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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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B. La protection des actionnaires à l'occasion de certaines opérations

342. - Dès sa naissance et jusqu'à sa mort, naturelle ou non, la vie d'une société est parsemée d'évènements divers, les uns d'importance mineure, les autres plus significatifs. La société s'apparente dès lors à une cité, dans laquelle les citoyens - les actionnaires - sont dotés de certaines prérogatives gouvernementales et financières. Si l'édification de la cité constitue une date marquante aux yeux de ceux qui l'ont bâtie, de nombreux autres épisodes marqueront son histoire, tels l'agrandissement de la cité avec l'arrivée de nouveaux citoyens, le départ de certains, voire le rapprochement avec une autre cité.

343. - Certains évènements intervenant au cours de la vie sociale auront nécessairement des conséquences sur les droits des citoyens-actionnaires. Des conséquences qui ne seront pas toujours positives. Dès lors, il convient de se préoccuper de la situation des actionnaires et, partant, de la protection de leurs droits.

344. - Outre qu'ils ont entendu ériger certaines mesures protectrices des actionnaires lors de la création et de la disparition des actions de préférence, les rédacteurs de l'ordonnance du 24 juin 2004 ont également instauré certaines dispositions protectrices des actionnaires de préférence à l'occasion de certaines opérations susceptibles d'affecter leurs droits. On y voit là encore la nécessaire contrepartie à la liberté octroyée par le nouveau régime mis en place.

345. - Le second aspect de la réforme - l'assouplissement du droit des augmentations de capital - emporte les mêmes constatations. Notamment l'élargissement des délégations aux organes de direction en matière d'augmentation de capital, s'il apportera souplesse et réactivité accrue aux émetteurs, n'aurait pu se concevoir sans un certain dispositif protecteur des droits des actionnaires. L'abandon, par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires, de certaines de ses prérogatives au profit des organes de direction est certes un acte volontaire ; les actionnaires organisent eux-mêmes l'aménagement de leurs droits dans le sens de la restriction. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tout souci de protection est alors écarté pour la suite.

346. - Aussi, la protection des actionnaires à l'occasion de certaines opérations, en cours de vie sociale, amène à envisager le dispositif protecteur mis en place à l'égard des actionnaires de préférence (1), ainsi qu'en matière d'augmentations de capital (2).

1. Les mesures protectrices des porteurs d'actions de préférence

347. - Après avoir émis des actions de préférence, la société émettrice supporte certaines contraintes dont la finalité est de protéger les porteurs desdites actions.

La protection des actionnaires de préférence se dédouble en un droit spécifique d'information (b) et des dispositions spécifiques lors de certaines opérations particulières (a).

a) La protection des actionnaires de préférence à l'occasion d'opérations spécifiques

348. - Au sein des SA et des SCA, les porteurs d'actions de préférence bénéficient des règles générales inchangées qui régissent les assemblées spéciales d'actionnaires titulaires de titres de capital d'une catégorie déterminée643(*).

349. - Cette protection, dont l'objet est le maintien des droits particuliers dont les actions de préférence sont assorties, est assurée par l'article L. 225-99, alinéa 2 du Code de commerce, aux termes duquel « la décision d'une assemblée générale de modifier les droits relatifs à une catégorie d'actions n'est définitive qu'après approbation par l'assemblée spéciale des actionnaires de cette catégorie ». En d'autres termes, l'assemblée générale de l'émetteur ne saurait modifier les droits relatifs à une catégorie d'actions sans l'approbation de l'assemblée spéciale des actionnaires de cette catégorie.

350. - En pratique, cette règle invite à être attentif aux conséquences de toute opération de nature statutaire ou non qui pourrait avoir pour effet de modifier leurs droits.

Toutefois, seules les modifications juridiques appellent une décision de l'assemblée spéciale644(*), telle la suppression d'un des droits particuliers attachés à l'action de préférence. En revanche, n'est pas soumis à l'approbation de l'assemblée spéciale un changement de la stratégie de la société de nature à affecter les résultats. Entre ceux deux pôles, il existe une zone « grise », ainsi d'une décision de gestion visant à ne plus privilégier le développement d'une branche d'activité dont les résultats constituent l'assiette des droits financiers des actionnaires de préférence.

Il sera donc prudent de préciser dans les statuts, aussi nettement que possible, l'incidence des décisions sociales, si l'on veut faire l'économie de chicanes inutiles.

351. - Au sein des SAS, la situation est moins claire. Certains commentateurs645(*) estiment que les règles générales de l'article L. 225-99 du Code de commerce sont exclues du régime de la SAS, en application de l'article L. 227-1 du même Code. Il appartient donc aux statuts d'instituer des assemblées spéciales dotées de la même compétence que celle attribuée aux assemblées spéciales des SA et des SCA, si les porteurs entendent être pareillement protégés.

Nous ne sommes pas convaincus par cette approche. Du moins, nous estimons que la création d'une assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence n'est pas une faculté pour la société, mais une obligation ; cette opinion est d'ailleurs corroborée par l'article L. 228-19 du Code de commerce instituant un droit d'information au profit des actionnaires de préférence, qui commence ainsi : « les porteurs d'actions de préférence, constitués en assemblée spéciale, [...] ». Dans l'esprit des rédacteurs de l'ordonnance du 24 juin 2004, la protection des titulaires d'actions de préférence est une nécessité et elle passe entre autres, nous semble-t-il, par la réunion de ces porteurs au sein d'une assemblée spéciale dont la finalité est la défense de leurs droits. En outre, l'article L. 228-17 du Code de commerce précise qu'en cas de fusion ou de scission de l'émetteur, « en l'absence d'échange contre des actions conférant des droits particuliers équivalents, la fusion ou la scission est soumise à l'approbation de l'assemblée spéciale prévue à l'article L. 225-99 ». Ce texte serait en toute hypothèse applicable à la SAS, tout comme le sont, par exception, les textes relatifs au droit de vote lorsqu'une SAS crée des actions de préférence646(*).

Loin d'abroger l'article L. 225-99 du Code de commerce relatif aux actions de catégories, l'ordonnance du 24 juin 2004 y fait, au contraire, expressément référence. La doctrine647(*) s'accorde en outre pour considérer que l'action de préférence est une catégorie d'actions, et qu'elle bénéficie, de ce fait, du régime de protection qui lui est attaché, et ce quelle que soit la forme de société par actions - SA, SCA ou SAS - dans laquelle elle est émise.

352. - L'ordonnance institue également des règles particulières de protection en cas d'amortissement ou de modification du capital de l'émetteur (i) et en cas de fusion ou scission provoquant la dissolution de la société émettrice (ii).

(i) Le sort des actions de préférence en cas d'amortissement ou modification du capital

353. - Le Code de commerce prévoit des dispositions spécifiques en cas d'amortissement ou de modification du capital de l'émetteur, c'est-à-dire toute opération qui affecte à la hausse ou à la baisse le capital social.

Il en est ainsi, par exemple, des augmentations de capital quelle qu'en soit la cause : apport en numéraire, en nature ou résultant d'une fusion, conversion de titres de capital en autres titres de capital, émission d'option de souscription, attribution d'actions gratuites à émettre, etc. ; et des réductions de capital quelle qu'en soit la cause : retrait des associés, réduction pour cause de pertes, conversion, etc.

354. - L'article L. 228-16 du Code de commerce dispose alors que, dans ces cas là, « l'assemblée générale extraordinaire détermine les incidences de ces opérations sur les droits des porteurs d'actions de préférence » et précise que « ces incidences peuvent également être constatées dans les statuts ».

355. - Ces dispositions manquent de clarté, leur formulation étant ambiguë. Plusieurs questions se posent.

En premier lieu, on peut se demander pourquoi le législateur ne s'est pas contenté de faire référence aux règles générales applicables aux assemblées spéciales d'actionnaires, c'est-à-dire notamment à l'article L. 225-99 du Code de commerce. Certains648(*) y voient la permission expresse donnée de stipuler les incidences des opérations visées dans les statuts, ce qui a en principe pour effet d'éviter la réunion d'une assemblée spéciale ; si tel est l'avantage concédé par les rédacteurs de l'ordonnance, il n'aurait alors de sens que pour affirmer que telle opération est sans incidence sur les droits des porteurs d'actions de préférence puisque, si tel est le cas, l'assemblée spéciale n'est en principe pas obligatoire649(*).

Une autre question surgit alors d'emblée : la formulation de l'article L. 228-16 veut-elle dire que l'assemblée ou les statuts peuvent opérer cette détermination des incidences en toute liberté et stipuler, par exemple, que l'amortissement est sans incidence. La lecture du texte autorise cette conclusion650(*).

La « détermination des incidences des opérations » soulève ainsi beaucoup de questions : s'agit-il d'un constat651(*) ? S'agit-il au contraire d'exiger de l'émetteur qu'il prenne les mesures nécessaires propres à protéger les intérêts des titulaires d'actions de préférence652(*) ? L'ordonnance n'a pas posé ici un principe de sauvegarde ou de maintien des droits comme en matière de fusion653(*), elle prescrit seulement de prévoir des dispositions appropriées, ce qui peut se lire comme une exigence simplement formelle.

356. - En second lieu, il est curieux que l'article L. 228-16 ne vise que l'amortissement - opération exceptionnelle - la modification du capital. Un apport partiel d'actif consenti par la société émettrice, par exemple, peut également avoir un effet désastreux pour les intérêts des porteurs d'actions de préférence.

Une réponse pourrait être que, sans doute, les dispositions générales relatives aux assemblées spéciales d'actionnaires comblent la lacune dans un tel cas.

357. - Au vu des incertitudes soulevées par l'article L. 228-16 du Code de commerce, il est à prévoir que des précisions ministérielles ou des décisions jurisprudentielles viendront compléter le travail d'interprétation juridique du texte. Dans l'attente, quelques recommandations peuvent toutefois être données.

Le contrat d'émission des actions de préférence peut se borner à rappeler la règle légale de l'article L. 228-16, sauf à pouvoir y affirmer avec certitude, selon les caractéristiques des actions de préférence émises, que certaines opérations seront sans incidences sur leurs droits particuliers, telles une augmentation de capital par incorporation de réserves ou une réduction de capital pour amortissement de pertes.

S'agissant des opérations dont les incidences n'auront pas été constatées dans les statuts, les émetteurs seront alors appelés à procéder avec prudence. Soit les opérations seront sans incidence sur les droits particuliers des actions de préférence ; en ce cas, l'assemblée générale en prendra acte et il serait avisé de réunir une assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence pour faire le même constat654(*). Soit elles auront une incidence plus ou moins avérée sur les droits particuliers des actionnaires de préférence ; en ce cas, la société émettrice sera contrainte de discuter avec l'assemblée spéciale des porteurs pour parvenir à une solution qui satisfasse cette dernière et l'amène à approuver l'opération en cause. Dans certaines circonstances, la protection des actionnaires de préférence se muera en une contrainte non négligeable pour la société émettrice ; mais il n'y a là rien dont on puisse être choqué.

* 643 V. art. L. 225-99 C. com.

* 644 MEDEF, Les actions de préférence : propositions du MEDEF pour une modernisation du droit des valeurs mobilières, rapp. préc., p. 9

* 645 A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1214.

* 646 Supra nos 154, 262.

* 647 J. MESTRE, « La réforme des valeurs mobilières », Lamy sociétés commerciales 2005, n° 174 ; A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1537 ;  A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 543 et s.

* 648 A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1214.

* 649 Si, en revanche, l'opération a manifestement des effets sur les droits des porteurs, il sera a priori difficile d'en mesurer, à l'avance, les incidences, à défaut d'en connaître les données ou les caractéristiques.

* 650 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1537 ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1214.

* 651 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1537.

* 652 En ce sens, Le mémento de la société anonyme, op. cit, n° 282.

* 653 Infra n° 358 et s.

* 654 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1214.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon