L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
(iii) Le rachat au gré du porteur dans les sociétés non cotées334. - Si la société émettrice peut se réserver la possibilité de procéder au rachat des actions de préférence et de l'imposer aux porteurs, sous la réserve qu'ils l'aient acceptée, de telles stipulations peuvent ne pas satisfaire tous les investisseurs. Le rachat imposé laisse en effet la main à la société ; or, des investisseurs peuvent lui préférer le rachat volontaire, c'est-à-dire laissé au gré du porteur. Cette faculté est offerte sous certaines conditions, dans les sociétés cotées, par l'article L. 228-20 du Code de commerce625(*) ; on peut se demander s'il en est autant dans les sociétés non cotées. 335. - Il n'existe aucune disposition de même nature que l'article L. 228-20 du Code de commerce pour les sociétés non cotées. Or, leurs caractéristiques ne favorisent pas les clauses de retrait volontaire, dès lors qu'elles sont dotées d'un capital fixe. 336. - Ainsi, le principe de l'intangibilité du capital caractérise la société anonyme626(*). Donner à un actionnaire, fût-il propriétaire d'actions de préférence, le droit de se retirer à son gré de la société, c'est lui permettre de provoquer une réduction de capital inéluctable et donc appliquer une clause propre en principe aux seules sociétés à capital variable. Or, les sociétés anonymes non coopératives ne sont plus autorisées, depuis la loi du 30 décembre 1981627(*), à adopter cette caractéristique628(*). Dès lors, sur ce fondement, serait critiquable toute clause qui a pour effet de permettre le retrait direct d'un porteur d'actions de préférence à son initiative sans l'intervention de l'assemblée générale extraordinaire, dès lors que les titres seront rachetés par la société elle-même629(*). Cette réserve ne vaut naturellement pas si le rachat prévu est mis à la charge d'autres personnes. Une telle solution, déjà pratiquée depuis longtemps, n'a toutefois pas la même efficacité que la disparition pure et simple des actions de préférence. 337. - La société en commandite par actions est en revanche autorisée à stipuler la variabilité de son capital630(*). Lorsqu'une SCA adopte un tel régime, le capital n'est donc plus intangible par définition. Toutefois, la variabilité a en général pour effet de susciter des craintes aux yeux des tiers. Il est, de plus, probable que la société ne fonctionnera pas conformément aux règles qui caractérisent les sociétés à capital variable avec des évolutions du capital effectif tant à la hausse qu'à la baisse ; sinon, la faculté donnée à tout associé de se retirer risque de fragiliser singulièrement la société. D'un autre côté, il sera difficile de faire admettre par les associés que la gérance puisse augmenter le capital sans l'intervention des associés. Or, la doctrine estime qu'une société ne saurait être considérée comme société à capital variable si ses règles de fonctionnement ne sont pas conformes à la définition légale631(*). 338. - A l'instar de la SCA, la SAS peut adopter le régime de la société à capital variable. Par conséquent, les observations émises à propos de la première valent pour la seconde. En outre, indépendamment de cette éventuelle option au régime de la société à capital variable, les dispositions propres aux SAS appellent quelques remarques. L'article L. 227-18 du Code de commerce contient en effet une règle originale en dissociant l'achat possible par la société de ses propres actions et la réduction de capital consécutive, destinée à les annuler, celle-ci n'intervenant que si les actions acquises n'ont pas été cédées dans le délai de 6 mois632(*). Ce texte n'a toutefois pas une portée générale, et paraît inapplicable dans la situation envisagée633(*). Le deuxième alinéa de l'article L. 227-18, relatif au rachat, semble en effet compléter le premier alinéa, qui vise exclusivement certaines opérations634(*). Il serait donc risqué de vouloir rendre ce texte applicable à l'hypothèse où un titulaire d'actions de préférence demande le rachat de ses titres à la société, à son gré. 339. - Malgré ces observations critiques, la règle générale propre aux actions de préférence - selon laquelle les modalités de rachat peuvent être fixées dans les statuts635(*) - laisse penser que le législateur n'a pas exclu la faculté de stipuler le rachat au gré des porteurs, même au sein des sociétés non cotées636(*). Cette opinion est d'ailleurs corroborée par les dispositions de l'article 206-5 du décret du 23 mars 1967637(*) : si seuls les actionnaires étaient compétents pour prendre la décision de rachat, la disposition réglementaire n'aurait pas lieu d'être. En l'état du droit, la stipulation d'une clause de rachat au gré des porteurs paraît donc admise, mais il n'est pas à exclure qu'elle puisse être discuté sur le fondement de l'intangibilité du capital. 340. - Si l'on admet la clause de retrait, il faut alors s'interroger sur la procédure à appliquer. Dans un premier temps, elle est inscrite dans les statuts par décision de l'assemblée générale extraordinaire sur rapport du conseil d'administration ou du directoire638(*). Si son adoption est décidée, comme le plus souvent dès l'émission des actions de préférence, il n'y a pas lieu de réunir l'assemblée spéciale des porteurs639(*). La procédure est ensuite moins claire. Lorsqu'un porteur demande le rachat de ses titres, il parait nécessaire que le conseil d'administration ou le directoire se réunisse alors pour constater la demande, décider le rachat640(*) et établir le rapport prévu en l'espèce641(*) ; de son côté, le commissaire aux comptes établit le rapport visé l'article 206-4 du décret du 23 mars 1967, pour être mis avec le premier rapport à la disposition des actionnaires selon les prévisions statutaires. La décision de l'organe de direction est alors déposée au greffe pour faire courir le délai d'opposition ouvert aux créanciers. Le rachat est effectué et, en toute hypothèse, conformément au droit commun, l'actionnaire est payé à l'issue du délai d'opposition seulement. Cette procédure sera à renouveler, le cas échéant, chaque fois qu'un porteur se manifeste. 341. - Conclusion. La création des actions de préférence, innovation attendue par beaucoup, n'aurait pu se concevoir sans être accompagnée de dispositions protectrices des actionnaires - qu'il s'agisse des actionnaires ordinaires de la société émettrice ou des futurs actionnaires de préférence -, tant cet instrument de financement est susceptible d'entraîner d'importants bouleversements sur les droits des actionnaires. Dans le même esprit, il n'eut pas été imaginable de ne pas se préoccuper du sort, à terme, des actions de préférence ; aussi, les rédacteurs de l'ordonnance du 24 juin 2004 ont-ils à juste titre encadré le régime de la création et de la disparition des actions de préférence, en aménageant entre autres l'information des actionnaires en la matière. Néanmoins, à l'instar des développements consacrés au contenu des actions de préférence642(*), force est de constater que les tribunaux auront à se prononcer sur un certain nombre de questions qui, en pratique, ne manqueront pas de soulever certaines difficultés. La naissance et la mort ne sont toutefois pas les seuls moments de l'existence ; les actions de préférence n'échappent pas à cette évidence. Au cours de leur vie, certaines opérations sociales sont susceptibles d'affecter les actions de préférence, ce qui amène en conséquence à s'interroger sur la protection de leurs titulaires lors de tels évènements. Il en est d'ailleurs de même s'agissant de certaines dispositions du droit des augmentations de capital, qui ont des conséquences sur les droits des actionnaires en cours de vie sociale. * 625 Supra n° 329 et s. * 626 V. M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, op. préc., n° 230 et s. * 627 Loi n° 81-1162 du 30 décembre 1981, prise en application de la deuxième directive européenne. * 628 Art. L. 231-1, al. 1er C. com.: « Il peut être stipulé dans les statuts des sociétés qui n'ont pas la forme de société anonyme ainsi que dans toute société coopérative que le capital social est susceptible d'augmentation par des versements successifs des associés ou l'admission d'associés nouveaux et de diminution par la reprise totale ou partielle des apports effectués ». * 629 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1212 ; P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 10. * 630 Art. L. 231-1 C. com., préc. * 631 V. M. JEANTIN, JurisClasseur Sociétés, fasc. 167-10, n° 1. * 632 Art. L. 227-18, al. 2 C. com. : « Lorsque les actions sont rachetées par la société, celle-ci est tenue de les céder dans un délai de six mois ou de les annuler ». * 633 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1212. * 634 Les rachats d'actions après le défaut d'agrément d'un actionnaire, l'exclusion - et non le retrait volontaire - d'un associé, le retrait forcé d'une société associée dont le contrôle a changé de mains. * 635 Art. L. 228-12, al. 2 C. com. * 636 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1212. Contra, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 10, qui est beaucoup plus dubitatif. * 637 Art. 206-5 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005 : le rapport présenté par le conseil d'administration ou le directoire à l'assemblée générale appelée à inscrire dans les statuts les modalités de rachat doit contenir notamment les modalités de mise à disposition des actionnaires des rapports circonstanciés du conseil d'administration, du directoire et des commissaires aux comptes sur les modalités de rachat * 638 Art. 206-5 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 639 Supra n° 323. * 640 En application de la délégation de pouvoir que lui a donnée l'assemblée générale extraordinaire. * 641 Art. 206-4 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 642 Supra n° 118 et s. |
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