L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
2. Les mesures protectrices à l'occasion de la disparition d'actions de préférence298. - « Il en va souvent des actions de priorité et autres actions à dividende prioritaire sans droit de vote ou certificats d'investissement comme des résidences secondaires : les deux seuls moments heureux pour les dirigeants de la société émettrice sont celui de la création des actions de préférence (l'achat de la maison de vacances) et la disparition des mêmes actions (la vente de cette même maison »553(*). Et le problème majeur posé aux sociétés émettrices par ces titres, en raison spécialement de la rigidité du régime légal des actions à dividende prioritaire et des certificats d'investissement, a été de trouver le moyen de se débarrasser d'instruments financiers devenus encombrants. 299. - Le régime des anciennes actions de priorité ne se préoccupait pas de donner une ou des solutions de sortie. Autrement dit, il n'organisait aucune procédure permettant de mettre fin aux avantages accordés à ces actions. Cela n'interdisait pas aux émetteurs de prévoir ou de décider, sous certaines conditions, et avec l'accord des porteurs, des opérations à cet effet. La voie la plus simple consistait à stipuler les privilèges pour une durée déterminée ou déterminable, à l'expiration de laquelle les avantages devenaient caducs et les actions de priorité étaient purement et simplement assimilées aux actions ordinaires. Il reste que, dans de nombreux cas, nul ne pouvait prédire la durée des avantages attribués, une fois que les actions de priorité étaient émises. 300. - Les rédacteurs de l'ordonnance du 24 juin 2004 ont tenu compte de ces considérations et ont ménagé des souplesses opportunes en dessinant deux voies : la conversion et le rachat des actions de préférence. Ce faisant, le législateur semble considérer que les droits particuliers attachés aux actions de préférence ont nécessairement une fin autre que l'expiration de la durée de la société émettrice. Cette intention sous-jacente serait alors fondée554(*). Il est en effet banal de constater que tel contexte, telles circonstances qui, à une époque donnée, justifient d'attribuer des droits particuliers au profit de tels titres, perdent souvent leur pertinence au fil du temps. Cette tendance naturelle s'amplifiera probablement encore avec les actions de préférence puisqu'elles autorisent à aller encore plus loin dans la définition des droits particuliers qui peuvent leur être octroyés. En toute hypothèse, il faudrait donc « prendre les règles légales relatives à la conversion et au rachat des actions de préférence comme une invitation faite aux émetteurs à s'interroger, dès leur création et dans tous les cas, sur les conditions dans lesquelles le bénéfice ou la charge des droits particuliers attribués peut prendre fin »555(*). 301. - Avec la conversion, le titulaire des titres demeurent actionnaire. A l'inverse, le rachat emporte, en général, la sortie de l'actionnaire ; il offre donc un avantage pour les investisseurs dont l'intention est de réaliser leur profit à l'expiration d'une période déterminée. Il reste toujours possible également de créer des actions de préférence sans sortie organisée à l'avance. Il appartiendra alors à l'émetteur de tenter de faire prendre les mesures requises, avec notamment l'accord de l'assemblée spéciale des porteurs, pour faire disparaître si nécessaire les droits particuliers le moment voulu. Une telle situation - l'absence de modalités de sortie prévues pour les actions de préférence - est toutefois fortement déconseillée car, dans ce cas, il deviendrait extrêmement complexe - souvent impossible556(*) - de mettre en oeuvre la disparition des actions de préférence en cas de refus d'une majorité de porteurs réunis en assemblée spéciale557(*). Aussi, la société émettrice devra, par souci de prudence, prévoir la disparition des actions de préférence, que ce soit par voie de conversion (a) ou par voie de rachat (b) desdites actions. a) La conversion des actions de préférence302. - La conversion, c'est la transformation, le changement mais non l'échange. 303. - Aux termes de l'article L. 228-14, alinéa 1er du Code de commerce, la conversion des actions de préférence peut prendre deux formes : soit les titres sont convertis en actions de préférence d'une autre catégorie558(*), soit ils sont convertis en actions ordinaires. La première hypothèse ne conduit pas à l'extinction des privilèges mais au remplacement de droits particuliers par d'autres droits particuliers d'une autre nature, ou à la conservation de certains droits particuliers déjà attribués et à la perte d'autres559(*). La seconde hypothèse a un effet clairement défini ; les actions de préférence perdent leurs droits propres pour se fondre dans la masse des actions ordinaires. Il s'agit d'un retour vers le droit commun, c'est-à-dire dans certains cas une rétro-conversion, les actions de préférence redevenant les actions ordinaires qu'elles étaient initialement. 304. - L'article L. 228-12, alinéa 2 du Code de commerce précise la faculté offerte de fixer dans les statuts les modalités de conversion. Dans son rapport de 2001560(*), le MEDEF avait insisté sur la nécessité de permettre la prédétermination des cas de conversion en actions ordinaires, afin d'éviter les débats qui ont pu avoir cours dans le passé sur la légalité d'une telle détermination statutaire. 305. - La fixation des modalités peut naturellement recouvrir le taux de conversion, rarement déterminé, fréquemment déterminable, ce qui appellera parfois, par précaution, comme le suggère le rapport précité du MEDEF, l'intervention d'un expert. Normalement, ce taux s'établit en fonction de la valeur du titre d'origine, compte tenu des droits qui y sont attachés et de celle du nouveau titre déterminée également selon ses propres caractéristiques. Dès lors, si le taux conduit à remplacer un titre par un autre titre, l'opération est sans incidence sur le capital. Si la conversion conduit à remplacer des titres de capital existants par un nombre de titres de capital supérieur561(*), il en résulte nécessairement une augmentation de capital qui est libérée par imputation sur un compte de prime ou de réserve. Si, dans le cas inverse, la conversion conduit à transformer des titres de capital existants en un nombre de titres de capital inférieur562(*), l'opération se traduit par une réduction de capital dont le montant est normalement viré à un compte de prime ou de réserve provenant d'une réduction de capital. Il est précisé que dans ce dernier cas - réduction de capital consécutive à la conversion -, l'article L. 228-14, alinéa 2 du Code de commerce prévoit que les créanciers peuvent former opposition à la conversion563(*), celle-ci ne pouvant pas être entreprise pendant le délai d'opposition ni, le cas échéant, avant qu'il ait été statué en première instance sur cette opposition564(*). Pendant ce laps de temps, les actions de préférence conservent donc leurs droits particuliers, sauf si les statuts ont prévu leur suppression dès le moment où est constaté la réalisation de la condition ou l'arrivée du terme dont dépend la conversion565(*). 306. - Ces observations faites, il convient de distinguer selon que les modalités de conversion ont été fixées dans les statuts (i) ou que la conversion est décidée sans que les statuts ne la prévoient (ii). (i) La conversion en présence de modalités fixées dans les statuts307. - La fixation des modalités recouvre d'abord l'énoncé ces cas dans lesquels la conversion opère : terme certain ou incertain, ou condition ; cette dernière, qui ne doit pas être potestative, peut par exemple faire référence à l'évolution dans quelque sens que ce soit d'une donnée financière telle que l'EBITDA566(*). Ce sont là des mécanismes qui avaient cours en matière d'actions à privilèges financiers567(*). Les modalités sont également financières, à savoir la parité de conversion568(*). 308. - Lorsque les modalités de la conversion sont fixées dans les statuts, comme le sont les droits attachés aux actions de préférence, tout est en ce cas normalement décidé dès l'émission569(*). Il n'est besoin ni d'une assemblée générale extraordinaire des actionnaires, ni d'une assemblée spéciale des porteurs lors de la réalisation de l'opération. Le conseil d'administration ou le directoire570(*) reçoit alors les pouvoirs nécessaires pour procéder à la conversion dans les conditions prévues par les statuts, par application des articles L. 225-129 à L. 225-129-6 du Code de commerce571(*). 309. - Toutefois, dans l'hypothèse où la modification statutaire est décidée après l'émission, l'approbation de l'assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence est requise, en application de l'article L. 225-99 du Code de commerce572(*). 310. - Qu'il y ait, du fait de l'application de la parité de conversion définie statutairement, augmentation ou réduction de capital, cette variation mécanique du capital n'appelle pas une décision d'assemblée approuvant la modification du capital, mais simplement une constatation par l'organe de direction573(*) ou, sur délégation, le président du directoire ou le directeur général574(*). Ainsi que l'explique le rapport au Président de la République : « le conseil d'administration ou le directoire procèderont à l'augmentation ou à la réduction de capital résultant de la conversion des actions de préférence en actions ordinaires. Cette augmentation de capital ne se présente en effet que comme la simple résultante de l'émission des actions de préférence décidée par l'assemblée générale extraordinaire »575(*). 311. - Divers rapports, aux fins d'information des actionnaires, doivent être rédigés par l'organe de direction et par le commissaire aux comptes. Au moment où l'assemblée générale se prononce sur l'inscription dans les statuts des modalités de conversion, le conseil d'administration ou le directoire établit un rapport indiquant les modalités de conversion576(*) ; ces indications doivent être portées dans les statuts. En outre, lors de la conversion, un autre rapport est à établir, indiquant les conditions de la conversion, les modalités de calcul du rapport de conversion et les modalités de sa réalisation ; il précise l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital et, le cas échéant, indique les caractéristiques des actions de préférence issues de la conversion577(*). Dans les deux situations, le commissaire aux comptes est appelé de son côté à établir un rapport spécial, d'une part pour donner son avis sur les modalités de conversion578(*), d'autre part pour donner son avis sur la conversion ainsi que sur l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital et pour indiquer si les modalités de calcul du rapport de conversion sont exactes et sincères579(*). 312. - Enfin, une question soulève certaines difficultés : celle de savoir si, lorsque la conversion se traduit par une augmentation de capital, l'absence de réserves disponibles est un obstacle à la conversion ou non580(*). Il faut d'abord avoir à l'esprit qu'est ici en cause le seul montant nominal ou pair des actions représentant l'augmentation de capital résultant de la conversion. Par conséquent, il ne sera pas toujours d'un montant élevé. Ensuite, dans l'hypothèse où les modalités de la conversion auront été fixées dans les statuts, il est alors conseillé de faire virer, lors de l'adoption de la clause statutaire, sur un compte de prime ou de réserve indisponible, la somme nécessaire pour assurer la conversion prévue, avec application, le cas échéant, du taux de conversion qui aboutit à l'augmentation de capital maximale. Cette précaution étant prise, la difficulté qui pourrait survenir résulterait de la constatation de pertes qui, même sans être imputées, « entameraient » totalement ou partiellement la prime ou la réserve indisponible, lors de la conversion effective. Selon certains auteurs581(*), cette situation ne ferait néanmoins pas obstacle à l'augmentation de capital. A l'appui de cette solution, ces auteurs se réfèrent aux règles instituées depuis longtemps déjà pour protéger les droits des titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital, en particulier en cas d'incorporation de réserves. Le mécanisme est ici, selon eux, comparable. Il exige la constitution d'une réserve indisponible d'un montant égal à la somme nécessaire pour attribuer, par exemple, des actions gratuites aux titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital582(*). Une fois la réserve constituée et le droit aux actions gratuites ouvert, cette attribution est inéluctable, quelle que soit à l'époque la situation des capitaux propres ; sinon, les droits des titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital seraient mis en péril, en contradiction avec les règles légales. Par analogie, la conversion d'actions de préférence aboutissant à une augmentation de capital resterait possible dans la même situation, ce qui est une garantie supplémentaire pour les actionnaires583(*). La solution ne sera toutefois pas la même si les modalités de conversion n'ont pas été fixées dans les statuts ou le contrat d'émission. * 553 A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1538. * 554 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1210. * 555 A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1210. * 556 Compte tenu du principe selon lequel tout associé a le droit de rester dans la société et ne peut en être exclu ni contraint de céder ses parts ou actions contre son gré. V. supra n° 3. * 557 Dans son avis du 3 novembre 2004, le Comité juridique de l'ANSA incite fortement sur l'importance de prévoir une solution de sortie pour les actions de préférence, au minimum la conversion en actions ordinaires. Adde, M. GERMAIN, « Les actions de préférence : le nouveau régime de création et de suppression » , in Le nouveau droit des valeurs mobilières après la réforme du 24 juin 2004, art. préc. : « porter une telle atteinte au principe d'égalité au sein de la même catégorie d'actionnaires ne paraît en effet admissible que pour autant que tous ces actionnaires soient d'accord ». * 558 Dans ce cas, le respect des dispositions de l'article L. 228-15, alinéa 2 du Code de commerce s'impose. V. supra n° 294. - Le mémento de la société anonyme, op. cit, n° 285 pense que cette procédure, qui prive les porteurs concernés du droit de vote, est distincte de celle prévue pour les avantages particuliers, nécessitant, en outre, la désignation d'un commissaire aux apports ; ce régime serait donc autonome et différent de celui lié à la création des actions de préférence. Contra, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 10, qui estime que la procédure des avantages particuliers s'applique. * 559 Par exemple, des actions de préférence sont émises avec les caractéristiques des anciens certificats d'investissement, c'est-à-dire avec les droits financiers des actions ordinaires mais sans droit de vote. Elles peuvent être converties en actions de préférence d'une autre catégorie bénéficiant des mêmes droits financiers mais par exemple avec le droit de vote aux assemblées générales ordinaires exclusivement. * 560 Rapp. préc., p. 6. * 561 Par exemple, une action de préférence convertie en deux actions ordinaires. * 562 Par exemple, deux actions de préférence converties en une action ordinaire. * 563 Art. L. 228-14, al. 2 C. com. : « En cas de conversion d'actions de préférence en actions aboutissant à une réduction de capital non motivée par des pertes, les créanciers dont la créance est antérieure à la date du dépôt au greffe du procès-verbal de délibération de l'assemblée générale, ou du conseil d'administration ou du directoire en cas de délégation, peuvent former opposition à la conversion dans le délai et suivant les modalités fixés par décret en Conseil d'Etat ». * 564 Art. L. 228-14, al. 3 C. com, art. 180 et 206 du décret du 23 mars 1967, modifies par le décret du 10 février 2005. * 565 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1538. * 566 V. note n° 462. * 567 J.-J. DAIGRE, Fr. MONOD et Fr. BASDEVANT, « Les actions à privilèges financiers », art. préc., p. 10, n° 43. * 568 Supra n° 305. * 569 Il est précisé que, au cas où les modalités de la conversion ne seraient pas précisées dans les statuts, mais dans le contrat d'émission des actions de préférence, ceci emporte les mêmes effets que ceux évoqués infra n° 308 et s. * 570 Ou l'organe de direction compétent s'il s'agit d'une SCA ou d'une SAS. * 571 V. supra n° 28 et s. * 572 Art. L. 225-99, al. 2 : « La décision d'une assemblée générale de modifier les droits relatifs à une catégorie d'actions n'est définitive qu'après approbation par l'assemblée spéciale des actionnaires de cette catégorie ». * 573 Art. L. 228-12, al. 3 C. com. : « A tout moment de l'exercice en cours et au plus tard lors de la première réunion suivant la clôture de celui-ci, le conseil d'administration ou le directoire constate, s'il y a lieu, le nombre et le montant nominal des actions issues de la conversion des actions de préférence, au cours de l'exercice écoulé, et apporte les modifications nécessaires aux clauses des statuts relatives au montant du capital social et au nombre des titres qui le composent ». * 574 Art. L. 228-12, al. 4 C. com. : « Le président du directoire ou le directeur général peut, sur délégation du directoire ou du conseil d'administration, procéder à ces opérations à tout moment de l'exercice et au plus tard dans le délai fixé par décret en Conseil d'Etat ». Art. 165, IV du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005 : « Le président du directoire ou le directeur général peut procéder aux opérations prévues au dernier alinéa de l'article L. 225-149 du même code et au dernier alinéa de l'article L. 228-12 du même code au plus tard dans le mois qui suit la clôture de l'exercice ». * 575 Rapp. préc., p. 9. * 576 Art. 206-5, al. 1er du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 577 Art. 206-3, al. 1er du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 578 Art. 206-5, al. 2 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 579 Art. 206-3, al. 2 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005. * 580 Sur cette question, v. A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1212. * 581 A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1212. * 582 V. art. 242-9 du décret du 23 mars 1967. * 583 Actionnaires de préférence comme actionnaires ordinaires, selon l'angle envisagé. |
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