Les mécanismes internationaux de protection et l'effectivité des droits de l'hommepar Kiliya Dominique KAMWANGA Université D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droit de la personne et de la démocratie 2005 |
SECTION 1 : La Convention européenne des droits de l'homme : Uninstrument efficace de garantieLa Convention européenne des droits de l'homme, signée à Rome le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953, s'est inspirée de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. Sa genèse répond au souci d'asseoir définitivement les valeurs démocratiques dans un continent durement éprouvé par le totalitarisme Nazi. Elle garantit les droits civils et politiques les plus fondamentaux. Dès l'origine, le système de contrôle des droits de l'homme institué par la Convention européenne des droits de l'homme se démarque des règles classiques du droit international, en particulier, la notion de garantie collective dont l'idée générale est la recherche d'une certaine harmonisation destinée à imposer des garanties minimales relativement aux droits de l'homme. Les Etats, mais aussi les individus sous certaines conditions, peuvent mettre en mouvement cette garantie collective203(*). En outre, il implique un contrôle international solidaire. A proprement parler, la Convention ne « garantit » pas des droits et libertés. Elle les « reconnaît ». C'est dire que son but n'est pas de créer une garantie internationale assurée par les Etats signataires eux-mêmes, mais plutôt une protection desdits droits par des organes européens, indépendants des gouvernements. Sans doute, à cette fin, des abandons de souveraineté sont-ils inéluctables. Mais une précision s'impose : toutefois, il ne s'agit pas de diminuer la souveraineté d'un Etat par rapport à un autre mais de limiter plutôt la souveraineté des Etats du côté du droit204(*). La Convention européenne des droits de l'homme, avec son système de contrôle et en tant qu'instrument constitutionnel supranational (Paragraphe 1), joue le rôle de l'ordre public européen (Paragraphe 2) dont dépend entièrement la stabilité démocratique du continent. Paragraphe 1 : Une constitution plus qu'un traité
Ainsi qu'il ressort de son préambule, la Convention est conçue, du point de vue politique, comme un outil dont l'objet est la réalisation d'une union étroite des Etats européens. Dans cette perspective, elle constitue un franc compromis entre les partisans de la solution supranationale et les tenants d'un système de coopération intergouvernementale. Elle est la représentation parfaite d'une autorité politique européenne qui postule une idéologie commune et est conçue, à cet égard, comme un complexe normatif constituant le dénominateur commun des institutions politiques des Etats européens. Ce qui ouvre ainsi la voie à des limitations de souveraineté de plus en plus importantes, les Etats acceptant que l'exercice de leur fonctions souveraines, notamment la fonction législative, puissent donner lieu à un contrôle par les organes européens indépendants205(*). La Convention instaure un régime juridique objectif et emprunte sa physionomie à l'ordre juridique supranational comme aux systèmes constitutionnels internes. Pour le professeur Paul TAVERNIER, citant le professeur François OST ; « on s'accordera à reconnaître que la Convention qui nous préoccupe est un traité d'organisation et non de simple coexistence ou de coopération (il vise à jeter les bases d'une communauté institutionnalisée dotée d'organes investis de compétences spécifiques »206(*). Et à Eduardo GARCIA DE ENTERRIA, ancien juge de la Cour européenne, de renchérir que la juridiction de Strasbourg « située au-dessus des lois est le noyau même de la justice de type constitutionnel, à ceci près que le critère des arrêts n'est pas une constitution proprement dite mais la Convention, qui en vient ainsi à faire office de constitution européenne »207(*). Dans l'affaire Loizidou, à propos de la validité des restrictions territoriales dont sont assorties les déclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 de la Convention, la Cour n'hésite pas à qualifier « la Convention en tant qu'instrument constitutionnel »208(*). L'opinion concordante du juge JAMBREK à propos de l'affaire Fischer rappelle le même énoncé. Toutefois, bien que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s'oriente vers la consécration de la Convention européenne en tant que constitution de l'Europe des droits de l'homme, il n'est pas certain que cette Cour tire toutes les conséquences de telles analyses d'autant plus que certaines réticences se sont manifestée dans la doctrine. Ainsi, le professeur Claude LOMBOIS avait souligné que la Cour de Strasbourg est une juridiction chargée de faire respecter une convention, qu'il y ait ou pas de société européenne, ni de coutume européenne, mais seulement des Etats et que « seul le pouvoir judiciaire interne participe à la gestion politique globale de la société dont il procède ». Quant au professeur Patrick WACHSMANN, il a distingué le rôle de la Cour de Strasbourg, qui est un juge international, de celui d'un juge constitutionnel : « La Cour nous paraît (...) confondre son rôle de juge international, agissant dans le cadre de la convention, avec le juge constitutionnel (...). Mais il ne faut oublier qu'il existe une différence fondamentale entre la plupart des textes constitutionnels relatifs aux droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l'homme. Avant tout soucieux d'opposer des limitations aux pouvoirs politiques, les premiers s'attachent à énoncer des droits, sans toujours estimer utiles d'en tracer avec précaution les limites, tandis que la seconde, texte international qui n'était acceptable par les Etats qu'à cette condition, a pris soin de définir avec le maximum de rigueur possible le pouvoir de limitation des droits reconnus aux Etats ».209(*) Mais malgré ces divergences qui démontrent que des différences importantes, et peut-être même fondamentales, subsistent entre la juridiction européenne et les juridictions constitutionnelles, l'idée d'une constitution européenne est de plus en plus développée dans la doctrine, et l'on n'hésite plus à parler de l'émergence d'une constitution européenne. Par conséquent, la convention européenne des droits de l'homme jouit d'une interprétation de type fédéraliste (A) avec une très forte marge d'appréciation (B) laissée aux Etats membres du Conseil. A- Une interprétation de type fédéralisteLe fédéralisme est la « technique juridique de regroupement d'unités politiques dans un ensemble plus vaste doté de compétences générales sans porter atteinte à la spécificité des composantes ». Au niveau international, il désigne le « groupement d'Etats souverains en vue de l'exercice en commun de certaines compétences, par eux déléguées à l'organisme collectif, lequel n'est pas un Etat »210(*). L'on sait déjà que la Convention, en plus de son caractère « d'instrument de droit international conventionnel »211(*), est un instrument sui generis212(*). Elle instaure un, régime juridique objectif et emprunte sa physionomie à l'ordre juridique supranational comme aux systèmes constitutionnels internes. Les canons d'interprétation doivent s'infléchir au contact de ces méthodes qui sont plus adaptées à cet aspect spécifique de la Convention, méthodes qui évoquent, à certains égards, celles dont usent les cours constitutionnelles nationales213(*). Comme dans la dernière optique, le droit de la Convention se superpose, en quelque sorte, aux droits internes. Ce qui confirme le schéma fédéraliste. La cour prend soin, dans ses arrêts, de souligner que son interprétation pose ainsi les jalons de l'atténuation du « principe de subsidiarité »214(*) de l'ordre juridique européen. En effet, le professeur Paul TAVERNIER215(*) distingue deux conceptions principales du principe européen de subsidiarité qui s'opposent. D'une part, la subsidiarité de type international qui soumet la saisine de la juridiction internationale à l'épuisement des voies de recours internes dont le fondement est, pour le professeur Etienne PICARD216(*), le principe de souveraineté et auquel l'article 26 se réfère expressément. D'autre part, une subsidiarité de type communautaire, voire fédérale qui interprète l'article 26 comme une disposition qui viserait non pas à protéger la souveraineté de l'Etat mais à assurer la meilleure répartition des compétences entre les systèmes nationaux de protection des droits de l'homme et le système européen. Bien que la Cour semble encore s'en tenir à la conception classique et traditionnelle du principe de subsidiarité dans ses arrêts (affaire salia c. France, CEDH, 19 février 1998 ; Affaire Bahaddar c. Pays Bas, CEDH, 19 février 1998), sa jurisprudence mentionne les circonstances particulières de nature à relever le requérant de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes. De l'avis du professeur Rusen ERGEC217(*), la première exception tient à l'existence d'une pratique administrative qui consiste en la répétition d'actes interdits par la Convention et la tolérance officielle de l'Etat de sorte que toute procédure serait vaine ou ineffective. La seconde concerne le dépassement du délai raisonnable dans lequel la cause du justiciable doit être jugée, en vertu de l'article 6. Ainsi dans l'affaire Akdivar c. Turquie218(*), la Cour a constaté l'existence d'une pratique administrative de nature à exonérer le requérant de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes tenant compte de la « passivité totale des autorités nationales face à des allégations sérieuses qui soupçonnent les agents de l'Etat à avoir commis des fautes ou causé un préjudice ». Dans cette perspective, le professeur Jean-François RENUCCI confirme la thèse d'atténuation en affirmant : « le recours interne au sens de l'article 35 de la Convention doit exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie ». Il est certain, poursuit-il que l'existence d'effectivité et d'accessibilité du recours interne accentue la pression du juge européen sur le juge national. Dans des affaires concernant des victimes du SIDA à la suite de transfusion sanguine, la Cour a appliqué le principe selon lequel certaines circonstances particulières dispensent le requérant de l'obligation d'épuiser les recours internes (CEDH., X. c. France, 31 Mars 1992)219(*). C'est la preuve du caractère libéral de la jurisprudence des instances européennes. En outre, la nature constitutionnelle de la Convention européenne se reflète dans les méthodes d'interprétation des droits garantis que la Cour de Strasbourg, qualifiée de « Cour constitutionnelle »,220(*) utilise. Celle-ci interprète, en effet, la Convention de manière évolutive et dynamique. Le professeur David RUZIER la définit comme l'interprétation « en fonction des principes juridiques en vigueur au moment de l'interprétation »221(*), c'est-à-dire à la lumière des conditions d'aujourd'hui. Elle est mise en application par la Cour depuis l'affaire Tyrer222(*) et reprise fréquemment par la suite notamment dans l'affaire Marckx223(*). Cette méthode d'interprétation a affirmé que la Convention est un instrument vivant qui s'inscrit dans une perspective « intégrationniste », donc moniste et fédéraliste. A ce titre, la Cour européenne est véritablement un législateur européen. L'autre méthode qui permet de reconnaître le caractère supra constitutionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, instrument efficace de garantie des droits, est la doctrine de la marge d'appréciation. * 203 RENUCCI (Jean-François), Droit européen des droits de l'homme, Paris, LGDJ, 1999, p 401 * 204 VELU (Jacques) et ERGEC (Rusen), Op.Cit., p40 * 205 LAMBERT (Pierre), « Marge nationale d'appréciation et contrôle de proportionnalité » In SUDRE (Frédéric)(sous la dir.), Interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme, Actes du colloque des 13-14 mars 1998 organisé par l'institut de droit européen des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, p 87 * 206 TAVERNIER (Paul), « La Cour européenne des droits de l'homme applique-t-elle le droit international ou un droit de type interne ? » In TAVERNIER (Paul)(sous la dir.), Quelle Europe pour les droits de l'homme ?, Bruxelles, Bruylant, 1996 pp 34-35 * 207 GARCIA DE ENTERRIA (Eduardo), « valeur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en droit espagnol », Mélange WIARDA, 1988, p 221 * 208 Cfr CEDH, arrêt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995, § 93 * 209 Lire à ce sujet : TAVERNIER (Paul)(Sous la dir.), « Quelle Europe pour les droits de l'homme ? », Op.Cit., pp 35-36. * 210 DEBBASCH (Charles) et allii, Lexique de politique, 7e édition, Paris, Dalloz, 2001, p 168 * 211 En cette qualité, elle est soumise aux règles d'interprétation des traités communément admises en droit international, lesquelles sont inscrites aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités * 212 Qualification d'une situation juridique dont la nature singulière empêche de la classer dans une catégorie déjà connue. Voir GUINCHARD (Serge) et MONTAGNIER (Gabriel)(sous la dir.), Lexique des termes juridiques, 14e édition, 2003, p 550. * 213 VELU (Jacques) et ERGEC (Rusen), Op.Cit., p51 * 214 L'article 35 (1) de Convention dispose : « La Cour ne peut être saisie qu'après épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délais de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Le fondement de la règle d'épuisement des voies de recours internes qui consacre le principe de subsidiarité suppose qu'avant que les Etats ne soient tenus de répondre d'un acte devant une juridiction internationale, il convient d'abord de leur offrir la possibilité d'y remédier dans leur ordre juridique interne. Ce n'est que lorsque la partie lésée aura vraiment tenté d'utiliser toutes les voies de recours que l'ordre juridique de l `Etat lui offrait, qu'elle peut légitimement aspirer à attraire l'Etat devant une juridiction internationale. C'est pourquoi le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention présente un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme conformément à son article 13. * 215 TAVERNIER (Paul), « L'étendue de la compétence d'un organe de contrôle » In SUDRE (Frédéric)(sous la dir.), l'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme, Op.Cit., pp184-187 * 216 Ibidem * 217 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p143 * 218 Arrêt du 16 septembre 1996, p68. L'affaire concernait les allégations selon lesquelles les forces de sécurités turques avaient incendié des maisons d'habitation dans le sud-ouest du pays lors des opérations menées contre les PKK. * 219 RENUCCI (Jean-François), Op.Cit., pp431-432 * 220 BUERGENTHAL (Thomas) et KISS (Alexandre), Op.Cit., p79 * 221 RUZIER (David), Droit international public, 16e édition, Paris, Dalloz, 2002, p 53 * 222 CEDH., Typer c. Royaume-Uni, arrêt n°26 du 25 avril 1978, p 21 * 223 CEDH, Marcx c. Belgique, arrêt n°31 du 13 juin 1979, p 41. |
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