique du 21 janvier 1999, que les juridictions ne peuvent, sans violer l'article 6 de la Convention sur le droit à un procès équitable, interdire à un avocat qui assiste à un procès pour défendre son client, de le faire même en l'absence de ce dernier266(*). Un élargissement progressif et certain des domaines et des matières où la garantie des droits assurés implique, de toute évidence, des révisions dans l'ordre juridique interne pour une mise en compatibilité avec la jurisprudence européenne et pour, ainsi, s'aligner sur l'ordre public européen des droits de l'homme. * 260 SUDRE (Frédéric), Droit International et européen des droits de l'homme, Op.Cit., pp 458-460 * 261 VELU (Jacques) et ERGEC (Rusen), Op.Cit., pp 1078-1079 * 262 SPIELMANN (Alphonse), « Et maintenant ? 50 ans après... Quelques remarques au sujet d'un anniversaire » In institut des droits de l'homme du Barreau de Paris, 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, Cérémonie du 12 novembre 1998, p 67 * 263 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p 151 * 264 SUDRE (Frédéric), la Convention européenne des droits de l'homme, Op.Cit., p75 * 265 COHEN-JONATHAN (Gérard), « quelques considérations... », Liber Amicorum Marc André Eissen, Op.Cit., p55 * 266 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p152 |
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