Les mécanismes internationaux de protection et l'effectivité des droits de l'hommepar Kiliya Dominique KAMWANGA Université D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droit de la personne et de la démocratie 2005 |
SECTION 2 : L'inadéquation des organes de garantieSi l'action des Nations Unies en matière des droits de l'homme est militée, c'est fondamentalement à cause de la nature et du pouvoir dont disposent ses organes de protection. La Commission des droits de l'homme, organe intergouvernemental, n'échappe malheureusement pas aux jeux et manipulations politiques (Paragraphe 1) que lui imposent les Etats membres, d'une part. D'autre part, le caractère techniquement non-juridictionnel du Comité des droits de l'homme (Paragraphe 2), pourtant constitué d'experts indépendants, ne lui permet pas d'avoir des résultats escomptés pour une protection effective des droits individuels. Paragraphe 1 : Une Commission manifestement politiséeMalgré ses nombreuses réalisations, la Commission ne parvient pas à apporter une réponse opportune, durable et parfaite aux nombreux problèmes qui se posent aujourd'hui en matière des droits humains. Plusieurs tendances négatives sont confirmées voire concrétisées dans des initiatives particulièrement inquiétantes visant à porter directement atteinte à son mandat de protection. La particularité dans ses réactions face aux violations des droits humains (A) ainsi la motion de « non-action » (B) sont des facteurs contribuant à l'effritement de sa crédibilité et de la baisse de son niveau de compétence professionnel. A- Une partialité dans les réactions face aux violations des droits humains« Il est illusoire qu'un organe politique formé par les représentants des Etats prenne des décisions qui ne soient pas posées. Ce serait aussi absurde que de prêcher la chasteté dans une maison close »174(*). La Commission des droits de l'homme souffre, en effet, d'un manque de débat constructif étant entendu qu'elle travaille sur la base des propositions des Etats qui la composent dont les visions diplomatiques, politiques, stratégiques sont divergentes. Cet état des choses est à la base d'un certain nombre de clivages qui divisent la Commission. Il conduit à son dérapage à travers l'application d'une « politique du pire » de la part des Etats qui sont à la fois juges et parties175(*). La dérive est constituée ainsi par des manoeuvres concertées des Etats qui pourraient être incriminés, pour se soustraire à la moindre réprimande de l'organe de contrôle ; realpolitik des puissances occidentales pour éviter les mises en causes jugées, diplomatiquement, trop coûteuses ; « penchant immodéré » de la Commission pour le consensus. Les décisions, résultats des marchandages, « relèvent plus d'alliances ponctuelles, voire de complicités entre Etats, que des droits de l'homme »176(*). La Commission se révèle donc comme un organe « menotté au sein duquel on voit proliférer le mensonge et le « deux poids, deux mesures », les discours creux de ceux qui, tout en jouissant de leur opulence, tout en gaspillant et en polluant, regardent ailleurs et feignent de ne pas voir comment les droits sont violés » 177(*), ainsi que s'était exprimé monsieur Felipé PEREZ ROQUE, ministre cubain des relations extérieures. De toute évidence, cette sélectivité de la Commission s'est manifestée à plusieurs reprises. Etant juges et parties, les 53 Etats membres de la Commission manipulent allègrement les procédures démocratiques et les régimes autoritaires et totalitaires ont réussi de joyeux tours de passe-passe. Une surenchère s'engage alors pour plus de droit et non de droit, et cet appétit juridique insatiable n'assure la victoire qu'aux groupes les mieux armés, les plus revendicatifs et les plus influents au détriment des autres groupes moins belliqueux, moins entreprenants. Une telle perspective de tyrannie classique stratifiée n'apparaît pas, de prime abord, comme gage de tranquillité publique de vie sociale et sociétale harmonieuse. Elle favorise à l'inverse le développement des droits des plus forts, résurgence de la « loi du plus fort » ayant émaillé « l'Etat de nature »178(*). Ainsi, par exemple, par des alliances de circonstance, les Résolutions avancées rappelant à l'ordre la Russie pour la Tchétchénie, le Zimbabwe et le Soudan pour les excès commis sur leurs territoires, sont passées à la trappe. L'Iran a également réussi à passer à travers les mailles du filet car l'Union Européenne a renoncé à présenter une résolution à son sujet, arguant du dialogue engagé avec Téhéran. Quelques jours après avoir poussé à la provocation jusqu'à faire condamner 79 dissidents à de lourdes peines de prison et à exécuter les responsables du détournement d'un ferry en pleine session de la Commission, le Cuba ne s'en est tiré qu'avec une résolution anodine l'invitant simplement à recevoir un émissaire de l'ONU. Le retour en scène des Etats Unis a brillé par son cynisme, ou son hypocrisie : ménageant à l'évidence ses « adversaires-partenaires » et a choisi de ne parrainer aucune résolution concernant la Chine et la Russie179(*). Par contre, les pays dépourvus de soutien à la Commission comme la Birmanie et le Burundi ont une fois écopé de condamnations certes méritées tandis que la Commission se trouvait de nouvelles cibles plus faciles en épinglant pour la première fois le Belarus, la Corée du Nord et le Turkménistan. Sans oublier Israël, rituellement condamné et se prévalant du douteux privilège de "valoir" à lui tout seul, en moyenne, une demi-douzaine de résolutions chaque année. Quant aux marchandages qui consistent en des tractations à des fins plus ou moins honorables, il ne permettent pas d'empêcher l'existence des violations des droits de l'homme encore moins d'en réparer les conséquences souvent tragiques pour les victimes. Ils s'opèrent, le plus souvent lors des débats spéciaux sur les droits de l'homme et la situation humanitaire dans certains pays. Jean-Claude BUHRER étale dans son rapport le déroulement des débats sur de nombreux pays dont la prise ou le rejet des résolutions faisait suite aux manoeuvres et marchandages lors de la 59e Session de la Commission en 2003180(*). Dans l'ensemble, la politique de « deux poids, deux mesures » et la technique des « manoeuvres et marchandages » battent en brèche le principe de « l'égalité souveraine de tous les Etats » établi par la Charte des Nations Unies (article 2). En plus du fait que chaque Etat conserve sa souveraineté qui implique l'inexistence du Super Etat, ce principe énonce, en effet, que tous les Etats, grands ou petits sont égaux devant le droit international malgré les inégalités de fait entre nations, écrit le professeur Manuel DIEZ DE VELASCO VALLEJO181(*). Mais les Etats membres de la Commission sont-ils égaux ? Répondant à cette question Felipé PEREZ ROQUE affirmait : « le respect du principe de l'égalité souveraine des Etats qui devait être la clef de voûte des relations internationales contemporaines ne pourra s'établir que lorsque les pays les plus puissants accepteront, dans la pratique, de respecter les droits des autres, même si ceux-ci n'ont pas la force militaire ni le pouvoir économique pour les défendre ». Or, poursuit-il, ces pays puissants ne sont pas du tout prêts à respecter les "petits" même si cela porte atteinte, si peu que ce soit, à leur privilège182(*). Cette situation a donc pour conséquence, la remise en question de l'indépendance et l'impartialité des rapporteurs spéciaux qui, pour la plupart, ne sont pas à l'abri de la vindicte des membres de la Commission183(*). Ces relations hautement politisées au sein de la Commission sont à la base des incohérences dans les décisions prises par rapport aux violations des droits humains. Ce qui pousse ainsi certains gouvernements à utiliser des tactiques pour aussi empêcher la Commission d'agir sur d'autres situations nationales spécifiques. Il s'agit de la motion de « non-action ». * 174 KAZAN (Pierre), « La Commission : un organe politique », juin 2005 ( www.toile.org/psi). * 175 BUHRER (Jean-Claude), Discrédit sur la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. « Marchandage, incompétences et non-action », Reporters Sans Frontières, rapport d'enquête, juillet 2003, p2 * 176 TREAN (Claire), « Dérives et difficultés du combat pour les droits de l'homme » In Le Monde, 17 avril 2003 ( http://www.fairelejour.org/) * 177 PEREZ ROQUE (Felipé), Allocution prononcée au segment de haut niveau de la 61ème Session de la Commission des droits de l'homme, Genève, 15 mars 2005 * 178 FRAISSEIX (Patrick), « Les droits fondamentaux, prolongement ou dénaturation des droits de l'homme ? » In Revue de Droit Public et de Science Politique en France et à l'Etranger, n°2, Paris, LGDJ, mars-avril 2001, p 545 * 179 BUHRER (Jean-Claude), Op.Cit., pp 2-3 * 180 BUHRER (Jean-Claude), Op.cit., pp 6-12 * 181 DIEZ DE VELASCO VALLEJO (Manuel), Les organisations internationales, Paris, Economica, 2002, p 147 * 182 Allocution de Felipé PEREZ ROQUE, Ministre des Relations Internationales cubain, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies sur la guerre en Irak, le 26 septembre 2002, In Cuba Solidarity Project, « Histoire d'une tentative de crime humanitaire » ( http://volcadoj.club.fr/Cuba/npa_roque_030926.html) * 183 DORMENVAL (Agnès), Op.Cit., pp 136-158 |
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